Mozart en rouge et noir selon Haneke

Le réalisateur autrichien s’empare de Cosi fan tutte avec maestria, et fait de cet opéra-bouffe une tragi-comédie aux accents stendhaliens.

Six personnages en quête de vérité. Tel pourrait être le sous-titre, pirandellien avant la lettre, de ce Cosi fan tutte tourbillonnant mis en scène par le réalisateur multi-oscarisé d’Amour. Le décor, trompeusement idyllique : une grande villa de style palladien avec vue sur la baie de Naples. Le riche aristocrate Don Alfonso y donne de somptueuses fêtes costumées auxquelles sont conviés ses deux amis nettement plus jeunes, Guglielmo et Ferrando, ainsi que leurs fiancées respectives, Fiordiligi et Dorabella, deux soeurs originaires de Ferrare. Au cours d’une discussion, le  » mentor  » Don Alfonso met en doute la fidélité des deux soeurs. Pour mettre cette dernière à l’épreuve, le trio en vient à imaginer un stratagème audacieux : soi-disant partis faire la guerre, Guglielmo et Ferrando reviennent, sous le déguisement d’étrangers, pour tenter de séduire la fiancée de l’autre. Bientôt mise dans la confidence, Despina, femme de Don Alfonso, jouera elle aussi une part active dans ce  » complot échangiste  » destiné à faire éclater la (les) vérité(s) de chacun.

En crescendo

Pour donner chair à cette intrigue, Michael Haneke a imaginé une approche scénique évolutive qui transfigure subtilement le scénario vaudevillesque troussé par le librettiste Da Ponte. Au départ, chaque protagoniste occupe une position bien déterminée, un peu à l’image de pièces disposées sur un échiquier. Mais assez vite, on s’en doute, ce bel ordonnancement va se déliter, cédant la place à des mouvements de plus en plus effrénés, jusqu’à l’impressionnante dislocation finale du  » jeu « . Marqueur temporel des événements, le décor nous fait passer en douceur d’une radieuse journée printanière au crépuscule, puis à un ciel nocturne émaillé de constellations inconnues. Haneke semble nous suggérer que, sous les joutes galantes du XVIIIe siècle et les embarquements pour Cythère, affleurent les troubles et le malaise existentiel de personnages quasi-stendhaliens, tant l’orgueil et l’obstination s’y livrent bataille au champ clos de l’inconscient.

Sous le masque ironique et joueur d’un Pierrot de Comedia dell’Arte, la soprano suédoise Kerstin Avemo campe avec beaucoup de tact une Despina secrètement blessée. Dans le rôle de Fiordiligi, l’Allemande Anett Fritsch (soprano) se donne à fond et éclate de sensibilité et de sensualité à fleur de peau. Portée par une voix au spectre étonnamment large et puissant, cette habituée des rôles mozartiens (elle fut notamment Pamina dans La Flûte enchantée) confère à son rôle une dimension tragique des plus convaincantes. La mezzo Paola Gardina, interprète quant à elle, une Dorabella moderne et virevoltante sur un registre plus joueur et versatile, avec de belles envolées vocales, notamment dans la scène d’adieu du premier acte. Du côté masculin, le ténor Juan Francisco Gatell et le baryton-basse Andreas Wolf sont tous deux irréprochables et même souvent franchement drôles, notamment lorsqu’ils apparaissent sous leurs déguisements à la Dupond(t) ! Quant à Don Alfonso, il est magistralement campé par un William Shimell très intériorisé (il tenait le rôle de Geoff, le mari d’Isabelle Huppert dans Amour), à la fois manipulateur et désemparé.

On ne saurait conclure sans dire un mot de la direction musicale de Ludovic Morlot, le nouveau chef permanent de la Monnaie. Sa déjà longue expérience mozartienne lui fait saisir instinctivement le rythme, l’énergie et la fougue requis par le tempo à la fois léger et spiralé de cet envoûtant Cosi fan tutte.

Cosi fan tutte, mis en scène par Michael Haneke, à la Monnaie. www.lamonnaie.be

ALAIN GAILLIARD

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