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Notre compatriote achève sa dernière saison à la tête de l’Opéra national de Paris. Entre vivats et broncas, culte de la personnalité et dispersion aux quatre coins du monde, il laisse un bilan, hélas ! décevant. Retour sur un rendez-vous manqué.

Gerard Mortier a quitté la direction de l’Opéra national de Paris le 15 juillet, après cinq années à la tête de la  » grande boutique « . En guise de cadeau d’adieu, il propose Am Anfang (Au commencement), une installation du peintre Anselm Kiefer mise en musique par un compositeur peu connu en France, Jörg Widmann. Ce sera le dernier pied de nez de cet iconoclaste qui aime bousculer les traditions. Mais pour quel résultat ?

Avant d’arriver à la tête de l’établissement parisien, Gerard Mortier a connu une carrière à la fois exemplaire et spectaculaire. Un mélange de professionnalisme et de happening qui définit bien le personnage. En dix ans, il a donné un rayonnement remarqué à la Monnaie, quoiqu’il y ait laissé un notable déficit. Il a ensuite prouvé qu’il pouvait succéder à Karajan à Salzbourg en dirigeant le festival de 1991 à 2001. A l’Opéra de Paris, il retrouvait une maison d’opéra  » traditionnelle « , laissée en bon état de marche par son prédécesseur Hugues Gall. Mais il était certain que le Gantois, universitaire subtil et séducteur souriant, n’allait pas simplement se glisser dans les souliers qu’on lui tendait.

Coups d’éclat et déceptions. Rentrée 2004, première saison. Mortier multiplie les initiatives. A l’extérieur, il communique tous azimuts pour justifier sa politique tarifaire – des hausses de plus de 20 % en moyenne. A l’intérieur, il s’efforce d’adopter un profil humain, jouant de ses qualités de négociateur dans une maison réputée complexe, aux 1 500 salariés et aux syndicats surpuissants. Côté programmation, il promet la révolution. Cherche à bousculer les habitudes, à rajeunir le public et à imposer le répertoire du xxe siècle, qu’il a toujours défendu. Il programme indifféremment dans ses deux salles, à Garnier ou à Bastille, sans trop se soucier de l’équilibre artistique. Comme en 2007, avec quatre productions différentes au mois de juillet. Une épreuve pour les personnels.

Rendons-lui justice : Gerard Mortier a réussi quelques beaux coups, comme un Don Giovanni mis en scène par le cinéaste Michael Haneke ou un mémorable Tristan et Isolde confié aux meilleurs chanteurs du moment, à un chef d’exception, Esa-Pekka Salonen, et à un duo inattendu, le metteur en scène Peter Sellars et le vidéaste Bill Viola. Moins inventif à Paris qu’à Bruxelles ou Salzbourg, Mortier peine cependant à réitérer ces exploits. Sa programmation alterne reprises pas toujours bien distribuées et nouveautés parfois provocantes, souvent décevantes. Le c£ur de sa mission de directeur – construire un répertoire viable et assurer la continuité du service public – ne l’intéresse guère. L’homme est avant tout soucieux de son rayonnement. Comme de celui de son chef d’orchestre favori, Sylvain Cambreling, avec qui il partage les espoirs et les désillusions de son mandat. Et qui va devenir un nouveau sujet de friction avec le public parisien.

Baroud d’honneur. Entre les deux hommes, c’est une longue histoire. Le Monde a parlé de  » vieux compagnons de route  » à propos du couple Mortier-Cambreling, qui travaille ensemble depuis des années. A Paris, le maestro se taille la part du lion. Il est programmé 44 fois la première saison, 39 la suivante. Cambreling, dont la carrière piétine par ailleurs, reçoit 15 000 euros par représentation, une somme proche de celle proposée aux plus grandes baguettes, comme Salonen ou Gergiev. Problème : l’orchestre de l’Opéra n’apprécie pas ce chef. Pour l’imposer, Gerard Mortier fait des concessions sociales aux musiciens. Et décrète Cambreling directeur musical sans qu’il en ait le titre ni les servitudes.

Le but avoué ?  » Forcer  » le public à aimer Sylvain Cambreling. Mortier estime que son protégé, excellent musicien, est le collaborateur idéal des metteurs en scène Michael Haneke et Christoph Marthaler. La presse est cependant sans pitié envers Don Giovanni et Les Noces de Figaro. Le public, lui aussi, se fait entendre : soir après soir, c’est la bronca. Le rejet semble évident. Après avoir été trop exposé, Sylvain Cambreling ne dirigera pour la dernière saison que deux productions. Pour Mortier, la blessure est profonde.

Moi je personnellement. Entre l’Opéra de Paris et son directeur, quelque chose n’a pas fonctionné. Roi de la communication et de la polémique, l’homme a cru que ces deux  » atouts  » régleraient les problèmes. Il a sans doute mésestimé sa tâche et méconnu les logiques politiques françaises. Alors que ses orientations ont été d’emblée contestées, il a joué de la provocation et réservé ses premières déclarations à la presse étrangère. Ainsi, dans Die Welt du 17 avril 2005, il affirme que  » la France est un pays incroyablement conservateur « . En résumé : une société en crise, des journalistes incompétents et un public réactionnaire. Dans Diapason, il dénonce l' » hédonisme  » des amateurs d’art lyrique et souhaite  » améliorer la conscience politique du public « . Drôle de façon de favoriser le débat, en imposant ainsi, d’en haut, ses idées !

C’est que la guerre des médias doit être gagnée à tout prix. Le combat artistique aussi, qui passe par une personnalisation toujours accrue : pour Le Trouvère, Gerard Mortier se bombarde  » responsable des lumières « . Il n’évoque jamais les mises en scène de X ou Y, mais parle de  » [s]es productions « . Pour sa dernière saison, il s’offre même Fidelio le jour de son anniversaire… et le fait savoir ! L’intéressé se charge également de la promotion des spectacles, présente Wolf, d’Alain Platel, sur Arte, et tient à animer une émission hebdomadaire sur Radio Classique.

Paris, New York, Madrid. Peu à peu, Gerard Mortier, sans doute lassé de lancer des combats qu’il devine perdus d’avance, se détache de Paris et de la gestion quotidienne de l’institution. Il reste étonnamment absent du conflit sur la réforme des régimes spéciaux de retraite. La nomination de Nicolas Joel, dont il ne voulait pas pour successeur, ne fait qu’accentuer son ressentiment vis-à-vis de la capitale française. Il accepte finalement, et contre toute attente, un nouveau poste à New York : en 2007, il est nommé general manager du modeste New York City Opera, cumulant donc deux postes. On l’attendait plutôt à Gand, sa ville natale, ou en mission pour la Communauté européenne. Ou même au Festival de Bayreuth, où il s’était porté candidat par bravade. L’aventure américaine ne durera qu’une saison ; rattrapé par la crise, ses budgets rognés, Mortier ne tarde pas à jeter l’éponge. Fin 2008, à 65 ans, il annonce finalement son arrivée à la tête de l’Opéra de Madrid, le Teatro Real.

A Paris, Mortier laisse un bilan décevant. Certes, les comptes sont sains, et l’orchestre joue toujours aussi bien. Mais le nouveau patron, Nicolas Joel, devra réinventer le répertoire de la maison, laissé en friche par une série de productions ratées ou inadaptées. Gerard Mortier, l’impétueux directeur, a voulu à tout prix laisser une trace. D’un strict point de vue sémantique, il a réussi. Mais on ne dirige pas l’Opéra de Paris avec un dictionnaire. Rideau. l

bertrand dermoncourt

Mortier a sans doute méconnu les logiques politiques françaises

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