Morandi, il Professore

Pour apprécier l’oeuvre de Morandi, il faut prendre le temps et rejoindre le silence. Rencontre avec Maria Cristina Bandera, la commissaire italienne de l’exposition au Bozar.

D’année en année et ce durant plus de quarante ans, Giorgio Morandi (1890-1964) ne s’écarte jamais de deux thèmes, la nature morte et le paysage. Ils finissent même par se confondre comme si le peintre avait dépassé le réel et rejoint le but qu’il s’était fixé dès la fin des années 1920 :  » Toucher le fond, l’essence des choses.  » L’homme est sédentaire, casanier même, partageant ses jours entre Bologne, sa ville natale, et Grizzana, un petit village des Apennins voisins. Portant col blanc, jaquette et montre à gousset, la tête toujours légèrement penchée, il n’a qu’un désir : travailler. Loin de l’image de la bohème, Morandi est méthodique et patient. Le matin est consacré aux cours de gravure qu’il donne à l’académie des beaux-arts de Bologne, à la correspondance avec les amis très divers mais toujours intellectuels de haut vol et à la lecture. L’après-midi, il rejoint son atelier mais pas seulement pour peindre ou dessiner. En fait, il y prépare longuement les objets qu’il dispose sur des étagères après les avoir couverts de plâtre. En société, il n’apprécie pas qu’on l’appelle  » maître « . Le terme évoque l’aura d’un créateur impulsif. Il préfère  » Professore  » qui indique davantage son érudition.

Le Vif/L’Express : La première oeuvre de l’exposition au Bozar est un autoportrait de 1924, Quelle image de lui-même donne Morandi ?

Maria Cristina Bandera : Il ne regarde pas le spectateur. On y chercherait en vain l’expression d’un sentiment. En fait, le véritable centre d’attraction est la palette sur laquelle il a inscrit son nom. L’important est donc indiqué : la seule peinture.

Ses premières années, entre 1911 et 1920, sont marquées de multiples influences  » modernes « .

Pourtant, il ne fera jamais un voyage à Paris, mais il lit toutes les revues et leurs reproductions en noir et blanc. Il découvre néanmoins Klimt et Renoir à la biennale de Venise de 1911 et surtout Cézanne en 1920.

Entre-temps, il rencontre Carlo Carrà, le peintre de la metafisica.

Dès 1919 en effet, il opte, comme Carrà, pour la nature morte, le silence et le blanc. Sa peinture est alors lisse, parcourue par une lumière pauvre et chromatiquement très limitée. Après la leçon de Cézanne, il ne fera plus qu’une suite de variations sur deux thèmes : le paysage et la nature morte.

En même temps, il va s’inscrire dans la continuité de la peinture italienne.

Oui, de Giotto à Caravage en passant par Zurbarán ou Piero della Francesca. Chacun le conforte dans son appartenance à cette grande lignée. Comme ces Anciens, il est fasciné par la géométrie, la monumentalité mais aussi la texture de ses oeuvres. Un jour, par exemple, il écrit à Carrà qu’il a trouvé une terre du côté de Sienne qui, mélangée au blanc, rend un aspect de fresque ancienne.

Le visiteur sera sans doute étonné par la variation des formats des oeuvres.

Pour les natures mortes (y compris les fleurs et les coquillages), Morandi commence par un long travail de scénographie. Sur une étagère, il dispose, en variant la hauteur du point de vue, l’espacement des bouteilles et autres boîtes. Les compositions de paysages sont toujours précédées par un lent travail de cadrage. Ce n’est qu’après qu’il choisit le format et commande le châssis aux bonnes dimensions.

Les amis auront beaucoup compté pour Morandi le solitaire.

Il côtoie des poètes (le père du cinéaste Bertolucci), des musiciens et surtout des historiens de l’art. Parmi eux, Roberto Longhi dont il lit les commentaires sur les oeuvres d’art ancien avant de le rencontrer, en 1934, lorsque ce dernier est nommé professeur à l’université de Bologne. C’est Longhi du reste qui va devenir le premier défenseur de Morandi bien avant la reconnaissance officielle dans les années 1950.

Pourquoi avoir choisi Luc Tuymans pour clôturer le parcours Morandi ?

Au moins pour trois raisons. Chez Tuymans comme chez Morandi, le temps de l’exécution est précédé par de longs préparatifs. Comme le peintre et graveur bolonais, le peintre belge évoque plutôt qu’il ne représente, et, pour ce faire, conjugue rigueur de la composition et imprécision des contours. Enfin, avec des variations autour des blancs, il s’avère, comme Morandi, être un très grand coloriste.

Comme Giotto, Morandi vise la monumentalité. L’espace tridimensionnel est traité comme une scène de théâtre devant un fond fermé. Les bouteilles de Morandi sont comme les personnages de Giotto : des acteurs qu’il s’agit de regrouper de manière serrée autour d’une figure centrale tout en variant les espacements. L’impression de frontalité, associée à l’orthogonalité renforce aussi l’impression minérale de l’ensemble. Mais à la différence de Giotto, Morandi ne met pas en scène une action.

La leçon de Cézanne prolonge celle de Giotto mais en y introduisant l’air qui fluidifie les contours. La suggestion d’un ordre plastique prime sur le sujet. Dans cette oeuvre, Cézanne renforce la centralité en plaçant de grandes masses coupées par les bords. On retrouve la même préoccupation chez Morandi.

ENTRETIEN : GUY GILSOUL

Morandi est fasciné par la géométrie, la monumentalité

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