Monsieur Faible

L’attitude du président français dans l’affaire Cahuzac révèle une triple faiblesse, institutionnelle, politique et personnelle. Pour en sortir, François Hollande prône de jouer collectif.

Le fleuve peut-il sortir de son lit ? Longtemps, les institutions de la Ve République ont transformé le palais de l’Elysée en une citadelle inexpugnable. Face à la rue qui, en 1984, voulait défendre l’école privée, François Mitterrand les a utilisées pour se protéger et durer. Face au juge Eric Halphen qui, en 2001, lui envoyait une convocation ( » Si vous ne comparaissez pas, l’usage de la force pourra être employé « ), Jacques Chirac les a utilisées pour se protéger et durer. Que le chef de l’Etat français traverse un moment de faiblesse, et la Constitution montrait l’étendue de sa force. L’opposition politique, l’opinion, la justice, toutes ont reculé devant le chef de l’Etat, quel qu’il soit.

François Hollande, avant d’accéder aux responsabilités, a théorisé la fin d’un certain pouvoir exécutif.  » Si on ne désacralise pas la fonction présidentielle, écrit-il en 2006 dans Devoirs de vérité (Stock), on ne rétablira pas la fonction démocratique.  » C’était déjà porter atteinte à la stature du chef de l’Etat. Assurément plein de bonnes intentions, et dès lors que le quinquennat avait modifié le rythme de la vie publique, il prônait, sans en préciser les contours,  » un exercice de vérification démocratique au milieu de la législature  » :  » Le devoir de vérité, c’est d’être capable de dire : « Nous revenons devant la majorité, peut-être même devant le corps électoral, afin de retrouver un rapport de confiance. »  » Décidément téméraire, celui qui se comportait encore comme conseiller général et non comme président de la République ajoutait :  » Si d’aventure, à l’occasion de la vérification démocratique que j’évoquais, une crise profonde se produisait ou des élections législatives intervenaient, contredisant l’élection présidentielle, nous en tirerions toutes les conséquences en quittant la présidence.  »

Aujourd’hui, bien loin de toute  » vérification démocratique « , François Hollande utilise des portes dérobées pour aller et venir sur ses terres de Corrèze, le 6 avril, avant de finir par oser  » déambuler  » dans Tulle. Encore un ratage. Il devait rentrer dare-dare à la maison en début d’après-midi, quand il se rend compte de l’effet catastrophique de son passage éclair dans une préfecture bunkerisée. Ecourtant son déjeuner avec la préfète et les élus du coin, de droite comme de gauche, il décide de chasser l’idée qui s’installe d’un président forcé d’éviter des citoyens en colère :  » Allez, on va faire un tour.  » C’est parti pour une heure et demie de visites dans tout ce que la ville compte de commerces ouverts en cet après-midi de printemps, mais le mal est fait.

Hollande et Ayrault en élus locaux

Le fleuve peut-il sortir de son lit ? En mai, la France va  » déambuler  » dans la rue. Les France. Celle qui refuse le mariage homosexuel et davantage encore : lors de la manifestation du 24 mars, la foule était plus nombreuse qu’attendu et la tension plus forte que jamais. Elle attend le 26 mai pour contester un projet de loi et, sans doute, le pouvoir tout entier. Gare au moindre dérapage. Le 5 mai, c’est la France de Jean-Luc Mélenchon qui se donne rendez-vous, avec la volonté affichée d’un grand  » coup de balai « , un slogan qui en rappelle d’autres.

Onze mois seulement après son accession à la magistrature suprême, François Hollande est devenu Monsieur Faible – ainsi l’affaire Cahuzac éclaire-t-elle l’état du chef. Faiblesse institutionnelle, puisque les cartes dont dispose un président, de la dissolution au référendum, semblent peu opérantes. Faiblesse politique, parce que le chef de l’Etat est contesté par sa majorité, comme rarement l’aura été l’un de ses prédécesseurs. Faiblesse personnelle, enfin, car François Hollande se trouve défié sur les trois points où le doute s’est répandu à son propos : gestion du temps trop lente, manque d’autorité, incapacité à prendre des décisions.  » Lui comme Jean-Marc Ayrault ont réagi en élus locaux, habitués à la calomnie de l’adversaire, regrette un élu PS. Les attaques relayées par Mediapart venaient du type qui combattait Jérôme Cahuzac à Villeneuve-sur-Lot ? C’était forcément suspect. Et comme rien de précis n’était sorti quand il avait intégré l’équipe de campagne, ils se sont dit, toujours en raisonnant de manière politique, qu’il n’y avait rien.  »

 » Je suis sur un toboggan  » : se confiant à un proche, François Hollande s’avoue conscient que ses actes et jusqu’à sa parole – il est intervenu deux fois en sept jours, septante-cinq minutes le 28 mars sur France 2, deux minutes sur toutes les chaînes françaises, le 3 avril – peinent actuellement à influer sur le cours des choses, sinon à l’inverser. Il ne reste qu’à aller dans le sens de l’opinion en promettant toujours plus de transparence. Mais quand le pouvoir est à terre, l’opinion ne s’en contente jamais et place ses soupçons au-dessus de toute nouvelle mesure.  » Nous n’avions pas 50 marqueurs ; l’exemplarité en était un, qui tenait le choc « , relève un conseiller ministériel. Qui parle au passé.

Le décès de la gauche gestionnaire ?

La situation est exceptionnelle. C’est d’ailleurs à ce titre,  » exceptionnel « , comme il l’a lui-même indiqué, que François Hollande a demandé, au Conseil des ministres du 3 avril, si l’un d’eux souhaitait intervenir, après que lui et Jean-Marc Ayrault se furent exprimés. La veille au soir, Jérôme Cahuzac était passé à confesse. Autour de la table, ce mercredi, règne une ambiance singulière.  » Quand Manuel Valls dit quelque chose (en l’occurrence, que les services de police n’ont jamais mené d’enquête parallèle), faut-il le croire ? Et Pierre Moscovici (qui assure que le ministère des Finances a agi comme il le fallait avec la Suisse) ?  » s’interroge en privé un collègue. Si les ministres ne se font plus confiance, que penseront-ils, même eux, de Laurent Fabius, démentant  » formellement « , le 7 avril, une  » rumeur, relayée par Libération « , lui  » attribuant un compte en Suisse  » ? Le soupçon est un poison.

Dans le salon Murat, Cécile Duflot fait comme si elle se trouvait encore à une réunion des Verts. Elle lève la main pour demander la parole. Elle sera la seule. Elle a en mémoire ce que lui a glissé un député socialiste ( » Cahuzac, c’était le mec qui avait expliqué à tout le monde qu’il fallait augmenter le demi de bière ? « ), elle soulève une question : parce qu’il était ministre du Budget, Jérôme Cahuzac n’entraîne-t-il pas dans sa chute toute la ligne suivie par le pouvoir ? En somme, après le décès de la gauche morale, il faudrait également constater celui de la gauche gestionnaire. Changer de politique à cause de la défaillance d’un homme ? En entendant l’ancienne responsable des Verts, plusieurs ministres sursautent, mais ne disent mot.

 » Faire passer Cahuzac de la politique aux faits divers  »

Deux gauches entre la vie et la mort, une troisième, celle de Mélenchon, qui juge le moment opportun pour réclamer la fin de la Ve République, un quinquennat brisé avant d’avoir fêté son premier anniversaire, cela fait beaucoup pour un seul homme. Dans l’avion qui l’amène le jour même à Casablanca, François Hollande a le visage crispé. Il rencontre en tête à tête les ministres. Il a un long échange avec son fidèle de toujours, Stéphane Le Foll. Puis il invite les membres du gouvernement qui l’accompagnent à le rejoindre dans la salle à manger de son A 330.  » On a été trahis « , leur répète-t-il. Le formalisme du Conseil des ministres est oublié :  » Il s’agit de faire preuve d’exemplarité, d’envoyer des signaux positifs. Accélérez les dossiers que vous avez en cours. On ne s’en sortira que collectivement. Soyez solidaires, évitez les stratégies personnelles.  »

Arrivé au Maroc, le président français se met en pilotage automatique, obligé de sacrifier aux obligations protocolaires. Le soir, il est reçu pour un dîner d’Etat. Quelque 450 convives, une centaine de serveurs en blanc, la tête couverte d’un tarbouch rouge, courant avec leurs plats sous une coupole grandiose, où résonne la musique d’un orchestre andalou massé à un balcon : cela s’appelle être ailleurs. A la table du roi défilent les plats, le poisson à la charmoula, la pastilla au poulet, le tajine de jarret de veau, le potiron farci au couscous, le méchoui royal. Pendant deux heures, alors que la République vacille, le chef de l’Etat est submergé d’honneurs, mais coupé du monde. Les portes monumentales du palais ont été refermées avec fracas après l’entrée de François Hollande. Impossible de passer le moindre message aux invités. Impossible de faire rentrer quiconque. Même le  » transmetteur « , collaborateur de François Hollande chargé des appels sécurisés, notamment militaires, a été refoulé à l’entrée. Les ministres aussi devront attendre la fin des agapes pour récupérer leur mobile – les autorités marocaines sont obsédées à l’idée que les portables servent à déclencher des engins explosifs. C’est à Paris que la bombe a explosé.  » La savane était sèche, le feu a pu prendre « , constate un ministre. Si la répercussion de l’affaire va au-delà de la fraude fiscale d’un ex-ministre, c’est que la crise est beaucoup plus profonde.

Certes, le traître a été exécuté en place publique.  » Il fallait rapidement le « strauss-kahniser », le diaboliser, pour le faire passer des pages politiques aux pages des faits divers « , explique un membre de cabinet. La chute du directeur du FMI, en 2011, n’avait pas empêché la victoire à la présidentielle. Mais, cette fois, l’incendie n’est pas simple à circonscrire.  » Hollande doit faire attention, il a toujours tendance à penser qu’il va se refaire au coup d’après « , prévient l’écologiste Jean-Vincent Placé.  » Le premier devoir du président est d’assurer la paix civile et la cohésion sociale. Est-il encore en mesure d’y parvenir ?  » demande le député UMP Henri Guaino, qui conseilla Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Le fleuve peut-il sortir de son lit ? En Espagne, même l’abdication du roi Juan Carlos n’est plus un tabou.

ERIC MANDONNET ET MARCELO WESFREID

 » On ne s’en sortira que collectivement. Soyez solidaires, évitez les stratégies personnelles « 

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