Mobilité à Bruxelles : la congestion en point de mire

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Seuls des gestes forts pour rompre avec le  » tout-à-l’auto  » éviteront la congestion totale à Bruxelles. Tous les partis font de la mobilité un thème central de leur programme électoral. Mais les principales mesures se font attendre.

De son bureau high-tech au 14e étage de la tour de verre du Botanic Building, Pascal Smet a une vue imprenable sur la forêt de gratte-ciel du quartier Nord. Le vélo de service du ministre bruxellois de la Mobilité (SP.A) trône face aux ascenseurs. Sa voiture avec chauffeur l’attend au parking.

Ce jour-là, le bouillant ministre qui se dit  » pas flamand mais bruxellois néerlandophone  » est plus fébrile que jamais. Il doit présenter, dans quelques heures, sa liste pour les régionales du 7 juin. Toute question un peu provocante le fait bondir au quart de tour. Alors, quand on lui rappelle les piques lancées contre lui par l’opposition libérale – le ministre socialiste aurait  » privilégié la communication et les effets d’annonce au détriment de la bonne gestion  » -, le chevalier rouge brandit, en guise de bouclier, la version papier d’un powerpoint où sont énumérées toutes ses initiatives destinées à réduire les déplacements en voiture dans la capitale : système de car sharing Cambio, service de taxis collectifs Collecto, réseau de bus de nuit Noctis, projet de vélos partagés Villo, actions conviviales comme Bicycity et Friday Bikeday, l’opération destinée à inciter les travailleurs à se rendre au bureau à vélo les vendredis…

 » Ce gouvernement est le premier à faire autant d’investissements dans les transports en commun ! clame le ministre. La Stib connaît une augmentation de 70 % de sa clientèle en dix ans et est maintenant victime de son succès. Si nos projets d’extension du métro et de mise en site propre des trams et des bus se concrétisent, nous aurons, en 2025, les meilleurs transports publics d’Europe ! De même, le vélo, autrefois inexistant dans nos rues, y est toujours plus présent : 4 % d’utilisateurs quotidiens, contre 1 % en 2004. Je vois même, près de chez moi, en centre-ville, des Bruxellois d’origine marocaine se mettre à la bicyclette, qui n’est plus considérée comme un moyen de transport de pauvre. Nous avons même engagé un fiets-manager qui collabore, avec son équipe, à tout réaménagement de voirie régionale. En outre, les grandes entreprises et les écoles sont invitées à proposer des plans de déplacements. Qui dira que je n’ai pas été actif ? »

Des trams et des bus toujours plus lents

Pourtant, lui fait-on remarquer, au risque de l’énerver un peu plus, la vitesse commerciale des trams et des bus ne fait que diminuer. La mise en site propre des transports publics (90 % des itinéraires trams) accumule chaque année du retard. Les restructurations du réseau (le métro vient d’en vivre une) mécontentent les usagers quand les correspondances se multiplient. Il n’existe, à ce jour, que 4 itinéraires cyclables régionaux (ICR) sur les 19 prévus. Le transport des marchandises n’est toujours pas analysé, réglementé et rationalisé. Les plans de parkings de transit restent dans les caisses. La coopération avec les autres niveaux de pouvoir est bancale. Et l’exploitation du RER, qui a plus de dix ans de retard, n’est pas prévue avant l’horizon 2015-2017.

Résultat : l’utilisation de la voiture continue à croître d’environ 4 % chaque année. En semaine, les mêmes axes routiers, dans Bruxelles et sa proche périphérie, sont au bord de l’immobilité. Les heures de congestion ont quasi doublé depuis l’adoption du plan régional de développement (PRD) sous la précédente législature. Un plan qui prévoyait pourtant, pour 2010, une diminution du trafic automobile de 20 % ! Que réplique celui qui, sur de nombreux blogs sans nuance, voire injurieux, est taxé d' » ayatollah du vélo « , de  » farfelu qui instaure des modifications de circulation inutiles « , de  » gaspilleur de millions d’euros en pistes cyclables pour vélos fantômes « , ou encore de  » cheval de Troie de la flamandisation de la capitale (depuis qu’il a fait peindre les taxis collectifs bruxellois en noir et jaune  » mangue « ) ?

 » On ne peut corriger, en cinq ans, un demi-siècle de  »tout-à-l’auto », interrompt Pascal Smet. Il faudra du temps pour changer les mentalités. Un habitant sur quatre se déplace en voiture pour des distances de moins de 1 kilomètre. On ne peut continuer comme cela ! J’ai pourtant, aujourd’hui encore, parmi mes collègues des défenseurs acharnés de la voiture, comme le ministre des Finances, l’Open VLD Guy Vanhengel, qui roule en 4 x 4 (NDLR : seul libéral au milieu d’un gouvernement  » olivier  » de centre-gauche). Le MR, de son côté, critique sans cesse mes projets. Il a cherché à saboter l’installation prochaine des 57 premières stations de vélos partagés Villo !  »

 » Il impose ses idées sans concertation « 

Françoise Schepmans, chef du groupe MR au parlement bruxellois, est directement visée. C’est elle qui, plus d’une fois ces derniers mois, a dénoncé la  » gestion hasardeuse  » du ministre SP.A. Elle reçoit Le Vif/L’Express dans ses bureaux de la rue du Lombard.  » Sur le fond, la plupart des projets lancés par Pascal Smet sont sympas, reconnaît la Molenbeekoise. Mais je lui reproche son arrogance à l’égard des députés et bourgmestres. Il veut toujours avoir raison. Pour les stations Villo, installées par la société JC Decaux moyennant la concession d’espaces publicitaires, il a voulu imposer le point de vue de la Région à coups de permis de voirie. De même, le marché des taxis Collecto a été lancé sans concertation et dans la précipitation. Plus grave : le plan financier Citeo, qui visait à augmenter les investissements en infrastructures de la Stib sans impacter le budget régional, a été rejeté par les institutions européennes. Enfin, plutôt que de passer son temps à renommer  »Bootik » et  »Kiosk » les guichets de vente rapide de la Stib, le ministre de la Mobilité ferait mieux de veiller à ce que le scandale des files d’attente pour l’obtention des abonnements scolaires ne se reproduise plus.  »

Ces jours-ci encore, le ministre a été accusé de  » manque de prévoyance  » : les pannes de l’ordinateur en charge de coordonner les feux d’un sixième des 480 carrefours de la capitale condamnent plusieurs grands axes à des mois d’embouteillages permanents, en attendant un nouvel équipement. Plus largement, l’opposition accuse le gouvernement de  » sortir en fin de législature un plan Iris 2 de déplacements dépourvu de toute mesure concrète « . Françoise Schepmans explique :  » La Région vient seulement de lancer l’étude d’extension du métro vers Schaerbeek-Evere. Une autre extension, vers Uccle, est envisagée. Pourquoi avoir tant attendu ? Il y a cinq ans, la déclaration gouvernementale ne contenait pas une ligne sur le sujet. Résultat : nous allons encore attendre au moins huit ans, une fois les décisions prises, avant d’inaugurer les futures stations. Madrid a réussi à construire 55 kilomètres de métro en quatre ans ! « 

Pour le directeur général de la Stib, Alain Flausch, l’automatisation de la ligne est-ouest, proche de la saturation entre Mérode et le centre-ville, est une priorité. D’autant que, de l’avis des experts, les infrastructures actuelles seront vite dépassées en raison de l’augmentation de la population bruxelloise et de la demande de déplacements.  » Le Bureau du Plan prévoit 170 000 nouveaux Bruxellois dans les prochaines années, confirme le ministre régional de l’Emploi Benoît Cerexhe (CDH). La fréquentation des transports en commun va donc s’accroître encore plus vite et quelque 30 000 voitures vont s’ajouter au trafic actuel. Cela se traduira par 120 kilomètres d’emplacements de stationnement auto en plus, soit la distance entre Bruxelles et Ostende ! Nous sommes condamnés à prendre des mesures radicales pour éviter l’asphyxie.  »

L’autonomie communale mise en cause

Quelles  » mesures radicales  » ? Comme le socialiste Pascal Smet, l’humaniste Benoît Cerexhe prône le transfert de toutes les compétences en matière de mobilité à la Région.  » Aucune ville d’Europe ne fonctionne comme Bruxelles, où 19 communes ont chacune leur politique de stationnement et leur plan de mobilité, constate le ministre, citoyen de Woluwe-Saint-Pierre. Notre gouvernement a eu toutes les peines du monde à décider un transfert partiel de ces compétences au niveau régional. Les libéraux, relais de leurs nombreux bourgmestres à Bruxelles, ont multiplié les recours.  » En revanche, le ministre de l’Emploi rejette, pour désengorger la ville, toute idée de péage urbain, solution adoptée par Londres, Stockholm, Milan… :  » J’ai passé ces cinq dernières années à me battre contre les délocalisations d’entreprises. Un péage aux frontières des 19 communes, enfermées dans le carcan institutionnel, accentuerait les départs de sociétés vers la périphérie. Ce serait une catastrophe pour Bruxelles ! « 

L’argument ne convainc pas Evelyne Huytebroeck, ministre bruxelloise de l’Environnement (Ecolo). Nous la retrouvons dans un café de la place du Châtelain, à Ixelles, où elle nous a donné rendez-vous.  » Quelle dommage, toutes ces voitures qui encombrent une si belle place « , se désole-t-elle dès notre arrivée. Des militants du MR sont occupés à coller leurs affiches électorales bleues sur la vitrine du café, juste derrière la table de la ministre verte. A peine troublée, la Forestoise poursuit :  » La délocalisation des entreprises et des commerces est un prétexte trop souvent utilisé pour éviter de prendre des mesures fortes en faveur de la mobilité. Dès que l’on touche aux capacités maximales des parkings de sociétés ou que l’on évoque l’idée d’un péage intra-urbain, nous subissons les foudres du ministre de l’Emploi et des municipalistes.  »

Un péage urbain pour  » voitures intelligentes « 

La ministre Ecolo préconise l’étude d’un péage sur la zone du Pentagone et du quartier européen. Les véhicules seraient équipés de puces électroniques, système en vigueur sur les camions en Allemagne et, à partir de 2016, sur les voitures aux Pays-Bas. Le péage serait calculé en tenant compte du nombre de kilomètres parcourus, de l’heure du déplacement et du taux de pollution de la voiture.

 » La tendance est à l’hyper-mobilité, se désole Mathieu Sonck, d’ Inter-Environnement. On a tous une bagnole dans la tête. Voilà pourquoi nos ministres ont si peu de courage quand il s’agit de prendre des mesures coercitives, considérées comme impopulaires. L’espace dévolu à la voiture doit pourtant encore être réduit.  » L’organisation Touring s’oppose précisément à ce réaménagement du réseau routier :  » Trop d’emplacements de parkings sont supprimés trop vite, estime-t-elle. Trop de rues sont privées d’une bande au profit des bus. Cela engendre le stationnement en double file et une congestion que les autorités veulent justement combattre.  »

Touring juge inacceptable de transformer des axes de liaison tels que le boulevard Léopold III et la chaussée de Louvain en  » petites rues résidentielles avec de larges trottoirs et des bandes de bus séparées. Même la Petite ceinture se transforme en boulevard d’agrément « .  » Elargir les trottoirs et installer des couloirs de bus ou des trams en site propre ne signifie pas pour autant augmenter la pression automobile, réplique Mathieu Sonck. Ni à Paris ni rue de la Loi, à Bruxelles, la vitesse moyenne du trafic auto n’a diminué après de tels aménagements.  » De toute évidence, le consensus, en matière de mobilité, a tout de l’inaccessible étoile.

Olivier Rogeau

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