Fabienne Leloup met en garde contre l'effet "feu d'artifice" dans les villes qui misent sur un modèle de développement par la culture. © Hatim Kaghat

Dossier spécial Namur: « Etre une ville culturelle stimule la créativité et l’innovation »

Se développer à travers la culture, cela fonctionne-t-il vraiment, pour une ville? Jusqu’à un certain point, selon Fabienne Leloup, spécialiste de la gouvernance territoriale.

Depuis une vingtaine d’années, beaucoup de villes ont arrimé leur développement à la culture en Belgique (Mons, Namur, Charleroi…) et en Europe (Bilbao, Matera, Dublin…). Avec succès, selon Fabienne Leloup, professeure à l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe (UCLouvain-Fucam Mons). Même si le modèle connaît quelques limites.

Pourquoi tant de villes ont-elles eu l’ambition d’utiliser la culture comme levier économique?

Cette ambition est largement liée aux années 2000. L’ère de la connaissance devient alors une évidence et on évoque avec certitude l’apport de l’industrie culturelle et créative avec la fameuse « ville créative », popularisée par le géographe américain Richard Florida. Les réflexions sur ce thème se font à l’échelle internationale mais aussi européenne puisque c’est à cette époque qu’il est question d’un agenda européen de la culture et du programme Europe créative. Le tout à mettre en lien avec une même volonté: considérer la culture comme créatrice d’emplois et de revenus alors qu’elle était classée jusqu’alors parmi les secteurs non productifs. L’emploi dans le secteur culturel représentait 4,5% de l’emploi total en Belgique en 2020 (3,6% en moyenne en Europe) contre 4% en 2015. On voit donc que ça progresse. Il y a des emplois directs, liés à l’industrie culturelle (édition, films, etc.) ou à une culture à « consommer sur place », ainsi que des emplois indirects, dans l’Horeca notamment. Parmi les activités culturelles non industrielles, on reprend par exemple les arts de la scène ou le patrimoine architectural que des villes vont mettre en évidence. Elles sont souvent liées à des efforts particuliers pour doter la ville d’une nouvelle image de marque, pour augmenter son attractivité à partir d’une nouvelle dynamique touristique ou résidentielle, à partir de ses richesses culturelles, historiques ou contemporaines.

La culture est vue aujourd’hui comme créatrice d’emplois et de revenus, cela n’a pas toujours été le cas.

Et en matière de développement territorial?

La notion de développement territorial dépasse celle de développement économique, centrée seulement sur la croissance des revenus, des emplois. Elle mise sur un ancrage durable de l’activité économique, les réseaux d’acteurs – économiques et culturels mais aussi les écoles, les associations, les opérateurs publics – et les spécificités du lieu. Elle touche alors à des aspects comme la cohésion sociale. Le plus souvent, les villes choisissent de jouer sur les deux plans, en organisant notamment des expositions ou des concerts de niveau international et en proposant des lieux de production culturelle associant professionnels, amateurs, formateurs et diffuseurs. Les premiers attirent un tourisme de masse, les seconds permettent l’émergence de dynamiques socio-économiques basées sur la valorisation des atouts spécifiques du territoire. Ce second pan d’activités relève tout autant de la culture mais, au contraire du premier, il n’est pas seulement lié à la création de revenus et d’emplois. Une série d’études ont également montré qu’en misant sur la culture, les villes, et les acteurs économiques en général, stimulent l’innovation et la créativité sur leur territoire avec des effets positifs sur les capacités et le bien-être des individus et des communautés.

Dossier spécial Namur:
© Hatim Kaghat

Quelles sont les limites du modèle?

On observe souvent dans les exemples des villes misant sur un modèle de développement par la culture un effet « feu d’artifice ». Ces villes organisent des événements culturels, ceux-ci ont un impact et provoquent des retombées mais dès qu’ils s’achèvent, les effets positifs retombent. C’est en partie – mais en partie seulement – ce qui s’est passé avec le label de capitale européenne de la culture de Mons en 2015. De façon plus générale, c’est le risque lié aux mégaprojets: on attire des grands artistes pour de grands événements mais, par définition, ceux-ci ne peuvent être que temporaires… Une autre limite est le risque d’enclavement. On le voit apparaître lorsque certaines villes décident de cibler un public ou un quartier en particulier. Une déconnexion peut alors avoir lieu entre ce public ou ce quartier et le reste de la ville. Les effets négatifs dans ce cas-là ne sont pas forcément économiques – puisqu’à ce niveau, le bilan peut être très positif – mais matière de développement territorial.

Ces vingt dernières années, Mons, Charleroi et Namur ont cherché à se positionner fermement en matière culturelle. Liège, elle, avait déjà une identité culturelle. Y a-t-il, selon vous, un risque de concurrence?

Il pourrait y avoir une certaine concurrence si chacune de ces villes, imaginons, voulait avoir son festival de musique baroque ou son musée d’art contemporain. Mais on peut aussi concevoir le développement d’une certaine complémentarité et d’une mise en réseau des activités, tout à fait possible sur un territoire de la taille de la Wallonie. Par ailleurs, si on analyse plus finement les trajectoires culturelles des villes wallonnes, on voit que, généralement, elles ne coïncident pas et que les villes ont souvent mis en avant des éléments différents.

Une ville qui mise sur la culture fait forcément de la culture pour tous?

La culture pour tous, c’est le fameux rêve de la démocratisation. Il y a eu de multiples tentatives au sein des politiques culturelles pour amener tous les publics vers la culture en jouant, par exemple, sur la gratuité, sur les horaires ou sur des éléments géographiques qui peuvent être des freins. Aujourd’hui, on en est plutôt à se dire qu’il ne faut plus considérer la culture comme quelque chose « à voir » ou « à écouter » mais aussi quelque chose que l’on « fait ». Beaucoup d’expériences tentent notamment de mêler le ludique et le culturel sans considérer que l’on dévalorise le second parce qu’on le rapproche du premier. Selon cette approche, plutôt que de tenter d’amener tout le monde au concert, on essaie, par exemple, de renvoyer les enfants chez eux avec un instrument de musique.

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