Mischaël Modrikamen  » Il faut en finir avec les partis traditionnels « 

Mischaël Modrikamen, l’avocat des actionnaires de Fortis, confirme sa tentation d’entrer un jour en politique. Il juge le système belge  » à l’agonie  » et appelle de ses voux  » un grand chambardement « . Alors, chevalier blanc ou imposteur ? Interview-vérité.

Boitsfort, l’une des communes les plus vertes et les plus riches de Bruxelles. Dans la vaste villa de Mischaël Modrikamen, à la fois son domicile et son cabinet, un grand portrait orne le hall d’entrée : celui de Winston Churchill, cigare au bec. L’avocat déborde d’admiration pour l’homme qui a cornaqué l’Angleterre au cours de la Seconde Guerre mondiale. A l’inverse, son mépris à l’égard de la classe politique actuelle grandit de jour en jour. Lors d’un précédent entretien au Vif/L’Express, au mois de mars, Mischaël Modrikamen avait appelé de ses v£ux la création d’un grand parti de droite en Belgique francophone. Cette fois, il va plus loin et met dans le même sac PS, MR, CDH et Ecolo, rendus collectivement responsables d’un  » système moribond « . Au cours des deux heures d’entretien, il apparaîtra volubile, pugnace et séducteur, comme à son habitude. Fatigué, aussi : toutes les dix minutes, il retire ses lunettes et se frotte les yeux.  » Si vous saviez comme j’ai envie de prendre des vacances, partir une semaine au soleil, jouer au tennis, au golf, nager… Mais je reporte sans cesse ça à plus tard. « 

Le Vif/L’Express : Revenons sur l’Assemblée générale de Fortis, le 28 avril, à Gand. N’avez-vous pas attisé le climat quasi insurrectionnel qui régnait ce jour-là ?

> Mischaël Modrikamen : La violence n’est pas là où l’on croit. La violence, elle se trouve dans la manière dont cette assemblée générale a été organisée pour déposséder les actionnaires historiques. De mon côté, je demandais le respect d’un principe élémentaire des assemblées délibérantes : en cas de contestation sur qui peut voter, l’assemblée elle-même doit trancher. Le jour de l’assemblée, je fais plusieurs fois la remarque au président du conseil d’administration de Fortis, Jozef De Mey. Chaque fois, il coupe les micros. J’appelle alors les actionnaires à se lever, puis à se diriger vers le podium, pour montrer leur désaccord. A ce moment-là, quelques débordements se produisent, plus symboliques qu’autre chose. Il y a un jet de chaussure, cinq ou six journaux atterrissent sur l’estrade, certains actionnaires lancent des pièces de monnaie. Pour calmer les esprits, j’ai écarté les agents de sécurité et je suis monté sur l’estrade. Et tout est rentré dans l’ordre.

>Au contraire. Face à de telles violations de leurs droits, plusieurs actionnaires étaient prêts à prendre d’assaut la tribune pour empêcher le vote. Je les en ai fermement dissuadés. Au cours de cette fameuse assemblée du 28 avril, nous sommes toujours restés dans les strictes limites de la légalité. Mais je reconnais que c’était très physique.

Comment ça,  » physique  » ?

> Il s’agissait d’une confrontation, d’un affrontement entre les porte-parole de groupes aux intérêts opposés. Je ne parle pas seulement des trente secondes que tout le monde a vues à la télé, où ça ressemble à un pugilat. L’assemblée a duré 10 heures, au total. Il régnait une tension énorme. Ce n’était pas une assemblée ordinaire. Cette assemblée devait décider du sort d’une grande entreprise et, à travers elle, de l’avenir de toute l’économie belge.

Avec le recul, vous ne regrettez rien de votre attitude ce jour-là ?

> En s’avançant vers la tribune, les actionnaires ont posé un geste fort, qui restera. Etait-ce opportun ? Cela mérite réflexion. Quant à vous dire que j’ai des regrets, que c’était une connerie : non ! J’étais l’avocat de 2 400 actionnaires, mais aussi leur porte-parole. Devaient-ils sagement rester assis face à une violation flagrante des règles ? Va-t-on nous imposer une société anémiée, moutonnière ?

Ce jour-là, vous vous êtes comporté comme un justicier, non ?

> Et alors ?

Vous considérez votre métier comme celui d’un justicier ?

> Non, non. Mais que ce dossier comporte des relents politiques, c’est l’évidence même, puisque le gouvernement est impliqué.

Quel regard portez-vous sur ces  » relents politiques  » ?

> Il me semble de plus en plus que nous assistons à une fin de règne. Les pouvoirs sont grippés, sans vision, sans ambition. Dans quel pays voit-on le Premier ministre se réjouir quand la principale entreprise vient de passer sous contrôle étranger ? Le soir même de l’assemblée de Gand, le ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht était invité sur le plateau de Phara, une émission de la VRT : là, il a déclaré qu’en démantelant Fortis l’Etat belge a commis une erreur majeure, que l’on regrettera amèrement d’ici à cinq ans. Et pourtant, aussi bien Herman Van Rompuy que Didier Reynders ont soutenu aveuglément le deal avec BNP Paribas. Où, ailleurs qu’en Belgique, une telle situation serait-elle possible ? Le système belge est à l’agonie.

Votre discours ressemble à celui de Jean-Marie Dedecker ou de la N-VA…

> Je n’ai cure de Dedecker et de la N-VA.

Mais vous dénoncez, comme eux, une Belgique bloquée, en bout de course.

> Faut-il préférer un fédéralisme simplifié, le confédéralisme ou le séparatisme ? C’est encore trop tôt pour le dire. Essayons de voir une dernière fois si le modèle belge peut fonctionner, en le changeant radicalement. Je ne plaide absolument pas pour le séparatisme. Mais, à la différence de beaucoup, il ne me fait pas peur. Le système ne s’améliorera pas sans un électrochoc majeur.

Quel pourrait être cet électrochoc ?

> Il faudra, à l’évidence, lancer un mouvement citoyen pour en finir avec les partis traditionnels. La société civile doit réinvestir la politique pour ne plus laisser libre cours aux dérives actuelles.

Aux oreilles de certains, ces déclarations pourraient sonner comme un appel à la déstabilisation du pays…

> Mais non ! Si un grand mouvement citoyen doit émerger, ce sera évidemment par la voie démocratique. C’est par les urnes qu’il s’imposera. Comme aux Pays-Bas avec Pim Fortuyn : il l’a payé cher mais, grâce à lui, la parole s’est libérée. Le politiquement correct est mort. Pim Fortuyn a décoincé la société néerlandaise.

L’émergence d’une sorte de Pim Fortuyn en Belgique francophone est-elle possible ? Pour l’instant, en tout cas, on ne voit rien venir…

> Vous avez raison. On sent une très grande aspiration à une alternative réelle, mais rien de concret ne se dessine. J’ai toutefois le pressentiment qu’il ne faudrait pas grand-chose pour déclencher ce grand mouvement citoyen. La population éprouve une profonde insatisfaction par rapport au monde politique. Tout le monde se demande : pour qui voter ? Maintenant, il n’est pas dit que je me lancerai un jour en politique. Est-ce que je peux m’adresser à une foule de 4000 personnes ? Eh bien, je dis oui. Est-ce que je mobiliserai les gens dans le futur ? Peut-être. On verra.

Aucun homme politique ne vous inspire confiance ?

> Il y en a peu qui trouvent crédit à mes yeux. J’avais du respect pour Jean Gol. Mais dans la classe politique actuelle…

En mars, vous aviez indiqué dans Le Vif/L’Express que vous vous sentiez plus proche du MR que des autres partis. Désormais, vous n’épargnez plus les libéraux. Pourquoi ?

> Je n’attends plus rien des partis traditionnels. En suivant les travaux de la commission parlementaire sur Fortis, j’ai bien vu les défauts du système proportionnel, où tous les partis se tiennent. Où l’opposition est inaudible. Il faut un changement radical. Le système démontre chaque jour qu’il est irréformable en tant que tel. Herman Van Rompuy n’est qu’un notaire. On ne peut pas diriger un pays quand on devient Premier ministre contre son gré. Depuis quelque temps, j’observe qu’un certain establishment veut à tout prix me décrédibiliser. Didier Reynders distille quelques petites phrases dans la presse, çà et là. Certains se disent : on va lui clouer le bec. Mais ça ne fait que renforcer ma détermination, non seulement dans le dossier Fortis, mais dans la perspective d’un grand chambardement.

Entretien : François Brabant

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