Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité.

Minuit moins deux avant la fin du monde

Où il est question d’une soirée d’apocalypse, de sept Jésus, d’Arielle Dombasle et de Laurent Voulzy.

Depuis un an, l’horloge du Geyser indiquait fixement 23 h 58. Cette particularité lui avait conféré pendant douze mois une distinction amusante (1). Mais ce soir, alors que l’horloge de l’apocalypse allait – ou pas – être remise à l’heure, elle indiquait surtout le lancement de baroques festivités au Geyser (2). Pour l’occasion, le café, éclairé d’un rouge vibrant, semblait en feu. Monumentale, et pourtant harmonieuse dans ses proportions, la patronne – en body couleur chair – arborait une jeune tête de cerf hirsute. Le Fleuri, le chef de salle, fuselé dans une noire combinaison de tournesol, épiait les extérieurs par la porte entrebâillée, tendu comme s’il était en train d’aviser une armée par la meurtrière d’un bastion. Dehors se déployait un tapage bariolé. Le Fleuri grimaça. Il craignait la foule. Il fonctionnait mieux, peu ou pas relié au reste. En vase clos.

La Lorelei, le visage dissimulé derrière les barreaux d’une cage à oiseaux, faisait blinquer les poupons démembrés qui gisaient au beau milieu de centaines d’assiettes cristallines disposées sur les tables. A 23 h 50, une fanfare muette fit son entrée en marchant au pas : sept hommes chevelus, en pagne et en chaussettes, portant sur l’épaule une croix de bois (3). A 23 h 55, un gars chargé d’une guitare, d’un encensoir, d’une fiole d’eau bénite et j’en passe, avança en caracolant, en levant haut les genoux. Ça lui donnait un air de cheval de dressage marchant comme une femme sur le point d’accoucher. Le musicien s’installa sur les toilettes en or qui trônaient au Geyser depuis un an et se mit à chanter (4).

A 23 h 57, tout se passait très bien. Tout le monde était ivre. Yvan Mayeur et sa taille mannequin arboraient un gilet bling-bling qui deviendrait assurément aussi mythique que la cravate bigarrée de Jacques Bredael. Dans la mélasse sonore, les tambours et les cris, le personnel du Geyser se promenait maintenant avec de l’étoupe dans les oreilles. A 23 h 58, une blonde nymphette soixantenaire, jusque là voluptueusement impassible sous un boa et la couverture d’un magazine indiquant en lettres majuscules  » Jésus ! « , fixa les  » messies  » (5). Elle avait envie de leur demander un morceau de pagne, une chaussette, un orteil même, comme on s’arracherait un morceau de la croix. Au lieu de ça, elle commanda une bouteille de Spa. Elle verrait bien lequel des sept Jésus changerait l’eau en fin.

Mais c’est pas tout ça : l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, à 20 h 15, sur la Une…

(1) A Washington, depuis 1947, en janvier, des scientifiques atomistes mettent à l’heure  » l’horloge de la fin du monde « , qui symbolise l’imminence d’un cataclysme planétaire.

(2) En décembre 1972, Marie-Hélène et Guy de Rothschild ont organisé une mémorable soirée costumée surréaliste.

(3) Dans Le Dernier Testament, le photographe Jonas Bendiksen suit sept hommes qui croient être Jésus.

(4) Laurent Voulzy fait le tour des églises, en France et en Belgique, pour y chanter Jésus.

(5) Arielle Dombasle est en Une du deuxième numéro du magazine Jésus !

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