Ministres managers, un label très flamand

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La Flandre en crise s’en remet à un gouvernement à la fibre résolument patronale et managériale. CD&V, N-VA et SP.A propulsent aux commandes des représentants du monde de l’entreprise pratiquement sans légitimité populaire. Cette tendance lourde ne séduit guère les francophones.

Un air insolite de gouvernement d’union patronale… La Flandre croit en la formule pour surmonter la crise et retrouver au plus vite la santé budgétaire. De droite ou de gauche, les trois partenaires de la nouvelle coalition flamande misent sur des managers, du privé ou du public, pour gérer les postes clés. Le CD&V a récidivé : Kris Peeters, confirmé comme ministre-président avec l’Economie en prime, a été dans une vie antérieure le patron de l’Unizo, la puissante association d’entrepreneurs indépendants flamands. Pour faire bonne mesure, le SP.A propulse comme chef de file la top manager à succès de la société publique de transports en commun De Lijn. Ingrid Lieten coiffe les instruments économiques publics. Le troisième larron réalise le coup le plus fumant. La N-VA de Bart De Wever a embauché un autre format du lobbying patronal : Philippe Muyters, administrateur délégué du Voka, le pendant flamand de l’UWE, ne fera pas de la figuration. Pour un tout premier poste ministériel, il hérite du Budget et des Finances, de l’Emploi, de l’Aménagement du territoire. Une bonne cuillerée d’Unizo, une grosse louche de Voka, un zeste de top management public. Peeters II est bien servi. Un tiers de ses postes ministériels, les plus stratégiques, est trusté par des figures managériales qui ont pour point commun de ne pas passer par les urnes avant d’embrasser une carrière ministérielle : ni Muyters ni Lieten ne sont parlementaires, pas plus que Kris Peeters ne l’était lorsqu’il entrait dans son premier gouvernement en 2004. Ce déficit de légitimité populaire ne semble guère émouvoir dans le nord du pays. Priorité à la gestion de la SA Vlaanderen. Selon des canons chers au patronat flamand, ainsi assuré de solides relais dans les allées du pouvoir politique.

De quoi faire pâlir les entrepreneurs wallons, nullement habitués à une telle symbiose. Avec les nuances qui s’imposent, Marie-Dominique Simonet, débauchée en 2004 du Port autonome de Liège pour devenir ministre CDH sans avoir été élue, fait figure d’exception.  » Les cercles de pouvoir, politique et économique, se chevauchent davantage dans la société flamande. Ce qui peut mener à des formes approfondies de coopération. En Wallonie, les rapports entre les deux milieux restent essentiellement de nature professionnelle « , observe Vincent Reuter, administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises. Historien au Centre d’études Guerre et sociétés contemporaines (CEGES), Dirk Luyten a étudié les milieux économiques flamands :  » Les organisations patronales sont plus développées, mieux organisées en Flandre qu’en Belgique francophone. Les liens entre le monde patronal et l’ex-CVP ont toujours été particulièrement étroits.  » Au début des années 1990 déjà, ils ont conduit Mieke Offeciers, alors administratrice déléguée du Vlaams Economisch Verbond (VEV), l’ancêtre du Voka, à devenir ministre CVP du Budget dans le premier gouvernement Dehaene. Sans passer par le verdict des urnes. Ce qui est volontiers admis en Flandre le serait moins dans le sud du pays. Difficile de concevoir des hommes phares du lobby patronal investis tout de go de postes clés au sein d’un gouvernement wallon.  » Aucun parti francophone ne me paraît prêt à s’inscrire dans un tel mouvement « , reprend Vincent Reuter. Question de culture d’entreprise :  » A l’image de ce qui était bon pour General Motors était bon pour les Etats-Unis, ce qui est bon pour l’économie est bon pour la Flandre. La représentation de l’intérêt général se confond avec l’économie flamande « , estime Vincent de Coorebyter, directeur général au Crisp.

Mais ce principe déjà éprouvé des vases communicants entre milieux politiques et patronaux flamands est dans l’air du temps. Il n’est pas rassurant pour le sud du pays. La N-VA ne s’offre pas seulement un serviteur de la cause patronale en la personne du ministre Muyters. Elle s’assure aussi la haute main sur l’argent flamand, le nerf de la guerre communautaire. Budget, Finances, Emploi : concentrée entre les mains des nationalistes flamands, la capacité de contrarier les intérêts francophones n’est pas négligeable. Ajoutons-y la tutelle sur la périphérie bruxelloise confiée à son autre ministre, Geert Bourgeois, et l’on se dit que la N-VA a de quoi dicter sa loi.

Pierre Havaux

Le lobby patronal est assuré d’avoir ses entrées au gouvernement flamand

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