Michelle Un roc pour Barack

Passée du ghetto noir à la prestigieuse université Harvard, la future First Lady devra se tailler un rôle sur mesure à la Maison-Blanche. Où elle restera un pilier pour la carrière de son époux.

Craig se rappelle ce soir de 1989 où sa s£ur, Michelle, était arrivée à un dîner chez les parents, accompagnée d’un inconnu au nom impossible. Entre Barack Obama et la famille Robinson, ancrée dans le South Side noir et ouvrier de Chicago depuis l’avant-guerre, ce fut comme un coup de foudre. Le courant passait si bien entre l’érudit cosmopolite, alors en première année de droit à Harvard, et le paterfamilias Fraser Robinson, contremaître à la compagnie des eaux de Chicago, que Craig et sa mère adressaient des coups d’£il inquisiteurs à Michelle.  » Ce Barack nous plaisait bien, mais j’étais déjà désolé pour lui, se souvient le frère. Connaissant ma s£ur, et le sort habituel qu’elle réservait à ses petits amis, j’étais certain qu’ellen’en ferait qu’une bouchée, avant de le recracher comme un noyau de cerise. « 

Il se trompait. Mais à entendre Barack Obama, durant la campagne, rendre hommage au  » Rocher de sa vie « , silhouette charismatique de 1,80 mètre campée à ses côtés sur les tribunes, nul ne doute qu’il a fallu au président élu autant de talent pour séduire l’Amérique que pour gagner l’intime confiance de son épouse.

Des deux, elle est la vraie Noire

Michelle Obama a su nourrir sa propre légende. Par son glamour de battante professionnelle, d’abord : cette mère de deux filles adorables est aussi une juriste remarquable, ex-avocate au sein du cabinet réputé Sidley Austin. Par le roman de sa vie, ensuite. Car la future First Lady a souvent raconté, pendant la campagne électorale, comment, pendant l’été 1989, elle avait d’abord repoussé les avances de cet entreprenant stagiaire. Journaliste au Washington Post et auteure d’une biographie de la future première dame (1), Liza Mundy souligne l’habileté politique de celle-ci :  » De tribune en tribune, elle évoquait ses réticences de l’époque, étrangement semblables à celles de beaucoup d’électeurs américains envers le nouveau venu de la présidentielle : « Ce nom ! Cette enfance à Hawaii ! »… Le message était simple. Michelle, elle aussi, l’avait jugé trop exotique, trop décalé. Avant de découvrir qu’il incarnait de profondes valeurs américaines, et un sens inégalable du service public. « 

Barack l’avait finalement séduite, cet été-là, en l’emmenant, après un film de Spike Lee, assister à l’une de ses réunions d’activiste dans le sous-sol d’une église noire du South Side, où il avait £uvré pendant deux ans, entre 1985 et 1987, comme travailleur social des ghettos. Son éloquence l’avait fascinée. Le jeune homme était, lui aussi, conquis. Longtemps déraciné, il s’était déjà résolu à revenir s’installer à Chicago, la métropole noire du Midwest, et sa passion pour Michelle reflétait aussi sa quête identitaire.

 » Des deux, elle est la vraie Noire ! confirme Liza Mundy. Son itinéraire, comme celui de sa famille, épouse parfaitement l’histoire de sa communauté. Son père est arrivé avec ses parents du Sud raciste dans les années 1930. Enfant, elle a vu son quartier multiculturel se muer en un immense ghetto après la fuite des derniers résidents blancs.  » Michelle a plongé plus profondément encore dans ses propres racines, avec l’aide de généalogistes, pour découvrir voilà deux ans qu’elle descend de Jim Robinson, un esclave enterré en 1868 dans la fosse commune d’une plantation en Caroline du Sud.

Née en 1964 et donc trop jeune pour avoir vécu la saga des droits civiques, ce symbole vivant de la méritocratie noire – propulsée, comme son frère Craig, célébrité du basket universitaire, à l’université de Princeton, puis à Harvard – a tardé à découvrir les travers de la société américaine.

Si petite et modeste que fût leur maison, sur Euclid Avenue, elle offrait un sanctuaire d’harmonie familiale. Une exception notoire aux familles à problèmes du ghetto. Marian, sa mère, était l’une des rares femmes au foyer du quartier et veillait à l’éducation exemplaire de ses deux enfants. Fraser, le père, atteint depuis l’âge de 26 ans par la sclérose en plaques, régnait sur la maisonnée comme un monarque paisible.  » Il n’avait qu’à susurrer « Je suis un peu déçu » en regardant nos bulletins scolaires pour nous faire fondre en larmes « , raconte Michelle. Aujourd’hui encore, l’ex-écolière modèle compile des listes et vit au rythme de ses agendas minutés, où sont même consignés les moments passés à jouer avec ses deux filles, Malia (10 ans) et Sasha (7 ans).

Un antidote au cruel désordre du monde qui l’a frappée dès son arrivée à Princeton. Elle garde au c£ur le souvenir douloureux de sa copine de chambrée, dans le dortoir de la fac, qui avait dû déménager du jour au lendemain quand ses parents avaient appris qu’elle partageait sa chambre avec une Noire. Pas étonnant, dans ces conditions, que son mémoire universitaire consacré aux relations interraciales sur le campus soit resté sous clef pendant toute la campagne électorale. Ni qu’elle ait pu gaffer par candeur.

En février 2008, Michelle a ainsi déclaré que la candidature de Barack la rendait  » pour la première fois fière de [son] pays « . Ces propos, jugés antipatriotiques, mais courants dans le monde  » noir « , lui ont valu d’être pendant plusieurs mois traitée comme un risque majeur par les stratèges de campagne de son mari.

Maladroite, ou trop spontanée, elle n’a pourtant rien d’une novice politique. Son père, Fraser Robinson, employé municipal et syndicaliste, organisait la mobilisation des électeurs à chaque scrutin dans le South Side. A sa mort, en 1991, Michelle, dévastée, envisage de quitter son cabinet de droit des affaires pour se tourner vers le service public. Valerie Jarrett, figure des réseaux de Chicago et bras droit du maire Richard Daley, la recrute à un poste de haut niveau de la municipalité. Cooptée depuis sa sortie de Harvard par l’élite noire de la ville, engagée dans les fondations philanthropiques de l’Illinois, Michelle accède alors au c£ur de la machine locale du Parti démocrate, qu’elle ouvre à son fiancé Barack. Ce dernier en tirera tous les avantages, obtenant en moins de cinq ans, dans une ville réputée pour être un coupe-gorge politique, son premier mandat d’élu du Sénat de l’Illinois.

Rêvait-elle d’une vie plus tranquille ?

Si elle contribue à son succès, Michelle supporte mal les conséquences des ambitions de son mari. Après la naissance de leurs filles, en 1998 et en 2001, les absences continuelles de leur père, qui siège à Springfield, capitale de l’Etat, attisent les tensions dans le couple, au point que Michelle menace un temps de mettre son veto à sa candidature de sénateur à Washington. Elle ne se lancera avec lui dans l’aventure de la présidentielle qu’ à la condition qu’il s’engage, malgré la campagne, à passer au moins un jour par semaine avec ses enfants. Sa priorité absolue.

 » Rêvait-elle d’une vie plus tranquille ? D’un mari accompli mais casanier ? s’interroge Liza Mundy. Comme beaucoup de femmes noires de sa génération et de son milieu, elle est en butte à des contradictions : l’ambition personnelle, le désir de se consacrer aux plus démunis, l’obsession pour le bien-être de ses filles.  » A la Maison-Blanche, Barack sera rarement très loin du  » Rocher de sa vie « . l

(1) Michelle Obama : First Lady, par Liza Mundy (Plon).

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P. C.

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