MICHEL DAERDEN aux confins du système PS

Il avait été ultra-dominant. Il avait été combattu. Une nouvelle génération d’hommes a pris en main les affaires liégeoises. Frédéric Daerden aura-t-il sa part d’héritage ?

Michel Daerden décédé, son héritage – politique, en tout cas – ne pèse pas bien lourd. Il y aura des choses à redistribuer, mais pas au point de susciter une nouvelle guerre des roses au sein du PS liégeois. L’homme politique avait déjà été repoussé assez brutalement aux confins du système. Avec son départ, les rangs vont encore bouger. En silence. Le mouvement est contrôlé par la proximité des élections communales et le mode de gouvernance de Willy Demeyer. Président de la fédération liégeoise du PS, bourgmestre de Liège et vice- président du Sénat, c’est, pour l’heure, l’homme de la situation. Avec Stéphane Moreau, bien sûr, le socialiste des intercommunales (Tecteo), dont chacun s’accorde à prédire la montée en puissance et qui met moins de gants que Demeyer. Va-t-il briguer un mandat parlementaire aux élections de 2014, malgré ses responsabilités chez Tecteo ? Personne ne le sait, alors que certains, comme le ministre wallon de l’Economie Jean-Claude Marcourt, le pressent de choisir entre la politique et les affaires. Le potentiel de  » désordre  » existe donc. Les alliés d’aujourd’hui sont peut-être les adversaires de demain.

Présentant ses condoléances à la famille Daerden et rappelant ce que lui devait la collectivité (le traitement des  » canards boiteux  » de l’économie wallonne, la pacification du PS liégeois après l’assassinat d’André Cools, l’arrêt du TGV à Liège), l’ancien ministre Jean-Maurice Dehousse avait insisté, dans son communiqué, sur l’  » art de vivre  » du disparu. Une épitaphe consensuelle. Les dernières années de l’homme politique sont loin d’avoir été tranquilles et non contestées : gouffre à millions de la méga-salle polyvalente du Country Hall (Sart Tilman), routes wallonnes en mauvais état, finances publiques régionales flageolantes, vie personnelle désordonnée…

De ses mésaventures à l’intérieur du parti, Daerden était sorti pratiquement déshabillé. Exilé à Saint-Nicolas (23 000 habitants) après avoir régné sur la Wallonie, la fédération liégeoise du PS et la commune d’Ans (27 000 habitants). Encore heureux : il venait d’être réintégré dans l’univers des intercommunales liégeoises dont il avait sondé à pleines mains les reins et les c£urs, en tant que réviseur d’entreprises. Mais la présidence d’Ecetia Finances (l’un des outils de la nébuleuse financière publique liégeoise) et de W Fin (filiale de Tecteo), offerte par son  » adversaire et ami de trente ans  » Stéphane Moreau, n’offraient pas de perspectives. Il y avait un accord politique sur ce reclassement, y compris avec les autres partis liégeois, mais point de latitude pour reconstruire un pouvoir personnel. Michel Daerden en avait trop abusé. Qui recueillera les miettes de cette influence ? La question ne taraude pas les dirigeants de Tecteo. C’est un sujet de rentrée mais pas le plus important.

 » La suite de l’histoire, ce sont les élections, résume un homme politique non socialiste. Après, on fait les comptes et on ré-applique la clé D’Hondt [NDLR : de répartition des influences politiques dans les organismes publics au prorata des résultats électoraux].  » Le partage des mandats, les grandes stratégies, la manifestation des ambitions personnelles, ce n’est donc pas pour aujourd’hui.  » Les gens sont en vacances, ils doivent encore se voir et se parler « , relève un cacique socialiste.  » C’est une histoire intra-PS, confirme un libéral. Comment vont-ils ressouder le parti ? On ne connaît pas les vraies relations entre Stéphane Moreau et Michel Daerden… Les gens du PS ne racontent jamais rien.  »

Difficile, donc, d’évaluer les cicatrices. Un baron en mauvaise santé éjecté de son fief par son dauphin après que celui-ci eut été démis brutalement de ses fonctions : les coups ont effectivement été rudes.  » Michel a reconnu qu’il avait commis une faute en attaquant Stéphane, confie un socialiste qui était alors aux premières loges. La preuve : il a voté lui-même sa propre sanction. Mais il était revenu dans le groupe. Parfois en conflit, mais jamais dehors.  » Faut-il imaginer que les socialistes de la périphérie qui soutenaient Michel Daerden vont se rallier sans coup férir au trio dominant composé de Willy Demeyer (Liège), Stéphane Moreau (Ans) et Alain Mathot (Seraing) ? Trop de pouvoir nuit au pouvoir. Michel Daerden l’a appris à ses dépens.

 » Frédéric Daerden a toutes les qualités que son père avait, avance Charles Janssens, bourgmestre de Soumagne, qui s’était présenté contre Willy Demeyer à la présidence de la fédération du PS liégeois. C’est un des hommes d’avenir. Avec mon soutien, s’il le souhaite.  » Tous les regards se braquent, en effet, sur l’héritier. Frédéric Daerden, bourgmestre de Herstal,  » faisait bloc avec son père même si ce n’était pas toujours confortable « , décrit un observateur. Il avait été épargné par l’épuration frappant les (mauvais) amis de son père, en devenant lui-même vice-président de la fédération liégeoise du PS. Réputé bien en cour auprès d’Elio Di Rupo, le fils va-t-il bénéficier de l’effet émotion suscité par le décès du père ? Certains, en tout cas, espèrent un geste du PS liégeois en sa faveur. Pour rééquilibrer ses chances face au  » fils Mathot  » et, surtout, face à Stéphane Moreau.  » J’espère qu’il y aura une place pour tout le monde, en fonction des disponibilités et des compétences « , lâche le bourgmestre de Soumagne.

Les  » convulsions liégeoises  » n’ont rien à voir avec des divergences doctrinales. Très impliqués dans la gestion des affaires économiques, les socialistes liégeois sont des pragmatiques, parfois des sécuritaires. Dans les conflits entre clans, le clivage est souvent générationnel mais surtout géographique : centre-périphérie.  » André Cools voulait mettre la ville de Liège dans un carcan, rappelle un ténor socialiste. Michel Daerden s’inscrivait dans cet héritage-là.  » Il n’avait pas la même vision de la ville que Willy Demeyer, par exemple. Ce dernier est favorable à une  » supracommunalité  » impliquant la création d’une communauté urbaine élargie au-delà des limites de la ville de Liège, avec de vrais leviers de pouvoirs partagés, comme à Lille-Roubaix-Tourcoing. En Europe, les grandes villes sont considérées comme le moteur de la vie économique et, à ce titre, éligibles à de nombreux subsides européens. Dès lors, tenir la vallée de la Meuse de Herstal à Seraing, sans lâcher le plateau d’Ans et le bord du pays de Herve, revêt une importance stratégique pour quiconque veut faire bouger les choses en région liégeoise.

Michel Daerden a été à la tête du Groupe de redéploiement économique du pays de Liège (GRE) créé, en 2004, à la suite de l’annonce de la fermeture d’Arcelor.  » Il n’en a rien fait « , constate un libéral liégeois. Aujourd’hui, le GRE est présidé par Willy Demeyer… La recomposition du puzzle liégeois, avec des enjeux importants pour toute la région, ne se fera pas sans quelques secousses politiques supplémentaires. Car, c’est bien connu, la nature a horreur du vide.

Marie-Cécile Royen

 » Les « convulsions liégeoises » n’ont rien à voir avec des divergences doctrinales « 

Trop de pouvoir nuit au pouvoir. Michel Daerden l’a appris à ses dépens

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