Critiquée pour avoir tardé à réagir à la crise, la chancelière manouvre pourtant avec habileté. Et reste populaire au début d’une année électo-rale décisive.
Apeine lancé le coup d’envoi de ce que les Allemands nomment la » super-année électorale « , Angela Merkel mène déjà par 1 but à 0. Dimanche 18 janvier, les conservateurs de la CDU, son parti, ont facilement remporté l’élection régionale de Hesse, l’un des Länder les plus riches d’Alle-magne, qui abrite le centre financier international de Francfort. Laminés, les sociaux-démocrates du SPD ont chuté à leur plus bas niveau historique dans la région. Ce scrutin ouvre une série de 16 consultations communales, régionales, présidentielle et européennes – qui culminera avec les législatives du 27 septembre.
Chacune de ces élections revêt une importance symbolique, psychologique et politique particulière. Dans le cas de la Hesse, l’identité du vainqueur n’a rien d’anodin. Roland Koch, 50 ans, est le ministre-président sortant. Chef de file de l’aile la plus libérale de la CDU, cet ancien avocat est en effet très à l’aise sur les sujets économiques. Or, à l’exception de son ministre des Finances, Peer Steinbrück (un adversaire politique, puisqu’il appartient, au sein de la » grande coalition « , au camp social-démocrate), Angela Merkel manque, dans son entourage, de personnalités dotées d’une vraie compétence dans ce domaine. Elle-même physicienne de formation, la chancelière est régulièrement attaquée sur ce point faible.
En décembre 2008, alors qu’il s’impatientait de voir Berlin tergiverser devant la crise, Nicolas Sarkozy avait lâché cette petite phrase, un tantinet arrogante : » La France agit, l’Allemagne réfléchit. » Le 10 janvier dernier, alors que l’Allemagne rendait public le plus important plan de relance jamais adopté par un pays de l’Union européenne (50 milliards d’euros), le président français avait rectifié le tir en mettant les rieurs de son côté : » Maintenant, c’est Angela qui agit et moi qui réfléchis. » Un rétropédalage sans effet. Côté allemand, on a peu apprécié le » trait d’esprit « .
A Berlin, la députée Angelica Schwall-Düren (SPD) résume, un brin ironique, le sentiment général : » Agir avant de réfléchir n’est pas toujours la meilleure chose à faireà » De toute façon, il en faut davantage pour ébranler Angela Merkel, qui jouit d’une forte popularité auprès de ses concitoyens. Lesquels, à une large majorité, continuent de lui faire confiance pour diriger le pays. » Les critiques à son encontre sont une constante de son parcours politique, rappelle la biographe Jacqueline Boysen, auteure d’Angela Merkel. Eine Karriere (Ullstein, 2005), qui suit sa trajectoire depuis ses premiers pas, en 1990, dans le Land de Mecklembourg-Poméranie. Je ne connais aucun homme ou femme politique qui fasse l’objet de tant d’attaques incessantes. Trois ans après son arrivée à la tête du pays, elle continue d’être sous-estimée. On lui reproche son manque de leadership ? Mais c’est précisément ce style et cette manière de rechercher le consensus qui fondent son succès. » Au reste, dans le cadre du gouvernement de grande coalition droite-gauche, où le jeu consiste à nouer quotidiennement des compromis, la méthode Merkel est la seule possible.
Les Allemands se méfient des mots
C’était méconnaître l’Allemagne que d’avoir espéré la voir démarrer, comme une BMW, au quart de tour. » La France et l’Allemagne ne sont pas dans des situations économiques comparables, reconnaît aujourd’hui un diplomate français. Nous avons connu les premiers symptômes de la crise quatre ou cinq mois avant notre partenaire d’outre-Rhin. Jusqu’au mois de décembre, l’économie allemande continuait de créer des emplois. Angela Merkel n’avait donc, a priori, pas de raison de s’affoler. » Et cela d’autant moins que les Allemands avaient le sentiment d’avoir pris, depuis cinq ans, une bonne longueur d’avance sur la France grâce aux réformes structurelles entreprises sous Gerhard Schröder, qui ont permis d’équilibrer les comptes publics et sociaux. Très – trop ? – sûre d’elle-même grâce à la baisse continue du chômage et à un excédent commercial phéno-ménal (200 milliards d’euros en 2008), l’Allemagne a eu le sentiment d’aborder la crise dans une position plutôt favorable.
» Ce que les Français ont perçu comme des atermoiements de la part de la chancelière exprime au contraire quelque chose de profondément allemand, résume le politologue et historien Klaus-Peter Sick, membre du SPD. Les Français attendent de leurs dirigeants un volontarisme affiché, tandis que les Allemands jugent leur classe politique sur les actes et se méfient des mots. Peu leur importe le brio des politiciens. Ce qu’ils exigent de leurs gouvernants, c’est avant tout qu’ils gèrent leur argent de façon solide et sérieuse. » A ce stade, c’est le sentiment qui se dégage de la gestion Merkel.
Pour autant, la chancelière sera-t-elle en mesure de conserver jusqu’à l’échéance du 27 septembre son avantage face à son adversaire social-démocrate, le ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier ? Peut-être. Mais le marathon électoral de 2009 pourrait réserver des surprises. Et créer des dynamiques favorables à l’un ou l’autre camp. Le 23 mai, le président de la République, Horst Köhler, qui appartient à la famille politique d’Angela Merkel et dont la fonction est essentiellement symbolique, devrait être reconduit dans ses fonctions, à l’occasion du scrutin présidentiel (indirect). Mais, le 7 juin, le SPD espère inverser la dynamique lors des élections européennes, où les sociaux-démocrates réalisent traditionnellement de bons résultats. A la fin d’août, l’élection du Land de Sarre s’annonce en revanche problématique pour le SPD, qui risque d’être doublé sur sa gauche par le charismatique candidat du nouveau parti Die Linke, Oskar Lafontaine. Une épine dans le pied des sociaux-démocrates : doivent-ils, oui ou non, s’allier à Die Linke, cet agglomérat d’ex-communistes et de déçus du SPD, au risque de déplaire à la frange centriste de leur électorat ? De leur côté, la Saxe et la Thuringe ont de bonnes chances de rester aux mains de la CDU, même si une incertitude plane sur ce dernier Land. Le 1er janvier, le ministre-président de la Thuringe, Dieter Althaus, a en effet été impliqué dans une collision mortelle sur une piste de ski autrichienne. Le politicien souffre d’un sévère traumatisme crânien mais pourrait être mis en examen pour homicide involontaire dès qu’il aura recouvré ses facultés. Du plus mauvais effet dans une campagne électoraleà
Une économie plus dépendante
Reste l’inconnue majeure : la crise planétaire et ses conséquences. Premier exportateur mondial, devant la Chine, l’Allemagne et son économie dépendent plus que d’autres de la situation internationale. Environ 40 % de la production nationale est vendue à l’étranger, principalement au sein de l’Union européenne. Si les consommateurs des pays industrialisés freinent leurs dépenses et si, en outre, les usines chinoises cessent de commander des machines-outils made in Germany, l’Allemagne pourrait souffrir davantage que les autres pays d’Europe. Nul ne peut prédire quel serait, alors, l’impact électoral d’une telle Katastrophe. l
De notre envoyé spécial; Axel Gyldén