» Merkel ne cesse de surprendre « 

Etienne François est historien à l’Université libre de Berlin et spécialiste de l’Allemagne. Il revient sur cette victoire qui n’est pas un triomphe pour la CDU.

Angela Merkel demeure chancelière et fera sans doute alliance, comme elle le souhaitait, avec les libéraux du FDP. Mais son parti, la CDU, enregistre son plus mauvais score depuis soixante ans. A-t-elle vraiment gagné le scrutin ?

Elle a en tout cas réussi ce qu’elle aurait voulu faire il y a quatre ans : une alliance à droite. Mais cette victoire n’est pas la sienne. C’est celle du FDP, qui a réalisé un score historique, alors que les conservateurs ont en effet reculé. Sa majorité est confortable, mais ce sera aussi plus difficile.

Qu’est-ce qui va changer ?

Sur le plan économique, le FDP est assez proche de la sensibilité politique d’un Nicolas Sarkozy. Leur slogan de campagne était comparable au sien :  » Le travail doit être payant.  » Comme le président français, ils n’ont que le mot  » réforme  » à la bouche. Mais les libéraux allemands sont aussi très attachés aux libertés individuelles : ils n’ont cessé de dénoncer le renforcement des mesures de contrôle pour lutter contre le terrorisme et restent hostiles aux écoutes téléphoniques, ainsi qu’à l’idée d’un fichier universel qui permettrait de repérer les suspects. On peut donc s’attendre à des frictions avec l’actuel ministre de l’Intérieur, défenseur de la loi et de l’ordre, Wolfgang Schäuble – si toutefois celui-ci reste à ce poste.

Angela Merkel a-t-elle la carrure politique pour diriger cette nouvelle coalition, qui s’annonce moins conciliante ?

Elle ne cesse de surprendre depuis qu’elle existe ! Elle donne l’impression de toujours vouloir adopter un profil bas, mais c’est une excellente tacticienne qui n’est jamais prise au dépourvu. Je ne vois pas pourquoi elle perdrait ses qualités.

Comment expliquer la déroute des sociaux-démocrates du SPD ?

Leur déclin ne date pas d’aujourd’hui, mais ce dernier scrutin marque une  » accélération du décrochage « . Le SPD voit son socle social s’effriter : il est à l’origine de réformes qui ont, certes, permis à l’économie allemande de redémarrer, mais elles ont aussi creusé l’écart entre les riches et les pauvres. Les membres des classes moyennes sont moins nombreux, et le nombre des travailleurs précaires a augmenté. De ce point de vue, c’est une chance pour le SPD d’être renvoyé dans l’opposition, car il était devenu l’otage de la CDU au sein de la coalition, faisant le sale boulot et laissant les conservateurs en retirer les bénéfices.

Une coalition du SPD avec la gauche radicale Die Linke est-elle envisageable en 2013, lors des prochaines élections ?

Difficile à dire. Le gros des bataillons du SPD est plutôt centriste ; ils vont devoir accepter de se repositionner plus à gauche. A mon sens, Oskar Lafontaine, transfuge social-démocrate devenu coprésident de Die Linke, constitue un obstacle à ce rapprochement, car les blessures ne sont pas encore cicatrisées. A la différence de la situation qui prévaut en France, la gauche radicale en Allemagne est déjà présente dans des gouvernements régionaux, comme à Berlin. Elle n’est donc pas seulement protestataire. Et elle veut aussi participer à la gestion des affaires publiques.

PROPOS RECUEILLIS PAR BLANDINE MILCENT

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