Une scène de Méduse.s © JULIEN POLET

Médusées

Le collectif La Gang revisite l’histoire de Méduse et aborde ce triste poncif de la mythologie grecque, toujours actuel: le viol. Une création dans le cadre de l’édition en ligne du festival Emulation, consacré aux jeunes compagnies.

Dans les images qui ont traversé les siècles, elle est déjà décapitée. Chez le Caravage (1597), elle a la bouche et les yeux ouverts, saisie dans un cri d’effroi, alors que les serpents qui forment sa chevelure semblent encore bien vivants. Dans la version sculpturale de Cellini (1554), qui trône sur la Piazza della Signoria à Florence, elle a les yeux fermés et sa tête est brandie par son meurtrier, Persée, qui piétine son corps. Mais qui était Méduse? Quel a été son parcours avant de périr sous l’épée du héros, fils de Zeus et de Danaé? C’est en inversant la perspective que le jeune collectif La Gang a choisi de relire le mythe du point de vue de la « vaincue » et en prenant l’histoire là où elle commence plutôt que là où elle finit.

Les femmes victimes de violences sexuelles, elles aussi, sont « transformées ». Comment se reconstruire après ça?

Créé en streaming live dans le cadre du festival Emulation (lire l’encadré) avant d’être présenté aux Tanneurs en juin si la Covid le permet, Méduse.s est le fruit d’un long cheminement. Cela faisait un petit bout de temps que Sophie Delacollette, Alice Martinache et Héloïse Meire, sorties en 2010 de la même promo en art dramatique à l’IAD et qui avaient déjà collaboré ponctuellement sur les projets de l’une ou de l’autre, souhaitaient monter un projet ensemble. Avec Loïc Le Foll, en charge de la création musicale et sonore et de la régie en plateau, elles forment le collectif La Gang (au féminin, comme en québécois) et assurent cette première création lancée initialement par ces questions: « D’où vient ce manque de confiance en soi qu’on peut parfois avoir en tant que femme dans certaines circonstances? Pourquoi trouve-t-on moins de femmes aux postes à responsabilité? Qu’est-ce qui les empêche de s’accomplir? » Au cours de ses recherches, le collectif tombe sur le mythe de Méduse – qui a justement un pouvoir, celui de pétrifier par son regard – et se rend compte que c’est un mythe qu’on connaît mal.

C'est pas la fin du monde.
C’est pas la fin du monde.© CELINE CHARIOT

Pas un monstre

« Dans les récits antiques, Méduse n’est au départ pas un monstre, mais une très belle femme, précise La Gang. Selon les versions, elle est soit séduite soit violée par Poséidon dans le temple d’Athéna et pour venger ses autels souillés, celle-ci la transforme en monstre, à la chevelure de serpents. » Dans Les Métamorphoses d’Ovide, c’est bien d’un viol qu’il s’agit. Un des nombreux (accomplis ou restés à l’état de tentative) recensés dans ce long poème qui compile plusieurs centaines de récits de ransformations avec, comme champions mythologiques des assauts sans consentement, Apollon et, surtout, Jupiter, ce dernier étant capable de se transformer en n’importe quoi (déesse, aigle, taureau, cygne, pluie d’or…) pour parvenir à ses fins.

« Le mythe de Méduse nous semblait résonner avec la situation des femmes actuellement, quand on sait qu’une femme sur cinq est victime de violences sexuelles, poursuit le collectif. Et ces agressions ont un impact sur leur vie. Elles aussi sont « transformées ». Comment se reconstruire après ça? » La Gang a mené une vingtaine d’interviews avec des femmes ayant traversé cette épreuve et a intégré des extraits sonores de ces témoignages au spectacle. Le collectif emploie également la vidéo, avec des images créées en direct, filmées au smartphone: « On utilise des objets, des accessoires, des fruits, et nos corps, qui sont détournés dans les images. Une grenade, filmée de très près, se transforme en charnier. » Dans la forme comme dans le fond, La Gang veut montrer qu’on peut changer de regard et, même s’ils sont ancrés dans la mémoire collective depuis des millénaires, réécrire les mythes qui nous fondent.

Méduse.s (à partir de 15 ans): le 30 avril en streaming live sur theatredeliege.be mais aussi (sous réserve) du 10 au 12 juin au Théâtre Les Tanneurs, à Bruxelles.

Cinq projets, cinq univers

Le Théâtre de Liège a décidé de maintenir son festival Emulation, dédié aux projets émergents, grâce à une édition en ligne au programme diversifié et brûlant. Cinq créations, dont Méduse.s, seront présentées en direct. Seule en scène, Camille Husson questionne dans Sexplay « nos imaginaires pornographiques ». Avec C’est pas la fin du monde, la Compagnie Que faire? conjugue… fin du monde et cuisine en live. La Ronde flamboyante, de la Compagnie Maps, s’intéresse aux rapports de pouvoir et à la question de la dette à partir de la « parabole du billet magique ». Quant à Paola Pisciottano, elle s’est penchée pendant plusieurs années sur l’influence des rhétoriques néonationalistes chez les jeunes en France, en Italie, en Grèce et en Belgique pour livrer Extreme/Malecane.

Festival Emulation, édition en ligne: du 26 au 30 avril, réservations via la billetterie en ligne du Théâtre de Liège, theatredeliege.be

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