Matthieu Pigasse  » La Grèce est une petite Europe « 

Dans un livre-manifeste (Révolutions, Plon), le patron de la banque Lazard prône un changement d’orientation radical de la politique européenne. Et trace des pistes pour un véritable redressement.

Le Vif/L’Express : Avec le nouveau plan de sauvetage de la Grèce du 9 mars dernier, l’Europe est-elle enfin tirée d’affaire ?

Matthieu Pigasse : Non ! Je connais bien le cas grec, je l’ai vécu aux premières loges en tant que conseil du gouvernement. La situation demeure très préoccupante, du fait de l’inefficacité des politiques menées par les dirigeants européens depuis deux ans. Ils ont cru que la crise n’était qu’une réplique de la crise américaine, alors que c’était une crise du modèle européen. Du coup, ils ont appliqué des remèdes in-adaptés. En Grèce, on a imposé de l’hyperaustérité à un pays qui était déjà en récession et qui n’avait plus de potentiel de croissance. De ce fait, Athènes a été entraînée dans une spirale infernale dont elle est loin d’être sortie. Or la Grèce est une petite Europe, et ce qu’il s’y passe peut survenir partout ailleurs. La France, l’Espagne, l’Italie ne sont pas à l’abri d’un scénario à la grecque. Là-bas, le taux de chômage des jeunes atteint 50 %. Mais, chez nous, si l’on prend en compte les contrats précaires, nous n’en sommes pas loin. Au total, dans notre pays, 75 % d’une génération court le risque d’un déclassement généralisé.

Comment expliquez-vous un tel aveuglement ?

Une première raison tient à l’insuffisante culture économique de nos dirigeants. Ils sont dépassés par la technicité et la complexité de la finance. Or le seul moyen pour que le politique reprenne le dessus sur les marchés, c’est justement que nos gouvernants soient capables de se réapproprier les questions économiques et financières. Nous avons aussi souffert de cette Europe inaboutie, sans harmonisation budgétaire et sans leadership politique. Cela a conduit au retour des égoïsmes nationaux, alors qu’il aurait fallu au contraire davantage d’intégration et de solidarité.

Que préconisez-vous ?

Une solution de court terme serait de faire de véritables euro-obligations. On peut commencer à mutualiser les dettes, même à deux ou trois Etats. Sans doute les pays en meilleure santé paieront-ils un peu plus cher, mais c’est comme une police d’assurance : mieux vaut payer 0,5 % de plus maintenant, plutôt que 1,5 % plus tard, lorsque tout le système aura explosé ! En contrepartie, il faut bien sûr instaurer des mécanismes de contrôle et de sanctions pour les pays qui ne font pas les efforts d’assainissement budgétaires indispensables. Au-delà, une solution de moyen terme consisterait à faire une véritable révolution : retrouver une vision, une ambition, se remettre en marche. Cela signifie favoriser le risque contre la rente, l’action contre la passivité, l’ouverture contre la fermeture. Concrètement, comment faire pour réindustrialiser l’Europe et relancer la croissance ?

Les pistes sont nombreuses : déprécier l’euro pour gagner en compétitivité, réduire la pression fiscale sur les entreprises, et surtout renouer avec la politique industrielle. L’Etat doit orienter la stratégie des entreprises quand il en est actionnaire et accompagner les sociétés privées dans leur développement. Une idée : sortons les investissements de l’équilibre budgétaire et de la règle d’or. A l’image de ce que font les Régions, distinguons budgets de fonctionnement et d’investissement. C’est le moyen de concilier retour à l’équilibre et priorité à la croissance !

Le président français a dit que vous étiez  » richissime  » et aviez  » mis tous vos moyens au service de Dominique Strauss-Kahn puis de François Hollande « . Que lui répondez-vous ?

Qu’il se trompe de cible ! L’argent que j’ai gagné, et non hérité, je l’ai investi dans des activités économiquement utiles et qui ont contribué à créer des emplois. Cela fait vingt ans que je suis engagé contre tout ce qui représente la rente, le conservatisme et la réticence au changement. Je ne suis d’aucun clan, d’aucune caste, d’aucune coterie.

PROPOS RECUEILLIS PAR BENJAMIN MASSE-STAMBERGER

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire