Marie-Louise Mumbu  » Le Congo est une grande maison vide « 

Alors que les combats font rage au Kivu, les habitants de Kinshasa mènent une autre guerre. Celle de la survie au quotidien, racontée dans un livre détonant. Rencontre.

Les soldats rebelles de Laurent Nkunda et les guerriers maï-maï, alliés du gouvernement, se livrent une guerre sanglante dans l’est de la République démocratique du Congo. Pendant ce temps, dans la capitale du pays, les Kinois se battent aussi, pour assurer leur quotidien, dans une société au bord du gouffre. Comme en témoigne le livre savoureux de Marie-Louise Mumbu, dite Bibish, une journaliste kinoise de 33 ans. Samantha à Kinshasa ressemble à une visite guidée drôle et authentique, inquiétante aussi, de la vie actuelle des Congolais.

Le Vif/L’Express : Que dit-on de la guerre au Kivu à Kinshasa ?

Marie-Louise Mumbu : On n’en parle pas. Le sujet n’est pas tabou, mais les gens ont d’autres préoccupations, préfèrent ne pas trop savoir. En outre, les informations sont très parcellaires. On est mieux informé en Belgique qu’à Kinshasa…

Dans votre livre, vous évoquez la bataille quotidienne des Kinois pour manger et envoyer leurs enfants à l’école. C’est le règne de la débrouille ?

Nous appelons ça l’article 15, soit le quinzième article de la Constitution qui n’en compte que quatorze. Au début, cet article, qui dit  » Débrouillez-vous pour vivre !  » avait été inventé par les sans-travail, les couches les plus pauvres de la population. Aujourd’hui, l’article 15 est pratiqué à tous les niveaux de la société.

Notamment par les policiers qui rançonnent les automobilistes…

Les  » roulages « , comme on les appelle, demandent un bakchich aux chauffeurs de taxi et de bus, en leur faisant un signe discret de la main. Ils trouvent un prétexte pour infliger une amende à ceux qui ne s’y soumettent pas. Bien sûr, il s’agit de corruption. Mais ont-ils le choix ? Depuis des années, les fonctionnaires ne sont plus payés au Congo, ou alors au compte-gouttes.

Et les journalistes ? Pratiquent-ils l’article 15 ?

Ah ! Chez les journalistes, on appelle ça le coupage. Lorsqu’un journaliste se déplace pour rencontrer un interlocuteur, il demande un défraiement pour le déplacement. Cela a toujours existé. Mais aujourd’hui, certains coupages sont devenus exorbitants. Une vraie dérive, surtout dans la presse écrite. Quelques journaux se battent pour mettre fin à cette pratique tenace.

Combien gagnez-vous en tant que journaliste ?

Environ 200 dollars. La moitié part pour le loyer. C’est déjà un bon salaire à Kinshasa !

Qu’en est-il de la liberté de la presse au Congo ?

Elle est très relative. C’est risqué de critiquer le président. Cela dit, mon avis est que nous n’avons pas de dirigeants. Le Congo est une grande maison vide qui nous protège juste des intempéries et nous permet d’avoir une nationalité pour voyager. Mais chacun y vit selon sa loi. Il y règne le chaos le plus total.

Par exemple ?

L’électricité. Désormais, il y a des coupures dans tous les quartiers de Kinshasa, même à Lemba ou à Gombe, plus huppés. Cela dure en moyenne entre deux et cinq jours. Personne ne se plaint. En réalité, la Société nationale d’électricité distribue le courant par quartiers en fonction des jours de la semaine ou des heures de la journée parce que des turbines des barrages d’Inga sont fichues.

Etre une femme au Congo, est-ce facile ?

Les mères ont pris la place des pères, surtout ceux qui sont fonctionnaires ou chômeurs. Elles subviennent aux besoins de la famille en allant faire les marchés, en vendant, dans la rue, du pain ou des plats cuisinés  » comme à la maison « .

On s’amuse quand même à Kin ?

C’est une ville d’ambiance, avec beaucoup de bars et de boîtes de nuit. Les Kinois se débrouillent pour faire souvent la fête car ils ne savent pas de quoi demain sera fait, donc autant en profiter.

Que représente Obama pour vous ?

Il ne changera probablement rien à notre quotidien, mais c’est un formidable espoir pour venir à bout de notre défaitisme.

Samantha à Kinshasa, par Marie-Louise Mumbu, Le CriAfrique Editions, 192p.

Entretien : Thierry Denoël

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