MANIFESTATION

Peut-on à la fois réduire les impôts et augmenter les pensions ainsi que les autres allocations sociales ? Dimanche, une manif viendra peser sur les arbitrages de l’arc-en-ciel

A côté d’une réforme fiscale de 170 milliards incluant la suppression de l’impôt de crise, voilà que la croissance revenue et les finances publiques en meilleure posture sont sollicitées, à raison de 60 milliards par an, pour une grande opération de relèvement des allocations sociales. Et cela avec l’appui des composantes rouges et vertes du gouvernement arc-en-ciel. Le succès de la manifestation prévue, à Bruxelles, ce dimanche 20 maisous la bannière générique « N’oubliez pas le social » est-il, dès lors, garanti sur facture ? Non, justement. Les arbitrages s’annoncent d’autant plus périlleux que les perspectives de croissance se sont quelque peu assombries.

Le rendez-vous de ce défilé dominical et familial – sans pétards, assure-t-on – est pris depuis des mois par les grands syndicats, les alliances mutuellistes et de nombreux autres mouvements sociaux et féminins. Les organisations libérales sont de la partie, de même que la Ligue des familles, mais pas les organisations de défense des indépendants, qui revendiquent des pensions décentes pour les leurs. L’enjeu ? « Le bien-être pour tout le monde ». Le slogan vaut son pesant de cohésion sociale et répond à la conception traditionnelle de la sécurité sociale censée jouer, à la fois, comme une assurance pour tous les travailleurs et une protection des plus faibles de la société.

Le moment serait apparemment venu d’un grand aggiornamento, non pas dans le sens d’un bouleversement, mais d’une restauration du valeureux monument de la Sécu tel qu’il a survécu aux bourrasques de deux décennies de privations. Ceux qu’on nomme les inactifs veulent manifestement leur part du gâteau redevenu comestible.

Les syndicats viennent de négocier des augmentations salariales. Mais ils constatent aussi l’évolution des distorsions sociales. En 1980, observent-ils, une indemnité d’invalidité s’élevait encore en moyenne à 44% du niveau des salaires, aujourd’hui elle n’en représente plus que 33 %. Durant cette même période, l’allocation de chômage est tombée de 42 à 28% du salaire moyen ( voir tableau).

Vous avez dit restauration ? Les signataires de la « plate-forme pour les améliorations sociales » demandent une réhabilitation du rôle d’assurance de la Sécu et le maintien du lien entre le salaire (perdu) et le revenu de remplacement. Ceci au bénéfice de tous les assurés, indépendamment du niveau de revenu. Les organisations sociales refusent que la sécurité sociale soit réduite à une simple assurance de base à élargir par des régimes complémentaires que tout le monde ne pourrait pas se payer. Il faudrait donc d’abord éviter que les revenus de remplacement soient trop bas. Un million de pensions étaient inférieures à 30 000 francs par mois en 1998. Près de 100 000 invalides touchent des indemnités minimales se situant entre 25 000 et 36 000 francs par mois.

La sécurité sociale est censée être le premier rempart contre la pauvreté. Or si le taux de pauvreté en Belgique demeure, heureusement, un des plus faibles au monde, il n’en est pas moins à la hausse.

C’est ainsi que, selon le gouvernement, 7,7% des ménages vivent au-dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 35 400 francs mensuels par couple ou moins de 49 600 francs pour une famille avec deux enfants. De même, 6,4% des isolés doivent vivre avec moins de 23 600 francs par mois. Resserrons donc les mailles du filet, semblent dire les organisateurs de la manif de dimanche.

Très concrètement, quatre demandes d’augmentations sont mises en avant:

1. L’adaptation annuelle et automatique des allocations sociales au bien-être, c’est-à-dire à l’évolution des salaires, et pas seulement à l’index.

2. Un rattrapage de 3% pour toutes les allocations.

3. Un relèvement supplémentaire de 3% pour les allocations minimales, le minimex et les allocations des handicapés.

4. Une révision de calcul des allocations de chômage des isolés et cohabitants.

La valse des milliards

La facture de tout cela ? Comment payer le printemps social ? Les organisations coalisées ont calculé que leur plate-forme coûterait 60 milliards par an. Est-ce peu ou beaucoup ?

En chiffrant les effets pécuniaires concrets pour les bénéficiaires des mesures que veut propulser la manif sans pétards, on peut les trouver bien peu explosifs. Un relèvement de 6% du minimex (adaptation au bien-être et revalorisation de 3%) ferait passer celui-ci de 29 000 à 30 700 francs pour un chef de ménage. Un invalide percvevrait 1 700 francs de plus. Les pensions minimales ne progresseraient que d’environ 2 300 francs.

Des rattrapages raisonnables en somme. Et qui, moyennant un coup de pouce du gouvernement, seraient progressivement finançables par la sécurité sociale elle-même. D’ici à 2004, les projections laissent, en effet, apparaître des excédents entre 60 et 80 milliards à l’ONSS (Office national de sécurité sociale, qui perçoit les cotisations). « Nous avons donc de l’argent pour réaliser ce que nous demandons », explique Josly Piette, le secrétaire général de la CSC, avertissant les employeurs et le gouvernement qui pourraient lorgner les futurs excédents à d’autres fins: « Pas question de les affecter à de nouvelles réductions de charges ou au financement de la réduction des impôts, ce n’est ni possible ni acceptable. » Le syndicaliste insiste aussi sur l’impact économique du « plus social »: « Son effet sur la demande intérieure et la croissance sera plus fort, argumente-t-il, que les réductions d’impôts dont une partie sera épargnée, convertie en produits importés, ou dépensée pour les vacances à l’étranger. »

Les revendications sociales vont-elles dès lors entrer en concurrence avec le plan de réductions fiscales du gouvernement qui porte sur 170 milliards ? « On ne pourra peut-être pas aller aussi loin et aussi vite que le voudrait le ministre des Finances, Didier Reynders », pense Michel Nollet, le président de la FGTB.

Les partis socialistes et écologistes relaient la plate-forme et côtoieront des partis d’opposition lors de la manif. Les Verts sont même parfois accusés de faire de la surenchère, puisque, en ces matières, leurs « 5 exigences et 25 propositions à débattre » coûteraient 80 milliards. Ils proposent notamment d’aller chercher ce financement dans la panoplie de mesures que le commissaire du gouvernement Alain Zenner (PRL) a inventoriées pour faire la chasse à la fraude fiscale.

On demande danseurs bien entraînés pour la valse des milliards. Avec de bonnes dispositions acrobatiques.

Pierre Schöffers

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