Mais où est donc né Paris ?

Au temps des Gaulois, le peuple des Parisii – qui donna son nom à la capitale française – était-il installé sur l’île de la Cité, à Nanterre ou ailleurs ? Deux mille ans plus tard, la question sème toujours la zizanie chez les historiens. De nouvelles fouilles sous la préfecture de police ajoutent un chapitre à ce polar archéologique.

« Voyez le travail, s’est écrié Albert Uderzo ; je vais devoir redessiner toutes les vignettes de Lutèce !  » Ainsi s’émouvait le père d’Astérix en 2003, lorsque le gratin des archéologues lui avait annoncé que le berceau de Paris se situait peut-être ailleurs que sur l’île de la Cité, contrairement à ce que tout le monde s’imaginait jusqu’ici. Une décennie plus tard, le dessinateur a passé le flambeau, mais le mystère reste entier. Où donc se trouve le lieu d’installation originel des Parisii, ce peuple qui donna son nom à la future capitale de la France ? Au coeur de l’actuelle Cité, où les Romains allaient ensuite édifier Lutèce, ou bien ailleurs en Ile-de-France ?

Pour mieux comprendre ce débat épineux, un petit travelling arrière s’impose, en rendant à César ce qui est à César. Dans son ouvrage de propagande, La Guerre des Gaules, le proconsul raconte son débarquement, la résistance des Parisii et l’incendie de Lutèce, en 52 avant Jésus-Christ. Peu avare de détails, il affirme que ce peuple remuant vit sur une petite île de la Seine – In insula flumini Sequanae.  » De ce texte émergea la croyance selon laquelle Paris fut bâti sur un oppidum gaulois, une place forte habitée par les Parisii, qui se situait sur l’île de la Cité « , explique Sylvie Robin, conservatrice au musée Carnavalet. Qui mettrait en doute la parole du grand César ? Personne. Et surtout aucun historien. Jusqu’à récemment.

Les Romains se méfiaient des Parisii

Il a fallu attendre 1998 et les travaux de Didier Busson, du département Histoire de l’architecture et archéologie de la ville de Paris, pour battre en brèche cette thèse. L’archéologue, qui a participé à plusieurs campagnes de fouilles et s’appuie sur les écrits de l’un de ses prédécesseurs, Théodore Vacquer – l’un des rares scientifiques à avoir observé le sous-sol parisien durant les grands travaux d’Haussmann -, propose une nouvelle lecture. Lutèce, selon lui, serait une création romaine ex nihilo, dénuée de toute fondation gauloise. Les fouilles qui se déroulent au début des années 2000 vont lui donner raison. Du moins en partie. Notamment en délimitant le fameux quadrillage si caractéristique d’une ville romaine, avec le cardo (axe nord-sud) qui se situe sur l’actuelle rue Saint-Jacques, et le decumanus (axe est-ouest), rue Cujas. Au centre se trouvent le forum (rue Soufflot) et, autour, les autres éléments de la  » parure monumentale « , qui se construisent entre les Ier et IIe siècles de notre ère. En particulier, les thermes (Cluny, Gay-Lussac, Collège de France), le théâtre (rue Racine), les arènes ou encore l’amphithéâtre. Dès lors, le scénario des origines semble se préciser : les Romains se seraient toujours méfiés des Parisii, installant pendant la guerre des Gaules une sorte de cantonnement au niveau de la butte Sainte-Geneviève afin de mieux surveiller leurs allées et venues dans les plaines alentour. Puis, à la fin du règne d’Auguste (de 27 av. à 14 apr. J.-C.), les militaires présents auraient cherché à s’installer définitivement et à fonder Lutèce. Autre argument de poids : l’absence de trace archéologique gauloise antérieure à la romanisation sur l’île de la Cité. L’oppidum dont parle César n’aurait jamais pu se trouver là. Certains archéologues vont même plus loin :  » Selon moi, la Cité n’était pas totalement formée au début de notre ère, estime Sylvie Robin. Elle était constituée de petits îlots épars sur lesquels les Romains ont édifié une sorte de plate-forme pour faire passer leurs routes.  » Busson abonde dans ce sens :  » Durant le Haut-Empire, elle apparaît comme un quartier secondaire de Lutèce, une sorte de tête de pont qui ne connaît un réel essor qu’au IVe siècle après Jésus-Christ.  »

On y perdrait son latin : si les Parisii ne se trouvent pas sur l’île de la Cité, mais restent surveillés par les Romains depuis leur promontoire de Sainte-Geneviève, où sont-ils donc installés, au temps d’Astérix ? Ailleurs, de l’autre côté de l’actuel périf ? Une possibilité largement relayée ces dernières années, à la faveur des fouilles archéologiques précédant les grands chantiers autoroutiers (A 89, A 14). Très vite, plusieurs villes se portent candidates : Bobigny, Saint-Maur-des-Fossés, Maisons-Alfort, Taverny, Meulan, Nanterre… Cette dernière semble s’imposer, en 2003, lorsqu’une petite équipe, dirigée par Antide Viand, alors au service archéologique des Hauts-de-Seine, creuse un site alluvial de 8 000 mètres carrés à l’emplacement d’une ancienne usine de ressorts située entre le RER et le fleuve.  » Nous sommes tombés sur un îlot urbain parfaitement conservé, à l’habitat typique, dense et riche de nombreux vestiges « , se souvient l’intéressé, qui oeuvre maintenant dans l’Eure. Mieux, ces travaux permettent de réviser certaines connaissances sur la civilisation gauloise, moins rustique qu’il ne semblait. Avec un artisanat de transformation – céramique, textiles, métaux – ainsi qu’un atelier de frappe de monnaies, l’agglomération apparaît rapidement comme un centre puissant qui aurait prospéré entre le IIe siècle et 27 avant notre ère.  » Le développement du site semble s’arrêter net avec le règne d’Auguste, poursuit Antide Viand. Ce qui confirme l’idée selon laquelle les Romains auraient « déplacé » la ville sur la montagne Sainte-Geneviève après la conquête.  » Une décision qui s’inscrit dans un mouvement plus large de réorganisation du territoire à l’échelle de la Gaule puisque, sous Auguste, plusieurs autres centres, à l’instar d’Autun, en Bourgogne, subissent une semblable translation d’un point vers un autre.

Quod erat demonstrandum ou CQFD, aurait-on pu s’écrier en proclamant Nanterre (Nemetodurum)  » berceau de la Lutèce gauloise  » ! Sauf que, dix ans après la découverte, cette théorie est loin de faire l’unanimité. Serait-ce moins prestigieux de localiser le Paris originel dans les Hauts-de-Seine ? Sans doute, mais cette hypothèse a surtout le désavantage de soulever plus de questions qu’elle n’en résout. Lorsqu’il rédige son texte, César pense surtout à se faire mousser auprès du Sénat, certes, mais quel intérêt aurait-il eu à situer Lutèce sur une île, ce qui n’est pas le cas de Nanterre ?  » Elle se trouve nichée au coeur d’une boucle de la Seine et, depuis le mont Valérien, le chef des armées romaines a pu confondre « , argumente Antide Viand. Le généralissime parle aussi d' » oppidum « , un terme militaire qu’il doit connaître. Or qui dit oppidum dit rempart. Ce dernier n’a jamais été mis au jour à Nanterre. Enfin, dans La Guerre des Gaules, le narrateur cite sept fois Lutèce, mais jamais Nemetodurum…

 » On n’a pas assez creusé  »

Autant d’éléments apportés par les tenants d’une Lutèce bel et bien née sur l’île de la Cité. Ceux-là ne sont plus très nombreux, mais résistent encore et toujours aux arguments apportés par les pro-Nanterre. Parmi eux, Xavier Peixoto, archéologue à l’Institut national de recherches archéologiques et préventives (Inrap), qui fouille inlassablement Paris depuis vingt ans. Et plus particulièrement l’île de la Cité. L’été dernier, il a creusé sur un petit périmètre (300 mètres carrés) sous la préfecture de police, et son équipe a exhumé plusieurs vestiges, notamment médiévaux. Lui a surtout cherché à atteindre le niveau stratigraphique gaulois.  » Nous l’avons trouvé en profondeur mais sur une douzaine de mètres carrés seulement « , explique-t-il. Peixoto veut d’abord prouver que, contrairement à ce que pensent certains de ses confrères, l’île avait déjà sa forme actuelle au moment de la conquête romaine. Il réfute par ailleurs l’argument selon lequel aucun vestige gaulois n’a été trouvé dans la capitale :  » Les traces restent peu nombreuses et éparses, concède-t-il. Mais c’est parce que l’on n’a pas assez creusé le sous-sol parisien.  » Alors qu’il attend encore les résultats définitifs des études des artefacts exhumés pour rédiger son rapport, il ajoute :  » Nous avons mis au jour sept trous de poteaux caractéristiques de l’habitat gaulois, fait de maisons en bois et en torchis.  » On est loin des constructions maçonnées telles que les pratiquèrent les Romains. Pour le chercheur de l’Inrap, les Gaulois étaient donc densément présents sur l’île de la Cité, ce qui en fait bien le berceau de Lutèce. Mieux, il date ses dernières découvertes autour de 50 avant notre ère. Donc juste après la conquête romaine et très exactement au temps des aventures d’Astérix. César n’a peut-être pas tout faux et Uderzo pourrait ne pas avoir à redessiner toutes ses vignettes.

Par Bruno D. Cot

 » Durant le Haut-Empire,

la Cité apparaît comme un quartier

secondaire de Lutèce  »

Dans La Guerre des Gaules, le narrateur cite sept fois Lutèce,mais jamais Nemetodurum (Nanterre)…

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