» Maintenir le lien citoyen-justice « 

Présidente de cour d’assises à Bruxelles et porte-parole de l’Union professionnelle de la magistrature (UPM), Karin Gérard défend le jury mais craint que la réforme en cours ne le dénature.

Le Vif/L’Express : Suite à l’arrêt de Strasbourg, prévoyez-vous, lorsque vous présidez une session, que le jury motive sa décision sur la culpabilité, comme cela se passe désormais en Flandre ?

Karin Gérard : Cet arrêt est déclaratoire et pas définitif, puisqu’il y a une possibilité de recours. Il me paraît dangereux de se substituer au législateur en changeant la pratique habituelle. Cela dit, les présidents de cour d’assises peaufinent de plus en plus souvent les questions posées aux jurés, à la demande de la défense d’ailleurs. Ce qui permet de se faire une idée finalement précise de ce que pense le jury. Soulignons aussi que la peine, pour laquelle cour et jury siègent ensemble, est motivée.

Prévoir une motivation et une possibilité d’appel pour les décisions de la cour d’assises, est-ce une avancée pour l’institution du jury populaire ?

La position de l’UPM est de dire que ces solutions sont boiteuses. Dès lors, autant supprimer le jury et professionnaliser les procès criminels. A titre personnel, je pense qu’une motivation est possible, pour autant qu’elle soit globale et qu’il ne s’agisse pas de répondre aux conclusions des parties. Sinon on rentrerait dans une procédure écrite, alors que la spécificité de la cour d’assises est l’oralité des débats. Il faudrait aussi que, comme pour la peine, les trois magistrats de la cour participent au délibéré sur la culpabilité avec les douze jurés, sans quoi cela me paraît infaisable. Mais avec une majorité qualifiée à neuf en cas de réponse défavorable à l’accusé, et ce pour assurer la prééminence du jury.

Que pensez-vous de la solution de l’appel circulaire tel que pratiqué en France ?

L’appel circulaire permet qu’une affaire soit réexaminée par un nouveau jury. Cela ne constitue donc pas un véritable appel. Il faudrait plutôt parler de recours circulaire, puisqu’il ne s’agit pas d’une juridiction supérieure. Pour moi, ce type de recours n’est possible que s’il est associé à un premier tri des affaires par une chambre compétente, comme cela se pratique en droit anglo-saxon avec la procédure leave on appeal. Car, imaginez ce que ça va coûter. Cela dit, si l’on veut respecter le principe du jury populaire, il n’y a pas de bonne formule d’appel.

La proposition de loi Mahoux vous satisfait-elle ?

Pas vraiment. Je m’insurge notamment contre la réduction du nombre des jurés et la suppression des assesseurs. Que le politique soit clair : s’il veut vraiment maintenir le jury, qu’il le fasse sans dénaturer l’institution ! Pas en créant un mouton à cinq pattes. La cour et le jury doivent rester des corps distincts. Sans cette cohérence, autant professionnaliser la justice criminelle.

Vous êtes depuis toujours une inconditionnelle du jury populaire. Pourquoi ?

C’est le seul lieu où le citoyen est associé à l’£uvre de justice. Pour marginal que ce soit, il faut maintenir ce lien. La cohérence d’une démocratie se mesure au respect qu’a le citoyen pour les institutions et donc à sa compréhension du fonctionnement de celles-ci. La cour d’assises est idéale pour cela.

Mais le droit évolue et devient de plus en plus technique. N’est-ce pas une affaire de professionnels, a fortiori lorsqu’il s’agit de crimes ?

Oui, les lois deviennent de plus en plus complexes. Mais c’est le fait du législateur, pas des magistrats. Le problème est que les magistrats du siège sont rarement écoutés par les politiques. Prenons exemple sur le Canada où l’on remet systématiquement à jour les textes obsolètes.

Un procès d’assises n’est-il pas un catch judiciaire où les parties tentent de faire vivre les émotions ?

J’ai toujours affaire à une grande correction dans les débats. Les effets de manche sont devenus très rares. De toute façon, cela ennuie prodigieusement les jurés qui font souvent preuve de bon sens.

Entretien : Th.D.

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