Magritte infatué

A l’occasion d’un bilan tiré après un an d’existence, les gestionnaires du musée Magritte se jettent des fleurs. Où sont les chiffres, crénom ?

D’accord, c’est un très beau musée monographique, moderne, interactif, technologique, écologique, accessible aux moins valides, et tout et tout. Sombre et froid (mais c’est pour la bonne cause, la conservation des £uvres d’art), il fait office de modèle du genre : lisse, propre, brillant comme un sou neuf. Et riche, bien sûr : doté du plus vaste ensemble de créations de René Magritte au monde, il présente quelque 250 pièces uniques (peintures, dessins, gouaches, affiches, sculptures, lettres, photos et partitions de musique de l’artiste). Né de l’association de trois pôles financiers (GDF Suez, la Fondation Magritte et l’Etat belge), il apporte enfin la preuve qu’un partenariat culturel privé/public est jouable, en dépit des embûches et réticences. Mais ce Musée Magritte Museum (MMM) manque d’humilité… Ou plutôt, c’est à ses gestionnaires qu’un peu de modestie fait défaut. L’autre midi, l’arrivée d’un nouveau venu, L’Assassin menacé (1927), grand tableau appartenant au Museum of Modern Arts (Moma) de New York, qui le prête pour une durée de quatre mois, coïncidait plus ou moins avec la célébration du premier anniversaire du musée bruxellois (il a ouvert ses portes le 2 juin 2009). Un exposé devait tirer le bilan d’un an d’existence. Raté : l’occasion a donné lieu à une séance d’autocongratulation, où l’on a surtout mis l’accent sur un don : Charly Herscovici (président de la Fondation Magritte, et héritier des droits de reproduction du peintre) a offert à Michel Draguet (directeur général des Musées royaux des beaux-arts de Belgique) l’authentique  » press-book  » de l’artiste, gros recueil d’anciennes coupures de presse annotées. Cet objet, en réalité, ne change pas réellement de mains. Appartenant à Herscovici (qui l’avait reçu indirectement de son amie Georgette, la veuve Magritte), il atterrit désormais au MMM, dont la Fondation Magritte, que dirige Herscovici, est un des membres associés… Ce même jour, la part belle fut aussi faite au lancement prochain, à l’ULB, d’une chaire internationale articulée autour de l’£uvre de Magritte. Draguet y assurera personnellement l’un des modules en 2011. Il est piquant de noter que le patron des Beaux-Arts, également professeur à l’ULB, en sera le titulaire administratif… En revanche, zéro donnée comptable, et aucun égard pour la représentante new-yorkaise du Moma, qui avait fait le voyage en même temps que  » son  » tableau, et dont le discours n’a pas eu l’heur d’être traduit. On en cherchera ensuite vainement la trace dans le dossier de presse. Pis : le nom de cette spécialiste américaine n’est mentionné nulle part.

Business

Bref, voilà des gestionnaires qui font mousser leur business, dans des opérations marketing un peu trop clinquantes. Certes, le MMM est remarquable. Il pratique une politique de rotation des £uvres qui le rend particulièrement vivant. Ainsi, le 11 janvier dernier, il accueillait pour un an deux tableaux en provenance de la Menil Foundation de Houston, un musée texan au fonds d’archives Magritte exceptionnel. En août, ce fut le tour de deux autres prêts temporaires, issus de collections particulières. Et ce n’est pas fini. Ces accrochages/décrochages ont pour but de fidéliser un public belge. On le sait, l’écart reste grand entre l’énorme célébrité de Magritte à l’étranger (c’est, dit-on, le peintre chéri des Américains) et le peu d’intérêt (scientifique, voire populaire) en Belgique. On aurait aimé, à ce titre, disposer des chiffres détaillés des fréquentations du MMM. Plus de 550 000 visiteurs en quinze mois, affirme-t-on.  » Et pas que des Japonais ! s’enflamme Herscovici. On a eu les Rolling Stones, Paul Simon et Paul McCartney !  » [ NDLR : c’est déjà l’ex-Beatles qui avait acquis les lunettes du peintre mises aux enchères dans les années 1980…] Plus d’un demi-million de visiteurs, c’est fameux. Mais combien de Belges parmi eux ?

Valérie Collin

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