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Luuk van Middelaar

Philosophe et théoricien politique néerlandais, il a été la plume d’Herman Van Rompuy, premier président permanent du Conseil européen.

Pendant cinq ans, Luuk van Middelaar a été un insider dans le cockpit de l’Union: de 2010 à 2014, il a fait partie du cabinet du premier président permanent du Conseil européen, le Belge Herman Van Rompuy. A ce titre, le philosophe et historien néerlandais a vécu, au plus près, l’agitation et les affrontements européens au moment de la crise de la dette grecque et de la zone euro. Dans son dernier livre, Quand l’Europe improvise: dix ans de crises politiques (Gallimard, 2018), il analyse les réactions des dirigeants européens en situation d’urgence, face à l’adversité et l’imprévu.

L’Italie et l’Espagne n’ont pas voulu être traitées comme la Grèce l’a été en 2012.

La réponse européenne à la crise de la Covid-19 est-elle à la hauteur du marasme économique actuel?

Le choc est d’une ampleur sans précédent. Il a fallu improviser, inventer du neuf, sortir des cadres préétablis. Les dirigeants européens n’ont pas changé formellement les traités européens, mais c’est presque cela. L’absence des Britanniques pour cause de Brexit a déforcé la position des pays « frugaux » et facilité la conclusion d’un accord. La solidarité européenne s’est concrétisée à travers un fonds de relance basé sur de la dette commune. Pour la rembourser, il faudra mettre en place une fiscalité européenne. D’habitude, je n’emploie jamais l’adjectif « historique » pour qualifier un événement, mais dans ce cas-ci le mot n’est pas galvaudé.

Pourtant, en avril, le chacun pour soi a mis en péril l’unité européenne. C’est la gravité de la crise qui a conduit au sursaut?

Je reconnais qu’on revient de loin. Dans un premier temps, les Etats membres et la Commission n’ont pas su répondre au cri de détresse de l’Italie, premier foyer européen de contamination. Les tensions entre pays et la perte de confiance de l’opinion publique italienne à l’égard des partenaires européens et des institutions communes ont ébranlé l’édifice européen. C’est presque devenu une question de vie ou de mort. Un premier accord, encore modeste, a permis la mobilisation de la Banque centrale européenne et des autres instruments financiers pour soutenir l’économie des Etats membres. Cela s’est fait rapidement grâce aux leçons tirées des crises précédentes. Mais il fallait aller plus loin. L’Allemagne a entendu la plainte des pays du Sud qui ne voulaient pas être traités comme la Grèce l’a été en 2012. La force rhétorique de la solidarité a fait le reste.

La convergence de vues entre Emmanuel Macron et Angela Merkel a refait du couple franco-allemand le moteur de l’Union?

C’est en fait un triangle qui s’est formé: Paris-Berlin-Commission. Macron et Merkel ont négocié la réponse à la crise en étroite collaboration avec Ursula von der Leyen. Le vieux philosophe allemand Jürgen Habermas et Clément Beaune, le jeune secrétaire d’Etat français chargé des Affaires européennes, ont, à juste titre, comparé les trois au trio Mitterrand-Kohl-Delors qui avait relancé le projet de marché intérieur. En mai, Angela Merkel a fait franchir à son pays deux lignes rouges: primo, la Commission est autorisée à emprunter massivement sur les marchés. Secundo, pour aider les pays membres fragilisés par la crise, elle pourra distribuer des dons, pas seulement des prêts. Berlin considère ces subventions comme un cadeau ponctuel, lié à la pandémie, mais à la Commission certains y voient un précédent sur lequel se bâtira l’avenir.

Que penser de la clause qui conditionne le versement des aides européennes au respect de l’Etat de droit?

Je crains qu’elle se révèle inefficace. Le respect de l’Etat de droit ne se mesure pas comme un taux de CO2 dans l’air. Il y a une part d’appréciation politique dans le respect des critères.

Les orientations du budget européen à long terme vous satisfont?

Il y a un manque d’ambition collective dans ce budget. Mobilisés par la pandémie, les Vingt-Sept ont raté une occasion de se doter dès maintenant d’un grand projet de souveraineté numérique. Il aurait fallu réorienter massivement les investissements vers les nouvelles technologies.

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