Londres de choc à Avignon

Avec Simon McBurney, la Grande-Bretagne fait son entrée dans la cour d’honneur du palais des Papes, haut lieu du Festival d’Avignon. Mais comment va le théâtre au pays de Shakespeare et d’Elisabeth II ? Il est jeune, percutant, irrévérencieux.

Il pleut sur Londres en ce joli mois de mai où le peuple britannique s’apprête à célébrer le jubilé de sa gracieuse souveraine. Ce grand théâtre de la royauté, où chacun tient son rang comme dans une pièce de Shakespeare, ne connaît pas, ou plus, la crise. On ne saurait en dire tant de l’autre, celui qui se joue sur les planches dans des établissements à l’ambiance délicieusement surannée où, pour annoncer le début du spectacle, un jeune homme agite une cloche en parcourant les escaliers de haut en bas. Les fins de mois sont de plus en plus problématiques. Pourtant, en dépit de la baisse catastrophique du peu de subventions qu’il touche malgré tout , le théâtre anglais est l’un des plus connus du monde. Et pas seulement du fait de William S. ni de Harold Pinter. Mais comment fait-il, dear ? Enquête à Londres, alors que l’Anglais Simon McBurney traverse la Manche pour aller présenter son Maître et Marguerite au Festival d’Avignon et que la ville se prépare à recevoir les JO, autre grand terrain de jeu.

 » Sans les Anglais, Broadway pourrait mettre la clé sous la porte « , estime le critique du Guardian Michael Billington, épaté de voir les succès du West End, un quartier londonien, majoritairement à l’affiche des théâtres new-yorkais. Ce qui fait la différence entre la Grande-Bretagne et le reste de l’Europe, ce sont bien sûr les comédiens, réputés parmi les meilleurs du monde. Et les auteurs, qui, chouchoutés, n’ont pas besoin d’être morts pour exister. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter la programmation du Royal Court Theatre, pépinière de jeunes talents plantée sur Sloane Square, ou celle du National Theatre, proche de la Tamise. Comment ne pas citer, aussi, l’indépendant petit Tricycle, sis dans le quartier populaire de Kilburn et dont l’ancien directeur artistique Nicolas Kent a commandé, en 2009, 15 textes sur la colonisation britannique de 1842 à la guerre en Afghanistan. Pièces documentaires, genre spécifiquement british, politiques et sociales, tous les sujets qui fâchent sont abordés par la nouvelle scène londonienne, lointaine héritière des  » jeunes hommes en colère « . Né en 1956, ce mouvement donna naissance au théâtre moderne en Angleterre avec une pièce signée John Osborne, où la classe ouvrière tenait le rôle principal. Dix ans plus tard, l’énorme  » succès de scandale  » de Saved (Sauvés), d’Edward Bond, provoquera l’abolition de la censure dans le pays. Puis vinrent le  » néobrutalisme « , Sarah Kane, Mark Ravenhill et d’autres, qui squattent aujourd’hui les scènes européennes.

Mais les temps ont changé. Après des décennies consacrées aux marginaux, à la misère mentale et physique, les dramaturges ont pris le parti de s’intéresser à la classe moyenne. Ce qui ne les empêche pas d’aborder les sujets épineux, mais en mêlant divertissement et profondeur, comédie et sérieux, avant-garde et grand public.

Egalement acteur et ancien directeur littéraire au National Theatre jusqu’en 2010, Chris Campbell martèle :  » Les auteurs que nous aidons ont la vingtaine et, à 30 ans, ils sont déjà connus et joués en Europe, comme Simon Stephens et Dennis Kelly. La moitié d’entre eux sont des femmes et on ne compte plus les Anglo-Caribéens ou Anglo-Nigérians tant ils sont nombreux. Quant aux pièces que nous programmerons l’année prochaine, elles ne sont pas encore écrites, pour la bonne raison que nul ne connaît l’actualité des mois à venir.  » Ce qu’on appelle du  » théâtre journalisme « , très en vogue ici. Le meilleur du genre est peut-être représenté par Stuff Happens, de David Hare, pièce sur la guerre du Golfe avec des personnages nommés Tony Blair ou George W. Bush. Ou encore Jerusalem, triomphe du moment à partir d’un texte sur les rapports israélo-palestiniens. Mais ce qui marche le mieux, à Londres, c’est Posh (BCBG, en français) , de Laura Wade. A l’affiche depuis six ans dans le West End, le spectacle fait les manchettes des journaux parce qu’il dénonce, sur un mode très méchamment satirique, un club ultrachic de l’université d’Oxford auquel, justement, certains membres du gouvernement avaient appartenu. Dans un pays où la notion d’ascenseur social n’existe pas, Posh montre la confiscation du pouvoir par les rejetons barbares des familles qui l’exerçaient depuis quatre siècles. Au royaume de Sa Gracieuse Majesté, si l’Etat ne s’occupe pas des artistes, les artistes, eux s’occupent de l’Etat. A méditer.

LAURENCE LIBAN

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