Le West Side Story de Spielberg se passe exactement à la même époque que l'original, dans un New York des années 1950 aussi vrai que nature. © BELGA IMAGE

Les variations Spielberg

Soixante ans après Jerome Robbins et Robert Wise, Steven Spielberg signe une nouvelle adaptation cinématographique de West Side Story, la célèbre comédie musicale créée à Broadway à la fin des années 1950. Anecdotes et secrets de fabrication.

Le 26 septembre 1957, le chorégraphe et metteur en scène américain Jerome Robbins présente West Side Story au Winter Garden Theatre de Broadway. Sur une musique de Leonard Bernstein, des paroles de Stephen Sondheim et un livret d’Arthur Laurents, ce drame lyrique appelé à devenir culte s’inspire ouvertement du Roméo et Juliette de William Shakespeare pour raconter un amour impossible et tragique sur fond de violente rivalité entre deux gangs de jeunes New-Yorkais: les Jets, issus de la classe ouvrière blanche, et les Sharks, qui appartiennent à la deuxième génération d’immigrés venus de Porto Rico. Electrisant, le spectacle est un succès immédiat, et se décline quatre ans après sur grand écran en une superproduction brûlante de modernité, pas moins de dix Oscars à la clé.

Ce film est probablement le plus intimidant de toute ma carrière.

Six décennies plus tard, un monstre sacré du cinéma se pique de se frotter à son tour à ce véritable monument de la culture populaire. « Ce film est probablement le plus intimidant de toute ma carrière », se plaît à dire aujourd’hui Steven Spielberg, qui a toujours rêvé d’un jour réaliser une comédie musicale. Persuadé que les grandes histoires peuvent être racontées encore et encore, il y revisite tous les moments phares et les éléments iconiques du West Side Story d’origine en y insufflant sa petite touche personnelle et sa sensibilité propre. Ce qu’il détaillait lors d’une vaste conférence de presse virtuelle donnée quelques jours à peine avant la sortie du film. Morceaux choisis.

Un rêve de gosse

« En un sens, c’est comme si la partition de West Side Story avait toujours fait partie de mon ADN. Vous savez, j’avais 10 ans quand, en 1957, mes parents ont ramené le disque chanté par la troupe de Broadway chez nous à Phoenix, en Arizona. Ils n’avaient pas vu le spectacle mais ils avaient acheté l’album. J’avais une petite platine Victrola dans ma chambre et je me souviens d’avoir emporté le vinyle pour l’écouter. Plus tard, lors d’un repas en famille, je n’ai pas pu m’empêcher de fredonner la chanson de l’agent Krupke: « Mon père est un bâtard, ma mère est une… » Mes parents étaient scandalisés, bien sûr. « Où as-tu appris à parler comme ça? », m’ont-ils dit. « Sur le disque que vous avez acheté », ai-je bien été obligé de leur répondre. Ils ne m’ont pas interdit de l’écouter. Mais ils étaient clairement nerveux à l’idée que je ramène encore d’autres expressions ordurières à la table familiale. »

Une affaire de famille

« Avec tous les acteurs et l’équipe du film, nous avons vraiment formé une famille très soudée. A vrai dire, c’est ma plus belle expérience de groupe depuis le tournage d’ E.T., l’extraterrestre au début des années 1980. Sur le plateau d’ E.T., j’étais un peu comme un père pour tous ces gamins. Pourtant, on ne peut pas dire que j’étais très adulte ou mature à l’époque… Mais cette expérience avec tous ces enfants m’a donné envie de devenir père, justement. Mon premier enfant est d’ailleurs né trois ans seulement après le tournage du film . Tout le travail sur West Side Story m’a vraiment donné le sentiment de faire partie d’une famille très ouverte et diversifiée à nouveau. Et, cette fois, on ne peut même pas dire que j’étais le pilier central de toute cette tribu, c’est comme si j’en étais juste un membre parmi d’autres. J’ai adoré cette expérience. »

Les variations Spielberg
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Un voyage dans le temps

« Nous n’avons jamais envisagé de transposer l’action au présent. Pour nous, il était évident qu’il fallait que cette nouvelle version se passe exactement à la même époque que l’originale. Pour plusieurs raisons. D’abord, il n’y a rien de daté dans la musique originale de West Side Story. Elle est tout simplement intemporelle. C’est même assez incroyable de constater à quel point elle est toujours vivante, absolument pas démodée. Aucun besoin de la moderniser, donc. Et puis, Stephen Sondheim, qui nous a hélas quittés récemment, était un immense parolier. Il avait cette capacité dingue à nous faire entrer dans la tête des personnages… Le langage qu’il utilisait était vraiment emblématique de celui des jeunes des rues en 1957. Ça n’aurait pas eu de sens de transposer ces chansons dans le contexte de 2021. »

Une ville personnage

« Je crois que New York est plus que jamais un personnage en soi dans cette nouvelle version. Recréer et capturer l’esprit de ce qu’était la ville il y a plus de soixante ans était un fameux défi. Mais si vous cherchez bien, cet esprit est toujours bien vivant dans certains coins de certains quartiers. Le New York des années 1950 est toujours présent dans des endroits bien précis de Brooklyn, du Queens, du Bronx ou d’Harlem… C’est là que nous sommes allés. Mais aussi à Paterson, dans le New Jersey, qui nous a en quelque sorte servi de ghetto. Certains bâtiments n’y ont pas changé depuis des décennies. Au final, nous avons dû assez peu faire appel aux ordinateurs pour retrouver le New York d’antan. Même si, bien sûr, nous avons dû gommer de manière numérique les antennes paraboliques, par exemple, ou les climatiseurs… Par contre, nous avons physiquement recréé cinq blocs de ruines du West Side. C’était quand même un gros boulot… »

Un look sale

« Il était clair pour moi que le look du film, des rues, devait avoir quelque chose de sale, de blême… Je voulais que ces garçons aient l’air affamé et aussi qu’ils aient vraiment l’air jeune. Hors de question de prendre des acteurs de 38 ou 39 ans pour jouer des ados de 18. Au final, tous ceux que nous avons auditionnés pour camper les Sharks et les Jets avaient moins de 23 ans. C’était pour moi très important. Tout comme une certaine dureté de l’image et la pauvreté urbaine du cadre. Parce qu’au fond, ces gamins se battent pour un territoire appelé de toute façon à disparaître. On le sait aujourd’hui avec le recul. C’est pour ça que le film démarre sur une grosse boule de démolition utilisée sur les chantiers. Ces gosses se déchirent à mort pour des détritus, un gros tas de ferraille, rien que de la poussière… J’espère que l’on sent à la vision du film ce sous-texte politique annonçant les grandes transformations urbaines à venir et les malheurs qu’elles pourront occasionner. »

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