Les promesses de l’été

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Léthargique depuis dix-huit mois, la croissance économique européenne devrait reprendre des couleurs à la mi-2002, un peu après les Etats-Unis. Mais le chemin n’est pas dépourvu d’embûches

La reprise, non peut-être ? Jamais la formule, typiquement bruxelloise, ne se sera autant justifiée que dans cette curieuse période conjoncturelle. Tous, gouvernements, entreprises, citoyens, espèrent retrouver la voie de la croissance, après que l’économie mondiale eut été ébranlée par les signaux de récession ici et là, et par les attentats du 11 septembre. Tous y aspirent, oui, mais, comme toujours en cette incertaine matière, le doute persistera jusqu’au bout sur la concrétisation de ce souhait légitime. « Sur le principe de la reprise, il y a unanimité des conjoncturistes, relève un expert. C’est parfois dangereux. »

Certains indices plaident néanmoins objectivement pour une reprise de la croissance. La décélération est patente depuis la mi-2000, soit depuis 18 mois: à l’époque, la croissance du PIB (Produit intérieur brut), en Belgique, était retombée à 2 % après avoir frôlé les 5 % entre 1999 et 2000. Alors qu’un début de reprise était annoncé pour la fin de l’année dernière, les attentats du 11 septembre ont prolongé l’attente de plusieurs mois. « A la mi-2002, cela fera deux ans qu’on recule, observe Baudouin Velge, directeur du département économique de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). C’est beaucoup. » Assez, en tout cas, pour prédire que, sauf cas de force majeure, la croissance économique devrait repartir dès le printemps aux Etats-Unis et à partir du 2è semestre en Europe et en Belgique.

Alan Greenspan, le joker

L’intervention financière massive et rapide des pouvoirs publics américains après les attentats, la politique de réduction des impôts décidée par l’administration Bush, le prix modéré du pétrole, conséquence d’un accord de limitation de la production mondiale signé le 31 décembre 2001 pour une période de six mois, la correction significative des stocks et les taux d’intérêt planchers décidés par la Réserve fédérale américaine (Fed) devraient favoriser une reprise rapide, outre-Atlantique. Alors qu’elle avait réduit son taux principal de 6,50 % à 1,75 % entre janvier et décembre 2001, l’institution dirigée par Alan Greenspan a d’ailleurs ostensiblement accrédité l’idée d’un redémarrage de l’économie en s’abstenant d’intervenir une nouvelle fois, le 30 janvier dernier. Contre toute attente, la croissance économique américaine a en effet évolué positivement (+ 0,2 %) au dernier trimestre 2001, incitant les uns et les autres à évoquer la fin d’une période de récession entamée en mars. Pour cette année, le gouvernement Bush table sur une croissance très modérée de 0,7 %, qui devrait déboucher sur une progression de 3,8 % en 2003. Pour la première fois depuis 1997, les Etats-Unis renoueront aussi avec le déficit budgétaire, à la suite d’un investissement dans le secteur de la Défense.

Après avoir remarquablement négocié la passe fort délicate des attentats en n’y laissant que 0,2 % à 0,5 % de son PIB, voilà donc l’Amérique sur le point de rebondir et de reprendre, une fois de plus, son rôle favori de moteur de l’économie mondiale. Le pire semble passé.

La reprise de la croissance ne relève, pourtant, pas de l’évidence. Car la menace de nouveaux attentats n’est pas totalement exclue et le chômage – un indicateur qui réagit toujours avec retard sur l’évolution de la conjoncture – est relativement élevé (5,6 % en janvier). Depuis mars, 1,4 million d’Américains ont perdu leur emploi. L’endettement extérieur du pays reste, en outre, impressionnant: il représente 4 % du PIB et induit une vulnérabilité importante face aux sources de financement extérieures. Et le trou budgétaire creusé par la politique militariste de George W. Bush devra bien être comblé un jour.

Enfin, les Américains ne semblent pas parvenus au bout de la restructuration globale de leur économie, rendue nécessaire par l’affaiblissement de la conjoncture et l’explosion de la bulle boursière née autour des nouvelles technologies.

L’affaire Enron fait des vagues

Pour toutes ces raisons, le risque d’un scénario en « W » reste réel: dans cette sombre hypothèse, la reprise américaine annoncée pour le printemps serait très rapidement suivie par un nouveau plongeon de l’économie.

A cet égard, la récente débâcle du courtier en énergie Enron n’incite guère à l’optimisme. « Cette affaire pose des questions fondamentales sur la qualité de l’information économique et sur les défaillances du système de contrôle boursier, explique un expert du monde bancaire. Or la Bourse ne peut fonctionner qu’avec une confiance totale dans l’information donnée. Il va donc falloir revoir les règles comptables actuellement appliquées aux Etats-Unis, ce qui créera une incertitude pour les entreprises. A long terme, cet assainissement constitue évidemment une bonne chose, mais, dans l’immédiat, ces modifications auront un impact certain sur la reprise de la croissance. »

L’économie mondiale n’est pas non plus à l’abri d’une aggravation des événements au Moyen-Orient. En cas d’embrasement général de la région, les prix des produits pétroliers, compris entre 18 et 22 dollars le baril, repartiraient immédiatement à la hausse. Les propos agressifs du président Bush à l’égard de l’Iran et de l’Irak ne sont pas non plus de nature à calmer le jeu pétrolier.

A quand la parité ?

Les places financières, en tout cas, affichent clairement leurs préférences: en privilégiant le dollar au détriment de l’euro, ils parient sur une reprise de la croissance plus rapide et plus forte aux Etats-Unis qu’en Europe. « L’euro devrait néanmoins s’apprécier dans les prochains mois pour atteindre 0,95 ou 0,96 dollar, prédit Olivia Galgau, du département d’économie appliquée de l’ULB (Dulbea). Il pourrait même atteindre la parité (1 dollar = 1 euro), d’ici à la fin de 2002. »

Les analystes reconnaissent en effet que la monnaie européenne est sous-évaluée par rapport au billet vert, même si sa faiblesse favorise les exportations au départ du Vieux Continent. L’enjeu est ailleurs. « Il faut qu’un rapport de confiance s’établisse entre les cambistes et la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), explique Frank Lierman, directeur du service d’études chez Artesia. Les prises de position divergentes au sein de son directoire doivent cesser. » Plus généralement, les marchés ne croient pas à la capacité de la zone euro à se montrer réellement compétitive – de larges pans de son économie restent encore à moderniser, en matière de transport ou d’énergie, entre autres – ni à occuper la place à laquelle elle prétend sur la scène internationale.

« Depuis l’époque Delors-Kohl-Mitterrand, l’Europe manque de poids politique », observe Baudouin Velge (FEB). « Les responsables politiques pourraient ouvrir de nouveaux chantiers qui augmenteraient la confiance en l’idée européenne, embraie Frank Lierman (Artesia). Puisqu’ils ont fait le choix de l’Europe, ils devraient prouver leur volonté de concrétiser ce choix jusqu’au bout. Si la Grande-Bretagne rejoignait la zone euro, par exemple, ce serait un immense coup de pouce pour la monnaie européenne. »

Il y a, hélas, peu de chance pour que le projet européen progresse beaucoup dans les prochains mois. Les élections qui s’annoncent en Allemagne et en France risquent de paralyser toute initiative d’envergure à court terme.

La zone euro devrait néanmoins bénéficier de la reprise de la croissance, mais avec un brin de retard sur le continent américain. Le PIB devrait s’y afficher en hausse de 1,3 % cette année, pour une inflation ne dépassant pas 1,8 %. « La récession a épargné l’Europe, observe Igor Lebrun, expert au Bureau du Plan, mais la mauvaise situation de l’Allemagne a des conséquences néfastes sur toute la zone euro. » Il est vrai que la première économie du Vieux Continent frise le seuil des 4 millions de chômeurs. De plus, elle prévoit un déficit public d’au moins 2,5 % cette année, ce qui lui a déjà valu un avertissement de la Commission européenne. En 2001, sa croissance n’a pas dépassé 0,6 % du PIB, soit son niveau le plus faible depuis 1993.

Le casse-tête du budget belge

En Belgique, l’économie devrait, elle aussi, reprendre vigueur à partir du second semestre 2002. Vigueur ? Le terme est sans doute audacieux. Les prévisions des conjoncturistes évoluent actuellement entre une croissance de 0,6 % et de 1,3 % en 2002. L’inflation devrait se limiter à 1,3 %. La tâche sera sans doute rude pour les pouvoirs publics, déjà familiarisés avec les surplus budgétaires (+ 0,1 % en 2000 et + 0,2 % en 2001). Le gouvernement a en effet élaboré son dernier budget en misant sur une hypothèse de croissance de 1,3 % et sur un solde budgétaire positif de 0,3 %, postulats qui pourraient faire l’objet de modifications lors du contrôle budgétaire attendu dans les prochaines semaines (lire aussi p. 22). « Le PIB reste mauvais, estime Bart Hertveldt, analyste au Bureau du Plan. Un PIB en hausse de 1 % seulement pendant deux années de suite ne permet pas de mettre en oeuvre toutes les politiques prévues. » Contrairement au gouvernement, plusieurs instituts de recherches économiques, comme l’Ires (UCL) ou le Dulbea (ULB), s’attendent à ce que, à mesures inchangées, 2002 s’achève sur un déficit budgétaire compris entre 0,2 % et 0,7 %. « Il faut laisser le déficit filer, jusqu’à – 1 % si nécessaire, estime pour sa part Ronald Janssens, économiste au service d’études de la CSC. Pour se donner de la marge, le gouvernement pourrait aussi stimuler la consommation en augmentant les allocations sociales. » Il est vrai que le marché de l’emploi, déterminant pour la consommation privée, a directement pâti du ralentissement conjoncturel. Marqué par la faillite de la Sabena, il risque de devoir attendre de très longs mois avant d’apercevoir l’éclaircie.

Lire aussi le Baromètre des placements.

Laurence van Ruymbeke

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