rosanne mathot © xzarobas

Les pralines de Frankenstein

Où il est question de l’anniversaire de Frankenstein et du nouvel occupant poilu du café Geyser.

Un cri surnaturel ricocha sur les murs du café. Une plainte ascendante qui partit ensuite en glissant vers le grave. Un hurlement plein de chagrin. Ou de triomphe. Pas facile à dire.

– Tu as nourri le chien ? cria-t-on, depuis la cuisine.

– Depuis quand on a un chien ? interrogea Goliarda, la serveuse, derrière son comptoir.

– Si on n’a pas de chien, c’est qu’on a un loup, conclut le vieil Heinrich, l’homme à tout faire.

Dehors, un gars massif l’avait entendu aussi, ce hurlement trémulant. Ça lui plut férocement.  » Chouette alors, un loup ! Un siècle que je n’en ai pas vu !  » Un klaxon hargneux le fit sursauter. Tout sourire, l’inconnu poussa la porte du café (1).

Goliarda vit entrer un gaillard en guenilles, avec de gros yeux révulsés, enfoncés profond dans une bouillie blanche, vaguement verdâtre, surplombée de cheveux noirs touffus tombant dru jusqu’au milieu d’un front bas. Elle étouffa un pépiement d’effroi. De grossières balafres couraient en point de croix partout où la peau du type s’offrait aux regards.

Plutôt qu’un homme, c’était une créature. Affreuse. Misérable. Du genre film d’horreur. Mais à l’air jovial, presque sympa. De fait, l’être indéterminé, écrasant sa clope entre des dents gâtées, fêtait son anniversaire. Il entendait faire ça avec panache. S’il était venu en Belgique, c’était d’abord parce que c’était l’autre pays du chocolat, avec sa Suisse natale (2). Et s’il y avait bien un truc qui le rendait heureux, c’était les pralines. Il avait aussi très envie de goûter enfin à la bière. A 200 ans, il était temps.

– J’ai entendu chanter votre loup, alors je suis entré.

– Mais, nous n’en avons pas, de loup… balbutia Goliarda qui lui servit en mode automatique un demi, tout en apercevant, tapi sous une table, un quadrupède aux dents luisantes, avec des yeux comme des tisons. Il y eut alors, dans le café, un deuxième cri. De femme, cette fois. Heinrich accourut. Aperçut les deux monstres. Chercha une fourche. Une torche enflammée. Ne trouva ni l’une, ni l’autre. Attrapa un plumeau.

– C’est un loup, je te dis, Goliarda !

– Ou une louve ! On ne sait pas, commenta, goguenard, le client qui ne quittait plus la pulpeuse serveuse des yeux. Il remonta le long du visage de la fille, jusqu’à la splendeur d’un sourcil, s’arrêtant longuement sur le point rouge d’une bouche. L’alcool aidant, il sentit naître quelque part, dans son ventre, une tension picotante : le prélude au désir ?

– Je crois (hips) que votre serveuse me tient par les couilles.

– Ah non, pas de vulgarité ! s’exclama Heinrich, en agitant son plumet imbibé de colère.

– Bon, les testicules… c’est idem. De toute façon, quand on tient un homme par ce bout-là de son anatomie, tout le reste finit par suivre : l’âme, le coeur… Tout. Non ?

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, sur la Une, à 20h15…

(1) Pour la première fois en un siècle, un loup vient de faire son entrée en Belgique.

(2) Frankenstein fut écrit, en Suisse, en 1816, par Mary Shelley et publié en 1818.

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