Les ombres souveraines

Guy Gilsoul Journaliste

Marc Trivier ne retouche aucune de ses photos. Pis, le cadrage n’est pas son affaire. Et pourtant, ces images-là vous fouettent le cerveau

En dépit des thèmes variés, la soixantaine de photographies réalisées par Marc Trivier ces vingt dernières années balisent un parcours où tout finit par converger. Mais vers quoi? L’arbre, l’homme, l’animal paraissent habités par une même angoisse, une identique fierté, une peur noire. Les images tirées des abattoirs et les portraits de peintres et d’écrivains célèbres (Francis Bacon, Jean Genet) ont fait la réputation de ce quadragénaire baroudeur. L’homme n’a jamais cessé de marcher mais, comme Giacometti (dont il a photographié les oeuvres), dans un espace de poussières avec des fonds qui aspirent les figures et des figures qui se noient dans les ombres. Chez Trivier, les hommes ressemblent aux bovins que l’on mène à la mort, aux porcs et même aux crochets d’acier qui suspendront les bêtes dans le vide. Trivier nous le prouve: l’homme de génie n’est pas plus immortel que le fou ou l’anonyme que le photographe capte dans son vieux Rolleiflex. Ils tremblent tous (et Trivier en premier) comme les champs de fleurs, un toit d’ardoises, une petite fille. Alors, l’artiste laisse la parole aux gris de photographes. Entendez, à cette vision non plus d’un homme, mais d’un créateur dont le mode de pensée se confond désormais avec celui de ses outils. Une vision de formes découpées au scalpel et d’autres, brumeuses jusqu’à l’opacité rampante. Aucune retouche ne viendra corriger la vision.

Trivier ne se préoccupe pas davantage d’un cadrage millimétré. Enfermés dans les bords du négatif, les images sont d’autant plus troublantes qu’on les sent échapper à leur auteur et nous affronter, souveraines, droit dans les yeux. On l’aura compris: si les sujets choisis s’ancrent bien dans la réalité, ils ne sont messagers d’aucune moralité et pas davantage de revendications. Trivier n’enquête pas. Il voit ou, mieux, entrevoit, brutalement et tout d’un coup, au détour d’un instant, en oblique d’une expérience.

à Luxembourg. Casino-Forum d’art contemporain, 41, rue Notre-Dame. Jusqu’au 24 février. Tous les jours, sauf le mardi, de 11 à 18 heures. Nocturne le jeudi jusqu’à 20 heures. Tél.: +35-2-22 50 45.

A lire: Le Paradis perdu. Différents textes et lettres de Marc Trivier ainsi qu’un entretien avec Yves Gevaert. Ed. Yves Gevaert.

Guy Gilsoul

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