Les nouveaux raiders

Emmanuel Paquette Journaliste

Venus du Mexique, de Hongkong ou d’Egypte, les milliardaires des pays émergents fondent sur les opérateurs téléphoniques les plus fragiles. Dans leur collimateur : l’Europe.

Un Mexicain, un Chinois et un Egyptien viennent de s’inviter à une partie de Monopoly mondiale. Trois joueurs, trois fortunes amassées dans leurs pays respectifs grâce à la téléphonie fixe et mobile et qui, ces derniers mois, avancent leur pion sur le Vieux Continent. Ils s’appellent Carlos Slim, Li Ka-shing et Naguib Sawiris, et pèsent ensemble la bagatelle de 100 milliards de dollars, selon le magazine Forbes. Ce trio sonne l’heure de la revanche des pays émergents venus faire leurs emplettes aux Pays-Bas, en Irlande, en Autriche et, peut-être bientôt, en France. Quand le Sud achète le Nord. Sur ce Monopoly, les petites maisons vertes ont cédé la place aux enseignes des réseaux télécoms, et les noms des pays ont succédé aux odonymes du célèbre jeu. Jusqu’alors, ce sont les mastodontes européens qui multipliaient les conquêtes : France Télécom en Afrique et au Moyen-Orient, Vivendi au Brésil et au Maroc, l’espagnol Telefonica en Amérique latine ou le britannique Vodafone en Inde et en Afrique du Sud.  » Un changement structurel est en train de se produire, par lequel les opérateurs des pays émergents vont réaliser de plus en plus d’acquisitions et de fusions « , prévoit une étude récente de la banque HSBC.

La première à se lancer se nomme America Movil. La société de télécoms de Carlos Slim a jeté son dévolu en mai dernier sur la case Pays-Bas et son champion national KPN, assez mécontent de cette opération inamicale. L’entreprise néerlandaise compte 36 millions d’abonnés grâce à ses activités en Allemagne (E-Plus) ou encore en Belgique (Base). Parallèlement, l’homme le plus riche du monde s’est invité au capital de Telekom Austria. Loin d’être rassasié, le septuagénaire lorgne à présent du côté de l’Espagne avec la cession en cours du quatrième acteur local, Yoigo. Les discussions sont vives. Si ce veuf entreprenant sait en effet se montrer généreux lorsqu’il s’agit de créer à Mexico le musée Soumaya, du nom de feu son épouse, il a la réputation de ne rien lâcher en affaires. Et celles-ci ne manquent pas !

Un marché européen en crise et très concurrentiel

Le secteur est tombé à son plus bas niveau de valorisation depuis dix ans. Dans ce contexte, une quinzaine d’entreprises seraient susceptibles d’être vendues.  » Les grands acteurs comme France Télécom ou Telefonica sont endettés et cherchent à sortir de certains pays non stratégiques. Il y a de bonnes opérations à réaliser pour peu que vous ayez les ressources financières et le savoir-faire « , confirme Aldo Mareuse, co-PDG d’Accelero Capital, également en embuscade. Le fonds tout juste créé appartient en partie à Naguib Sawiris. Cet homme d’affaires égyptien est l’aîné d’une célèbre fratrie, héritière de l’une des plus grandes dynasties africaines qui a bâti sa richesse dans la construction publique. Sa holding Orascom Telecom, présente au Pakistan, au Bangladesh et en Algérie, a détenu, un temps, l’opérateur Wind en Italie. Mais pourquoi diable revenir sur le Vieux Continent – un marché frappé par la crise, très concurrentiel et où le taux d’équipement est déjà élevé ?  » Il existe encore des marges de man£uvre importantes pour réaliser des économies, justifie Nicolas Teisseyre, consultant chez Roland Berger. De petits pays européens comptent quatre ou cinq joueurs. C’est trop. Des rapprochements semblent inévitables. Cela permettrait de limiter les frais sur la maintenance des réseaux et de mutualiser les investissements sur les déploiements en cours des infrastructures 4G ou de la fibre optique. « 

Une voie suivie par le milliardaire hongkongais Li Ka-shing. Cet autodidacte a fait ses débuts dans les affaires en vendant des fleurs en plastique avant d’arrondir sa fortune dans la santé et la beauté. Sa société, Hutchison Whampoa, est présente depuis longtemps en Europe à travers l’opérateur Three. En Autriche, l’octogénaire vient de débourser 1,3 milliard d’euros pour fusionner avec Orange Austria. Mais l’opération est mal embarquée. La Commission européenne a décidé d’ouvrir une enquête approfondie sur ce rapprochement. En Irlande, le groupe a tenté la même stratégie avec Eircom qui, lui, a repoussé l’offre. En attendant que le vent tourne, Three Irlande vient de conclure un accord de partage de réseau avec Vodafone.

 » Toutes ces sociétés font un pari audacieux mais légitime, estime François Candelon, directeur associé au Boston Consulting Group. Jusqu’ici, la Commission européenne a toujours pris parti pour les consommateurs afin d’alléger leurs factures en baissant le prix des communications. Ces décisions ont affaibli les acteurs locaux à l’heure où ils doivent investir dans de nouveaux réseaux. Leurs rivaux des pays émergents en profitent et parient sur un changement de logique à Bruxelles.  » Commentaire de Stéphane Richard, PDG de France Télécom :  » Nous sommes des géants aux pieds d’argile. « 

En attendant les titans China Telecom et China Mobile

L’inquiétude des grands acteurs paraît d’autant plus légitime que plusieurs autres joueurs du Sud pourraient entrer dans la partie. China Telecom attend ainsi patiemment son heure. Fort de 144 millions d’abonnés au mobile dans l’empire du Milieu, ce colosse s’intéresse de près à l’Europe. Certes, il n’a pas encore ouvert son carnet de chèques pour réaliser des acquisitions. Mais il cherche déjà à tirer profit des Jeux olympiques de Londres pour lancer ses activités au Royaume-Uni. Son service, CTExcelbiz, s’appuie sur le réseau de France Télécom et de Deutsche Telekom pour proposer des tarifs attractifs à la population chinoise présente outre-Manche. Un pas que n’a pas encore franchi China Mobile (et ses 683 millions d’utilisateurs). Sans aucune dette, cet autre titan chinois peut techniquement mobiliser 116 milliards d’euros pour mettre la main sur France Télécom, Telecom Italia, Deutsche Telekom et Telefonica ! Rien que ça. De quoi prendre pied dans ce vaste Monopoly, non pas avec de petites maisons vertes, mais bien avecà d’énormes hôtels rouges.

EMMANUEL PAQUETTE

Dans un secteur à son plus bas niveau de valorisation depuis dix ans, une quinzaine d’entreprises seraient susceptibles d’être vendues

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