Pour ce spécialiste des questions de défense, « les moyens de l’Otan ne sont pas adaptés »
L’Otan peine à faire face aux nouvelles menaces et à la montée en puissance d’acteurs inédits, analyse le spécialiste des questions de défense Joseph Henrotin.
L’Otan vit-elle une période particulièrement troublée ?
A l’Otan, il y a l’organisation, et derrière, l’Alliance atlantique. Beaucoup les considèrent comme synonymes. Or, ce n’est pas tout à fait le cas. L’Alliance atlantique est l’infrastructure politique ; l’organisation est la superstructure opérationnelle. La seconde fonctionne plutôt bien. C’est moins évident pour la première. Tous les Etats membres sont-ils véritablement sur la même longueur d’onde en matière de menaces, de politiques à mener, notamment du fait de la Turquie, mais pas seulement, elle qui a tendance à développer une stratégie autonome ? L’Otan n’est pas une organisation supranationale en tant que telle. Cette dimension-là y est minime et repose sur le secrétariat général et le quartier général. L’essentiel dépend des Etats qui gardent une liberté de manoeuvre.
L’Otan n’est-elle pas très divisée sur l’attitude à l’égard de la Russie ?
Il y a une certaine unanimité pour considérer que la Russie est aujourd’hui le principal facteur d’instabilité en Europe. Au-delà de ce constat, la France et, dans une certaine mesure, la Belgique ont lancé des initiatives visant à renouer les liens avec Moscou. Elles ne sont pas particulièrement bien vues à Varsovie où la vision est très antirusse. Or, l’investissement de la Pologne en matière de défense ces dernières années est remarquable. Ses forces armées sont sur le point de devenir les premières en Europe. Cela se vérifie déjà dans le domaine des chars.
La reconfiguration de l’ordre mondial autour d’une confrontation Etats-Unis vs Chine, de plus en plus amie de la Russie, ne redonne-t-elle pas une utilité à l’Otan ?
Oui. Le sommet de Newport au Royaume-Uni, en septembre 2014, qui s’est tenu après l’annexion de la Crimée a été l’occasion d’une piqûre de rappel du rôle historique de l’Otan, à savoir la défense territoriale de ses membres avec, en plus, de vrais questionnements sur les nouvelles menaces, la cybercriminalité, la désinformation, l’ingérence dans les politiques intérieures. Mais l’Otan a beau s’accorder sur le nom des trublions, survient ensuite la question des moyens. Face à une invasion militaire, ils sont bien rodés. Mais ils sont moins adaptés à la lutte contre les nouvelles menaces. En cas d’agression contre un Etat membre, le principe » Un pour tous, tous pour un « , défini dans l’article 5 de la charte de l’Otan, s’applique. Sur les nouveaux terrains de confrontation, les choses ne sont plus aussi claires. Une cyberattaque peut venir de Russie ou de Chine. Elle peut aussi provenir de Turquie et se faire passer pour russe. Or, les alliances aiment la simplicité.
La donne stratégique s’est-elle complexifiée ?
Les années 2010 resteront comme celles de la projection de puissance. En 2000, on n’aurait pas imaginé les Saoudiens envahir le Yémen, les Emirats arabes unis intervenir en Libye, la Turquie s’imposer comme actrice des conflits en Syrie et en Libye, même si elle avait déjà mené des incursions en Syrie et en Irak contre les forces kurdes mais avec l’accord des gouvernements locaux. Comment l’Otan va-t-elle réagir aux stratégies d’acteurs majeurs comme la Chine ou la Russie et de seconds couteaux, sachant que la Turquie en fait partie ? La question se posera inévitablement.
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