Les mots et les actes

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Alors que l’attitude de Mgr Danneels face à la victime de l’évêque de Bruges a suscité l’indignation sort, en version française, le dernier livre du cardinal, où il témoigne de sa longue expérience dans l’accompagnement des jeunes abusés. Malaise.

Que faire d’un tel livre ? Comment ne pas éprouver un certain malaise à sa lecture ? Dans son dernier ouvrage, Relève-nous lorsque vivre fait mal (Fidélité), Mgr Danneels témoigne de son expérience dans l’accompagnement des victimes de maladies, d’échecs ou d’abus. Les auteurs -le livre est cosigné par Iny Driessen, une spécialiste en sciences religieuses – assurent qu’ils ne sont  » pas restés indifférents aux nombreuses formes de fragilité et de souffrance « . Ils ont  » cherché des moyens qui donnent à ceux qui sont au plus bas la force de se relever : écouter longuement, reconnaître, ne pas fuir la douleur, au contraire, la regarder en face et agir en conséquence.  »

Le livre est publié en langue française au moment même où le cardinal se retrouve englué dans l’affaire Vangheluwe. La transcription de la conversation du 8 avril entre Danneels et le neveu de Roger Vangheluwe, l’évêque pédophile de Bruges, révèle un cardinal saisissant de froideur, cherchant à se dérober ( » Je n’ai rien à voir avec tout cela « ) et plus soucieux de la réputation de l’Eglise que du sort de la victime. Lors de l’entretien, Danneels s’emploie à dissuader le neveu, abusé sexuellement par son oncle évêque pendant treize ans, de divulguer les faits. L’image d’homme d’écoute et d’ouverture associée à l’ex-archevêque s’en trouve passablement écornée, comme l’indiquent de nombreuses réactions d’indignation au sein même de l’Eglise.

 » Ce livre peut susciter le rejet « 

 » Par un malheureux hasard de calendrier, le nouveau livre de Danneels sort au pire moment, reconnaît Jean Hanotte, directeur des éditions Fidélité. La traduction de cet ouvrage, paru voici deux ans dans un néerlandais difficile, a été d’une complexité extrême. Sa sortie était prévue avant juillet, mais à cause des événements qui secouent l’Eglise et le cardinal, nous l’avons reportée à la fin août, le temps que la pression médiatique retombe. Pas de chance, elle est remontée en flèche !  » L’éditeur ne se fait pas d’illusion :  » Le livre ne sera pas un succès de librairie. Il peut mettre mal à l’aise, voire, dans une première phase, susciter le rejet. Nous avons vendu pas moins de 8 000 exemplaires de Confidences d’un cardinal [NDLR : un livre-interview de Danneels paru l’an dernier], mais plus un seul depuis que Mgr Danneels est dans la tourmente.  »

Dans la préface de ce livre-là, Herman Van Rompuy, alors Premier ministre, décrivait son ami Danneels dans des termes hagiographiques : c’est  » un homme de réconciliation « , qui  » trouve les mots qui guérissent et apaisent comme un baume… En lui, la foi n’est plus commandements, interdits, mais attention, soin, compréhension… Le cardinal incarne ce que l’Eglise peut offrir de meilleur à nos compatriotes « . Autant de louanges qui paraissent aujourd’hui  » décalées « .

 » Vous attendez un bon Samaritain « 

Pour justifier le manque d’empathie de Godfried Danneels à l’égard de la victime de Roger Vangheluwe, l’avocat du cardinal, Me Fernand Keuleneer, a jugé son client  » mal préparé  » à la médiation brugeoise du 8 avril. Pourtant, dans son dernier livre, Danneels fait état de sa bonne connaissance du vécu des victimes d’abus sexuels et des réactions des familles.  » Etre abusé par des familiers que l’on aime, par un ami de la famille ou une personne de confiance, ce sont là des gouffres qui se creusent intérieurement, écrivent Danneels et Iny Driessen […]. Qu’il s’agisse d’un abus isolé ou quotidien, nous sommes désarticulés, presque « manipulés génétiquement » […]. Le « moi » meurt et le « toi », l’autre, l’abuseur est intégré comme un nouveau « moi »[…]. La victime commence par protéger son agresseur et elle se refuse à toute conversation ultérieure […]. Beaucoup d’enfants abusés développent très tôt un grand désir de rendre chacun heureux au sein de la famille. Ils s’efforcent de protéger soigneusement les membres de la famille, à cause de la douleur qu’ils éprouvent de se savoir eux-mêmes sans protection […]. Vous attendez un bon Samaritain qui aura le souci de vous soigner au passage […]. « 

Cette expérience accumulée au contact de personnes abusées ne semble pas avoir servi le cardinal lors de sa rencontre avec la famille Vangheluwe. Comme le reconnaît Danneels lui-même, il voulait surtout éviter un scandale public qui n’aurait profité à personne.  » Sa froideur ne me surprend pas, confie un prêtre. En tête à tête, cet homme introverti pouvait être glacial et montrer peu de signes de compréhension ou d’apitoiement. Il a toujours été plus affable lors de fêtes locales, au contact de gens simples. Ou dans de doctes assemblées, où il savait briller. « 

Un autre ecclésiastique, proche de Danneels, estime que le cardinal, malgré ses fréquents contacts avec des personnes souffrantes, n’était pas apte à gérer une situation d’abus sexuel commis par un membre du clergé.  » Issu d’un milieu de paysans catholiques flamands, il s’est retrouvé confronté à des drames sordides trop étrangers à sa propre culture. A sa décharge, Danneels n’avait pas la formation qui lui aurait permis de jouer le rôle du bon Samaritain. « 

Danneels préférait changer de sujet

Quand, à la veille de son départ à la retraite, on demandait à l’archevêque quel avait été l’événement le plus pénible de ses trente années à la tête de l’Eglise, Danneels répondait sans hésiter :  » Ma convocation au palais de justice de Bruxelles dans une affaire de pédophilie, il y a quelques années. Je ne souhaite pas à mon pire ennemi de vivre un moment comme celui-là !  » Le primat de Belgique a en effet comparu, en 1998, dans le procès de l’abbé Vanderlyn, le prêtre pédophile de la paroisse de Saint-Gilles. Jugé civilement responsable en tant que supérieur de l’abbé pervers, le cardinal avait finalement été blanchi. Mais l’épreuve l’avait atteint. Il préférait changer de sujet.

Pas surprenant : ce dossier a surtout mis en évidence la volonté de l’épiscopat et de Danneels lui-même d’étouffer l’affaire. Informé par le délégué général aux droits de l’enfant du viol d’un jeune garçon lors d’un camp de vacances au printemps 1996 et des aveux partiels de l’abbé Vanderlyn, le cardinal avait conclu hâtivement à l’innocence du prêtre, laissé en contact avec des jeunes. Une attitude qui a fait grincer des dents quand l’abbé a fini par avouer le viol, ainsi que sept autres ! Treize ans après ce scandale, le comportement de Danneels dans l’affaire Vangheluwe provoque des grincements de dents autrement plus bruyants.

OLIVIER ROGEAU

 » écouter longuement, reconnaître et agir en conséquEnce « 

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