Claudine Houbart, historienne de l'art, professeure à l'ULiège. © Hélène de Mol

 » Les mesures de protection ne concernent qu’une petite partie du patrimoine « 

Pour l’historienne de l’art et professeure à l’ULiège Claudine Houbart, les bâtiments de la période moderne sont les parents pauvres des procédures de classement. L’entretien régulier devrait aussi être davantage encouragé.

Le patrimoine en Belgique francophone est-il bien géré, entretenu, restauré ?

Globalement non, même s’il faut nuancer. Toute la question dépend de ce que l’on appelle le patrimoine. En vertu des législations en Région wallonne, le patrimoine est perçu, en théorie, dans une conception assez large, tant au plan chronologique que typologique. Ce n’est plus, comme il y a cinquante ans, le  » gratin  » des bâtiments les plus importants. Mais, en réalité, les vraies mesures de protection mises en place par la législation continuent à ne concerner qu’une toute partie de ce corpus, qui n’est même plus représentatif aujourd’hui de la diversité du patrimoine. La mesure principale de protection est le classement. En Belgique francophone, on classe très peu depuis le début du xxie siècle. Et les bâtiments qui le sont représentent ce que l’on considérait comme le patrimoine il y a cinquante ans. Donc, globalement, le patrimoine n’est pas bien protégé. Tous les jours, des éléments en disparaissent, ou on en maltraite d’autres. Cela étant, je ne lance pas un plaidoyer pour que l’on classe ou que l’on protège plus, au sens de la loi actuelle. Il ne faut pas rêver. On ne peut pas étendre à un ensemble aussi important des mesures consommatrices de budget. Mais le corpus des bâtiments qui fait l’objet aujourd’hui d’un classement ne correspond pas à celui des édifices qu’il faudrait absolument conserver tels qu’ils sont. Il est urgent de réfléchir à ce qu’il est prioritaire de protéger et à quel degré. Aujourd’hui, on gère l’héritage d’une situation passée. Parfois, cela fonctionne, parfois pas.

Il y a une plus grande culture de l’architecture moderne et contemporaine en Flandre.

Privilégie-t-on aujourd’hui la protection d’infrastructures importantes au détriment de plus petites ?

Le problème ne se pose pas par rapport à la taille des bâtiments mais plutôt en matière de typologie. On a d’abord classé des châteaux, des cathédrales, des églises. Puis, on a étendu la protection à des habitations, etc. Le patrimoine a continué à s’élargir sous l’angle chronologique aux oeuvres du xixe siècle, puis à celles du xxe siècle, ensuite à l’architecture industrielle. De nouvelles typologies se sont ajoutées. Sauf que l’on n’a pas continué à classer parce que les budgets ne sont pas extensibles à l’infini. Donc, des éléments patrimoniaux qui sont considérés aujourd’hui comme tout aussi importants qu’une cathédrale ou qu’un château ne sont pas classés.

Avez-vous un exemple d’infrastructures qui ne bénéficient pas de classement ?

Toute l’architecture de la période contemporaine, xixe et xxe siècles, est sous-protégée par rapport à sa présence dans notre espace public et aux valeurs qui lui sont reconnues. Cette architecture-là est très peu protégée. En Région bruxelloise, on commence à classer certaines productions du xxe siècle. Cela arrive aussi en Région wallonne mais de façon très anecdotique. L’exemple de l’Observatoire de Cointe, à Liège, bâtiment universitaire du xixe siècle, est révélateur. Il a fallu des années de combat et de mobilisation pour qu’il soit classé. Ces bâtiments ne sont souvent protégés qu’au terme de longues luttes. Sinon, soit ils disparaissent, soit ils sont dénaturés lors de rénovations. Pour moi, la clé de la problématique réside dans la sensibilisation et la formation. Aujourd’hui, le public a un pouvoir assez fort, à travers les médias sociaux, les mobilisations… Mais malgré tout, une grande partie de la population reste peu concernée par ce patrimoine-là.

Vous travaillez avec des collègues universitaires en Flandre. La situation y est-elle différente ?

Même si les choses sont en train de changer en Belgique francophone, j’ai l’impression que, de manière générale, il y a en Flandre une plus grande culture de l’architecture moderne et contemporaine, y compris pour les nouvelles productions. Depuis longtemps, la Flandre a mis en place un dispositif, le Vlaams bouwmeester, qui veille à la qualité de la production architecturale. Celui-ci a été installé progressivement à Bruxelles et arrive maintenant en Wallonie. Il existe aussi dans les facultés d’architecture une formation plus solide sur ces matières-là. La préoccupation pour le patrimoine contemporain percole donc mieux dans la société. Puisque nous n’avons pas les moyens en Belgique francophone de mettre en place des politiques fortes avec un bon financement permettant de fixer des règles que l’on pourrait assumer, il faut agir par le bas. Il faut que les architectes soient mieux formés, que la population soit plus sensibilisée. Les Journées du patrimoine sont un outil extraordinaire. Mais il faudrait aussi sensibiliser la population à tous les types de patrimoine, même si un effort est déjà mené en ce sens.La prévention devrait aussi être développée. On s’aperçoit que des bâtiments sont en très mauvais état au moment où l’on commence les travaux. Tous les documents de principes édictés depuis le xixe siècle stipulent que leur sauvegarde commence par leur entretien. Des politiques devraient être mises en place en ce sens. La Région wallonne accorde, il est vrai, des subsides pour la maintenance des bâtiments. Mais elle aurait intérêt à tirer la leçon de la pratique en vigueur en Flandre. Là, un organisme, Monumentenwacht, s’occupe spécifiquement de cette dimension. Tous les ans, ses agents mènent une inspection de votre bâtiment et formulent leurs recommandations. Cette stratégie évite les situations où l’on a attendu que les édifices se dégradent énormément pour mener des travaux, une pratique très consommatrice de budget. Prenez la collégiale Sainte-Croix à Liège. On l’a laissée pourrir pendant trente ans. Du coup, il a fallu trouver 15 millions d’euros pour la restaurer.

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