Pas un jour sans qu’on nous bassine les oreilles avec une catastrophe à venir. La grippe mexicaine, par exemple. Mais les catastrophes arrivent toujours par surprise.
A entendre toutes les prédictions catastrophistes, c’est à se demander comment on peut encore survivre sur notre planète Terre, si on n’est pas déjà mort. OGM, islamisme, grippe, pesticides, cholestérol, antennes GSM, extrême droite, bancs solaires, croissance démographique, les menaces nous cerneraient de partout, et quand l’une disparaît, d’autres apparaissent. Même les cafetières Senseo peuvent exploser. Un des plus beaux échantillons a été le fameux » bogue du millénaire « , en l’an 2000 : les ordinateurs tomberaient en panne, les avions s’écraseraient, les centrales électriques s’arrêteraient. A la Rue de la Loi, à Bruxelles, un centre de crise était prêt à parer à toute éventualité. Et qu’a-t-on vu ? Rien. Nada. Niets. Le réveillon de Nouvel An s’est passé comme à chaque fois, dans les flonflons, les bisous et les cotillons.
Ces prédictions étaient-elles ridicules ? Impossible de répondre. Les scénarios catastrophes sont pervers : ils ont infiniment peu de chances de se produire, mais ils ne peuvent jamais être exclus. C’est alors le début d’une spirale où le vrai et le faux forment un cocktail paniquant. Pourtant, aucune catastrophe prévue ne s’est jamais réalisée. Et celles qui surviennent n’ont pas été prédites : les attentats de New York (2001), la canicule (2002), le tsunami (2004), la crise financière (2008)… L’adepte du catastrophisme ne s’en voit guère déstabilisé, pour une raison simple : le scénario du pire est payant à tous les coups. Si la catastrophe survient, il peut dire qu’il l’avait prévue. Si elle n’arrive pas, c’est parce qu’il avait prévenu et qu’on a mis en £uvre le principe de précaution. Parfois, il est vrai, il aurait mieux fait de se taire. Les gourous qui clamaient, en 2007, que les températures torrides seraient désormais la norme durant l’été ont, sans doute, profité des soldes pour, en catimini, s’acheter une bonne veste. Quant au baril de pétrole à 150 dollars prédit par de doctes analystes début 2008, il n’en vaut guère plus que la moitié… actuellement.
Une pandémie de paranoïa
Faut-il encore prêter l’oreille aux prophètes de malheur ? Aujourd’hui, c’est la grippe mexicaine qui figure en bonne place dans leur catalogue. Avec des cautions venues d’en haut : Margaret Chan, directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), n’a-t-elle pas déclaré que » toute l’humanité est menacée » ? Or rien ne dit que cette grippe sera plus meurtrière qu’une épidémie saisonnière. Dans l’intervalle, le mal est fait : la panique s’est installée dans les foyers, les bureaux, les administrations… Un premier cas mortel, en Campine, et c’est le spectre des 50 millions de morts de la grippe espagnole qui est brandi. Et si ce n’est pas la grippe qui est dangereuse, c’est le médicament… antigrippe : » Faut-il avoir peur du médicament antigrippe A ? » titrait Le Soir le 5 août.
La propagation du virus se double d’une pandémie de paranoïa. » Les fabricants de vaccins ont tout manigancé « , avancent les uns. D’autres vont plus loin : » Avec cette grippe, l’OMS lance l’avant-dernier stade du génocide ultime, visant une réduction de 5 milliards d’humains sur dix ans « , assène un texte d’une soi-disant journaliste scientifique autrichienne qui circule actuellement, avec succès, sur Internet. Quand l’information est lacunaire, et le raisonnement en veilleuse, la théorie du complot n’est jamais loin… Et on y croit ! Rappelons-nous le docu-fiction de la RTBF sur la fin de la Belgique : malgré les signes évidents de supercherie, combien sont tombés dans le panneau ? L’émission a servi de catalyseur à des peurs souvent irraisonnées.
La grippe n’est jamais qu’un exemple. La politique mondiale est également un vecteur de choix pour les grandes annonces tonitruantes : Vers la 4e guerre mondiale ? est le titre d’un ouvrage de l’analyste politique Pascal Boniface paru en 2005. Voilà qu’il récidive en 2009… avec le même titre, à croire qu’il l’attend de pied ferme, cette guerre mondiale. » L’avenir de la sécurité internationale se joue toujours dans le conflit israélo-palestinien, dans cette zone devenue l’épicentre d’un éventuel choc des civilisations, écrit notre devin. Or rien n’est inéluctable. Il est encore temps d’arrêter l’engrenage qui menace de conduire le monde à la ruine. » Alain Minc n’est pas en reste, avec ses Dix jours qui ébranleront le monde (Grasset), notamment » le jour où le terrorisme menacera de faire exploser une arme nucléaire tactique « . De quoi ranimer les dispositifs sécuritaires qui ne cessent de raboter nos libertés depuis les attentats du 11 septembre 2001. Car le constat est là : aujourd’hui, chacun est pisté, suivi, badgé comme une vache… Les caméras de surveillance sont partout. La peur fait de nous des soumis. Plus d’échappatoire possible au nom de la guerre contre la terreur !
Il reste 88 mois pour sauver le climat !
Et cela, sans parler du réchauffement climatique. Pas un jour sans qu’on nous bassine les oreilles avec la fonte de la banquise, la disparition d’espèces, la désertification… Et prenons garde : il ne reste plus que 88 mois pour sauver le climat. » Au-delà ce sera le point de non-retour « , avertit le site onehundredmonths.org, rythmé par le tic-tac d’une horloge qui égrène l’angoissant compte à rebours. Dans son film Home, Yann Arthus Bertrand veut faire comprendre que » le monde va changer avec la hausse de la population ou encore le manque de ressources « . Al Gore a déjà prédit une montée de 6 mètres du niveau des océans, qui submergerait New York, Shanghai ou encore la Floride ! Exagéré ? C’est bien ce que pense le statisticien danois Bjørn Lomborg, qui est aussi l’auteur d’un Guide de l’environnementaliste sceptique sur le réchauffement global (en anglais). Dans Knack, il n’hésite pas à attaquer frontalement de tels raisonnements et ceux qui les portent, comme l’ONG Greenpeace. » Ces exagérations sont très nocives, avance le Danois. On se concentre par exemple sur les effets du réchauffement climatique sur la propagation de la malaria, alors qu’il vaut mieux s’occuper du traitement des 500 millions de malades actuels. C’est plus efficace et meilleur marché que de s’attaquer aux émissions de CO2.
Mais le plus grand dommage collatéral des exagérations, poursuit-il, réside dans l’inutile panique qu’elle suscite auprès des enfants : » J’ai parlé dernièrement à un groupe d’adolescents danois, illustre-t-il. L’un d’eux craignait que le réchauffement climatique ne provoque l’explosion de la planète ! D’autres véhiculaient des images tout aussi terrifiantes. » En résumé, les messagers d’Apocalypse annonceraient surtout des générations de névrosés, assommés par des messages de prévention sur tout et n’importe quoi. Greenpeace rétorque que Lomborg se met la tête sous le sable, alors que » 26 millions de personnes ont déjà dû quitter leur terre à cause des changements climatiques « . Mais le constat est là : c’est désormais la peur qui nous gouverne. Et pas seulement sur le réchauffement climatique. A propos de la crise économique, le Pr Didier Van Caillie (ULg) prédit, dans La Meuse, une » vague de tsunamis qui va s’abattre sur nous « . Quand ? » Maintenant ! » Ne reste plus qu’à prendre un peu de hauteur…
Les médias sur le banc des accusés
Tel un vent mauvais, cette peur s’insinue partout. » L’air dans les avions de ligne peut-il être toxique ? » est la dernière question en vogue. 0,05 % des vols seraient touchés et personne n’en est mort jusqu’à présent, mais la menace vient de faire la Une du très sérieux Monde. Va-t-on devoir porter un masque en avion, en plus des irritantes mesures déjà en vigueur ? En France, on dépense, tous les ans, 60 millions d’euros pour dépister le virus HTLV1 qui ne touche qu’une infime partie de la population. » On prétend qu’aucune précaution ne peut être limitée par un coût, souligne, dans Le Figaro, Jean de Kervasdoué, auteur des Prêcheurs de l’Apocalypse (Seuil). C’est ridicule. Les Britanniques sont plus pragmatiques : ils ont fixé un seuil financier, de 35 000 livres par vie gagnée. Si la mesure de précaution excède ce seuil, ils réfléchissent. » Dans ce théâtre panique, les médias sont loin d’être de simples figurants. » Que pouvons-nous encore faire pour nous prémunir de la grippe mexicaine ? Eteindre radio et télé « , glissait le Pr Marc Van Ranst, le » commissaire à la grippe » du gouvernement, mais qui en 1999, dans la Gazet van Antwerpen, esquissait comme scénario du pire pour le xxie siècle un virus qui décimerait 95 % de la population.
Mais Van Ranst a raison : avec la course à l’info en temps réel, les médias ont tendance à surenchérir. En juin, des hebdos alignaient des titres à la dynamite : » Iran, Pakistan, le monde est assis sur une bombe » ( Le Nouvel Observateur), » Cet homme est plus dangereux que Ben Laden » ( Le Point, à propos d’un chef taliban). Mais souvent, le socle de connaissances reste très limité. » La plupart du temps, les journalistes ne savent pas de quoi ils parlent. Leurs histoires peuvent être vraies, mais aussi fausses : ils ne savent pas « , écrit Nick Davies, auteur de Flat Earth News. Les journalistes n’ont pas toujours le temps de tout contrôler, se copient l’un l’autre et craignent d’aller à rebours de la pensée unique. Parfois, le piège est tendu, et ils ne le voient pas. Ainsi, quand Maurice Jarre est décédé, de grands médias anglo-saxons ont dû avouer, tout penauds, qu’ils avaient » copié-collé » une fausse citation du compositeur, qu’un facétieux étudiant en journalisme avait glissée dans la biographie de l’homme sur Wikipédia.
» Si tu ne fais pas de grosses déclarations, tu meurs de faim «
Les ONG ne manquent pas de culot non plus. Amplifier les messages d’alarme permet d’accélérer les rentrées de dons, surtout à l’approche de Noël. Concernant le Congo, elles ont répété pendant des années des bilans de mortalité apocalyptiques (jusqu’à 5 millions de morts à cause de la guerre, avançaient-elles), sans qu’aucune étude statistique sérieuse ait pu les vérifier. Passées maîtres dans la communication, elles transmettent des dossiers bien ficelés à des journalistes surmenés, et le tour est joué. Cette confiance aveugle dans les ONG ne doit pourtant pas éviter les questions : » Si, dans un hôpital, on soigne d’abord les gens qui crient le plus fort, serons-nous plus justes pour autant ? » se demande Bjørn Lomborg. De fait, les ONG n’ont pas intérêt à clamer que la thématique dont elles s’occupent s’améliore. Leur régistre se décline uniquement en dangers qui nécessitent des interventions urgentes. D’après un militant congolais rémunéré par un bailleur de fonds étranger, » dans le domaine des droits de l’homme, si tu ne fais pas de grosses déclarations, tu meurs de faim « .
Enfin, certains responsables politiques ont tendance à semer la psychose par des mesures inadéquates, par exemple lorsqu’ils ont annulé un feu d’artifice à Bruxelles sous prétexte de menace terroriste. D’autres jouent du porte-voix là où ce n’est guère nécessaire. Sur le sida, par exemple. Quand des parlementaires ont accusé le pape de » crime contre l’humanité » pour avoir mis en doute le dogme de la capote, ils ont également induit du catastrophisme dans un débat qui n’en manque déjà pas. Quand un élu socialiste de Mons a été pris en flagrant délit de possession d’images pédopornographiques, la commission de vigilance du PS a parlé du » caractère abominable » des faits reprochés. On se demande quel adjectif elle aurait utilisé pour un tueur d’enfants. Cet abus dans la qualification ne fait que renforcer le climat passionnel lié aux affaires de pédophilie, comme en témoignent les sites de délation aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni.
Curieusement, les angoisses prolifèrent à mesure que nos vies sont davantage sécurisées. L’espérance de vie n’a-t-elle pas fait des bonds impressionnants ? Notre alimentation ne s’est-elle pas améliorée ? Pourtant, les dispositifs censés nous rassurer ne font que susciter davantage de panique et de scénarios catastrophes. » Paradoxalement, plus la technique envahit les modes de vie, plus la vulnérabilité s’accroît et plus l’incertitude revient en force « , écrit François Walter, auteur de Catastrophes. Une histoire culturelle. xvie-xxie siècle (Seuil). En perte de repères et de valeurs, la civilisation occidentale est marquée par la crainte que ce » tout-à-la-technique » ne finisse mal. Avant, on écoutait la sagesse des grands-mères, aujourd’hui on se fait peur devant son ordi face aux millions de références de Google pour » dérèglements climatiques » ou » grippe mexicaine « , ne sachant plus démêler le vrai du faux. Oui, il y aura encore des catastrophes, mais pas celles qui seront prédites. Alors, plutôt que de se prémunir sans cesse contre l’avenir, autant profiter du moment présent. Sans paniquer.
François Janne d’Othée
Tel un vent mauvais, la peur s’insinue partout