Les malheurs de Lionel

Dur métier que la politique: les élections municipales françaises nous l’ont rappelé avec force, dimanche dernier. Fier du bon état général de cette France qu’il gouverne au jour le jour, Monsieur Lionel de Matignon comptait sur ce scrutin pour renforcer son implantation locale et s’élancer, muscles saillants, vers les échéances présidentielle et législatives de l’an prochain. Mais sa gauche plurielle recule un peu partout, et la conquête de Paris et de Lyon n’est qu’un lot de consolation à l’éclat bien trompeur. Quant à Monsieur Jacques de l’Elysée, il échoue dans « sa » capitale et sait que ses victoires en province doivent davantage au ralliement des brebis égarées de l’extrême droite qu’à la solidité de la droite parlementaire, divisée et dépourvue d’un vrai projet politique. Voyons cela de plus près.

Loin de la « vague rose » annoncée, la gauche « plurielle » (socialistes, communistes, écologistes) perd 23 villes de plus de 30 000 habitants sur les 244 que compte le pays. Et ses succès à Paris et à Lyon résultent moins d’une victoire indiscutable que d’une défaite de la droite, minée par sa dispersion et ses querelles florentines. Si l’on risque un bilan de sociologie politique à l’échelle nationale, il se confirme que la France penche plutôt à droite (près de 52%) qu’à gauche (48%). Les partis de la droite classique profitent largement du recul de l’extrême droite, aujourd’hui divisée entre les partisans de Jean-Marie Le Pen et ceux de son ex-lieutenant félon, Bruno Mégret. Si les héritiers du Front national parviennent à conserver les mairies d’Orange de Marignane et de Vitrolles, ils perdent la plus importante de leurs citadelles méridionales, Toulon. Et ils marquent le pas dans de nombreux autres bastions, où leurs votes sont assez facilement récupérés par les formations de la droite classique.

Quant à la gauche, elle ne parvient pas à traduire sur le plan municipal les succès dont Jospin peut se flatter à l’échelle nationale. Parce que les Français attribuent la santé économique du pays et le recul du chômage à la bonne conjoncture internationale, plutôt qu’à l’action du gouvernement? Toujours est-il que ce relatif échec s’accompagne de mutations profondes dans la sociologie politique de la gauche. Le parti socialiste s’embourgeoise, devient une formation de classes moyennes et séduit de plus en plus les élites urbaines, comme le prouvent ses victoires dans les deux plus grandes villes de l’Hexagone. En revanche, son allié traditionnel, le parti communiste, confirme et accentue son recul. Il peine à préserver son dernier point fort – l’ancrage municipal – et, faute de renouvellement, cède du terrain à des mouvements d’extrême gauche radicaux, plus aptes peut-être à capter la vague naissante de l' »antimondialisation ». Avec deux décennies de retard sur la Belgique et l’Allemagne, l’écologie politique s’implante plus fermement sur l’échiquier français. Tant et si bien que les Verts deviennent la deuxième composante de la gauche plurielle. Moins disciplinés que les communistes, mais devenus plus gourmands en termes d’influence, ils promettent bien des cheveux gris à leurs alliés socialistes.

Autre fait marquant du scrutin municipal: la préférence exprimée pour la proximité, pour la disponibilité que les électeurs demandent à leur maire. Ce phénomène se traduit par l’échec de plusieurs ministres – et non des moindres – dans des municipalités où ils ont mordu la poussière. Vaincus par des personnalités mieux enracinées localement, ces grands formats signent l’échec des hiérarques parisiens dans leur prétention à exercer – de trop loin – un second métier politique. Jospin a compris -trop tard- l’aversion des Français pour le cumul de mandats: à ceux qui pourraient, malgré tout, prétendre coiffer une « double casquette », il a demandé de choisir entre leurs responsabilités nationales et la mairie fraîchement conquise. Même Paris illustre cette tendance: la capitale échoit à un maire – le socialiste Bertrand Delanoë – qui devrait s’y consacrer à plein temps, faute d’aspiration crédible à un destin national. Il est loin, le temps où Jacques Chirac conquérait à la hussarde cette mairie de Paris qui, pendant près de vingt ans, allait lui servir de marchepied pour l’Elysée.

Les jeux restent très ouverts pour les élections présidentielle et législatives du printemps prochain. Entre une gauche minoritaire et une droite sans projet, la bataille sera rude sur le plan tactique. Lionel Jospin espère emporter la présidentielle, créant ainsi l’électrochoc qui aiderait son camp à gagner les législatives. Mais il devra tenir compte de l’extrême combativité de Jacques Chirac: à défaut de bilan présidentiel, le tenant du titre mobilisera son incroyable énergie de « machine à gagner ».

Cela nous promet, dans les prochains mois, une France mobilisée, tout entière, par les échéances politiques internes, peu disponible à l’Europe et quasi muette sur la scène internationale. Mais c’est le jeu de la démocratie. Il faut espérer qu’il privilégiera les débats de fond, la confrontation des projets, plutôt que les jeux du cirque et les empoignades personnelles.

A ce propos, on aimerait pouvoir oublier au plus vite un souvenir nauséabond de la récente campagne municipale. Il concerne la stature imposante de Philippe Séguin, candidat (néogaulliste) malheureux à la mairie de Paris. Du « balourd » au « pachyderme » en passant par l' »hippopotame », on avait rarement entendu – ou lu – autant d’allusions au physique d’une personnalité publique. Comme quoi il n’est pas toujours absolument nécessaire d’avoir une extrême droite triomphante pour faire de la mauvaise politique. Ou du mauvais journalisme…

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