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Les gamins de Kinshasa à 360 °

Marc-Henri Wajnberg est parti à la rencontre des enfants des rues de la capitale congolaise pour Kinshasa Now, expérience de réalité virtuelle interactive.

Si la présence belge sur les écrans vénitiens s’est limitée, cette année, à quelques coproductions – Miss Marx, de Susanna Nichiarelli, ou Cigare au miel, de Kamir Aïnouz, par exemple -, un film a toutefois eu les honneurs d’une sélection à la 77e Mostra, le premier festival de cinéma majeur post-Covid. A savoir Kinshasa Now, de Marc-Henri Wajnberg, repris parmi les 31 titres en compétition dans la section VR Expanded, une belle reconnaissance, Venise s’étant imposée, depuis 2016, comme l’un des rendez-vous incontournables de la réalité virtuelle dans le monde (1).

Quand je me suis lancé dans la réalité virtuelle, j’ai voulu aller à la pointe, un film interactif avec des comédiens.

Objet singulier

A l’origine de ce projet singulier, on trouve Kinshasa Kids, réalisé par ce même Wajnberg en 2013, une fiction documentée où le cinéaste partait à la rencontre d’enfants des rues de Kinshasa, des shégués, considérés comme sorciers, tentant d’échapper à leur condition par la musique. A l’époque, le réalisateur constate une méconnaissance d’ensemble du phénomène, mais aussi l’intérêt suscité par la problématique auprès des adolescents.  » J’avais été énormément touché par la situation de ces enfants, raconte Marc-Henri Wajnberg dans les bureaux linkebeekois de sa société de production, Wajnbrosse.  » J’ai tourné le film, et j’ai continué à m’occuper d’eux par la suite. Rachel Mwanza a joué dans Rebelle, a obtenu un prix à Berlin et est partie vivre au Canada où elle a été adoptée, et je me suis occupé des autres jusqu’à leur majorité en les plaçant dans une école ou dans des centres. J’étais en contact régulier avec eux par l’intermédiaire des directeurs d’école et par le Reejer, un réseau d’éducateurs d’enfants et de jeunes de la rue qui gère une centaine de centres de réinsertion. Avec l’aide de ce dernier, j’ai fait une tournée à Kinshasa où j’ai montré le film tous les jours pendant trois semaines dans les lieux les plus farfelus : en rue, dans un marché, une église, une école et même dans un cimetière. Les projections étaient suivies de débats auxquels participaient les enfants du film. Un projet en appelle un autre : ayant beaucoup tourné avec Kinshasa Kids dans les écoles également, j’ai réalisé l’intérêt pour la problématique des droits des enfants.  » Et d’imaginer de poursuivre son oeuvre de sensibilisation en abordant la question avec des outils adaptés, Internet, les nouvelles technologies et la réalité virtuelle : Kinshasa Now était né.

Le film est un objet singulier, auquel on accède grâce à un casque VR 360° plongeant le spectateur, en décor réel, et à hauteur d’enfant, dans les rues de Kinshasa où s’écrit le destin de Mika, gamin expédié dans le chaos urbain par sa belle-mère après qu’elle a décrété qu’il était un sorcier. Et son existence de s’accélérer avec la participation active du spectateur, invité en diverses occasions à choisir des chemins de vie pour le garçon – il y en a quarante en tout, pour une expérience immersive pouvant durer de sept minutes dans le scénario du pire à vingt-cinq dans l’hypothèse la plus favorable, non sans avoir confronté son protagoniste à une large variété de situations. Si Kinshasa Now fonctionne, il le doit à diverses raisons : la première tient à son casting, Mika Bangala, son acteur principal, mais aussi Vainqueur Kanga ou Chancelvie Kaponge, ses partenaires, éclaboussant le film de leur naturel. Ce qui ne doit rien au hasard, le réalisateur ayant reçu l’assistance d’Emma, l’un des gamins qui crevaient l’écran de Kinshasa Kids pour le casting. La seconde tient à la qualité de ses scénarios, envisageant de multiples variantes pour permettre d’aborder la problématique sous ses différents aspects – le départ, la famille, la fuite, la religion, se faire des amis ou pas, la résilience… -, mais aussi d’une mise en scène qui fait de la réalité virtuelle mieux qu’un gadget, l’immersion se révélant en bien des endroits bluffante, qu’elle plonge le spectateur dans un marché de Kin ou le conduise sur des toits ouvrant sur un panorama vertigineux.

Un projet global

La VR permet beaucoup de choses en effet, à condition d’en transcender les contraintes :  » L’un des pièges, c’est que le réalisateur maîtrise moins ce qu’il fait, poursuit Marc-Henri Wajnberg. On met quelque chose en place, mais après on ne peut pas assister à l’action parce qu’on doit se cacher, la caméra filmant à 360°.  » Des stratégies de camouflage doivent donc être adoptées, avec, parfois, des résultats dépassant les attentes, comme dans la scène de l’exorcisme. Une difficulté à laquelle viennent s’en ajouter d’autres – le fait de ne pas être physiquement au côté des acteurs, des problèmes techniques, ou encore la fluidité de l’interactivité.  » J’aime bien m’imposer des contraintes, sourit le cinéaste. J’ai produit The Five Obstructions de Lars von Trier, un film sur la contrainte et comment se dépasser à travers elle. Quand je me suis lancé dans la réalité virtuelle, j’ai voulu aller à la pointe, un film interactif avec des comédiens, ce qui, il y a cinq ans, ne se faisait guère. Pour les premiers essais, on avait une séquence, une proposition qui se chargeait, puis le film reprenait. C’était fastidieux et j’ai donc imposé comme contrainte au laboratoire que cela ne s’arrête pas, ou alors une fraction de seconde…  »

La dernière raison, enfin, tient aux enjeux mêmes soulevés par le film, le phénomène, comme ne se fait faute de le rappeler un carton final, concernant quelque 35 000 enfants kinois.  » C’est une situation insupportable, qui ne touche d’ailleurs pas uniquement le Congo, relève-t-il. Cette réalité sociale commence à s’observer partout : en Amérique latine avec les églises de Réveil, en Asie, en Europe. L’objectif du film, c’est donc de parler du phénomène et de le contrecarrer, que le gouvernement congolais l’entende et le voie…  » La diffusion de la VR restant assez limitée, des salles itinérantes permettront au film de tourner au Congo et en Belgique à l’horizon 2021. Histoire d’en multiplier l’impact, Kinshasa Now se déclinera également en projet transmédia, au film en VR devant s’ajouter le documentaire Chancelvie, abordant la même thématique et en cours de montage, un livre, un dossier pédagogique et un site.

(1) Les conditions sanitaires ont imposé une délocalisation de la section dévolue à la réalité virtuelle, qui est accessible cette année dans quatorze endroits dans le monde. Certains films sont également accessibles gratuitement via le site labiennale.org.

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