Les faillites se ramassent à la pelle

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

La récession annoncée provoquera inévitablement la fermeture de plusieurs entreprises. Mais ce sera pour plus tard… Jusqu’à présent, la crise n’a pas encore produit tous ses effets sur le front des faillites. Si celles-ci augmentent, c’est pour d’autres raisons.

Le pire est à venir. Dans les tribunaux du commerce, d’où l’on observe de très près la santé économique du pays, les chiffres des faillites s’affolent depuis quelques mois. Entre juillet et septembre, 1 804 entreprises ont été déclarées en faillite, soit 18,1 % de plus qu’un an plus tôt. La crise économique et financière qui chahute la planète n’en est pas totalement responsable.  » Nous ne voyons pas encore les conséquences de la crise, relève Jacques Schaar, président du tribunal du commerce de Nivelles. Nous nous attendons à ce que le nombre de faillites connaisse un pic à la sortie de l’hiver. « 

Pour autant, tout ne va pas mal dans le royaume.  » En résumé, 75 % des entreprises se portent bien, 20 % ne vont pas bien et 5 %, pas bien du tout « , résume Eric Van den Broele, directeur du département Recherche et Développement chez Graydon.

Mais alors, quelles raisons expliquent cette récente augmentation des faillites ? Tour d’horizon.

1. La crise, quand même.

Ce n’est pas par hasard si la construction, l’horeca et le commerce figurent en tête de ces sombres statistiques : les entreprises de ces secteurs-là sont directement dépendantes du pouvoir d’achat des consommateurs.  » Au niveau macroéconomique, l’inflation – qui a dépassé le seuil des 5 % en Belgique – a joué, tout comme l’évolution des prix, assure Pieter Timmermans, directeur général à la FEB (Fédération des entreprises de Belgique). Or il est impossible, dans une très grande mesure, de répercuter la hausse des prix des matières premières sur les prix finaux, à cause de la concurrence. « 

2. Le travail des chambres d’enquête commerciales.

Depuis le 1er janvier 1998, les chambres d’enquête attachées aux tribunaux de commerce sont chargées de repérer, dans leur arrondissement, les entreprises qui présentent des signes de faiblesse (fonds propres inférieurs à la moitié du capital, cotisations non versées à l’ONSS, TVA non payée…) Soit pour les aider à survire, soit pour les retirer du marché. Dans un premier temps, leurs gérants sont invités à s’expliquer. Si, après quatre mois, le sauvetage de l’activité se révèle impossible, ou si les convocations restent sans suite, la faillite peut être prononcée.  » On enregistre plus de faillites que de sauvetages « , constate Philippe Evrard, président du tribunal du commerce de Liège.

Parmi ces sociétés en faillite figurent de petites entreprises qui vivotaient vaille que vaille. Elles sont reprises dans les statistiques au même titre que les autres, mais leur impact macroéconomique est nul. Les chiffres des faillites sont donc à nuancer.  » Plus il y a de faillites déclarées et plus on peut considérer que le nettoyage du marché s’opère en profondeur « , insiste Jean-Philippe Lebeau, président du tribunal du commerce de Charleroi. Pourquoi supprimer ces petites boîtes inopérantes qui ne font de mal à personne ?  » Elles ne correspondent plus à aucune activité économique, tout en disposant encore d’un siège social fictif « , répond Jacques Schaar, président du tribunal du commerce de Nivelles. A Charleroi, ces structures en déshérence alimentent parfois un trafic de sociétés vides, reprises à des fins inavouables, par exemple par des négriers de la construction. Il est en effet beaucoup plus facile de racheter une entreprise vide pour 1 euro que d’en créer une nouvelle de toutes pièces.

Jusqu’il y a peu, tous les arrondissements de Belgique ne disposaient pas d’une chambre de dépistage, ce qui laisse à penser que certaines faillites qui auraient dû être prononcées ne l’ont pas été ou l’ont été avec retard. Avec l’impact que cela suppose sur les statistiques. Certains murmurent que les sociétés les plus fragiles s’installaient délibérément dans ces arrondissements moins surveillés.

3. La détérioration des actifs.

Depuis quelques années, les techniques de gestion se sont modifiées : la production se déroule à flux tendus, les véhicules sont pris en leasing et les bâtiments occupés appartiennent parfois à une société immobilière distincte de la société d’exploitation. Résultat ?  » Les actifs des entreprises se réduisent comme peau de chagrin. Du coup, sur la base d’actifs plus maigres, les entreprises sont déclarées plus rapidement en faillite « , souligne Philippe Evrard.

4. L’agressivité des créanciers.

 » Depuis quelques mois, les créanciers sont plus agressifs vis-à-vis de leurs débiteurs, raconte Jean-Louis Evrard, président des tribunaux du commerce de Neufchâteau et d’Arlon. L’ONSS, l’administration de la TVA et l’administration des Finances assignent plus facilement les entreprises devant les tribunaux.  » Certains fournisseurs font de même, menaçant leur client de provoquer sa faillite pour obtenir d’être payés.

5. Le manque de formation des chefs d’entreprise.

C’est notoire : il faut améliorer la formation et l’encadrement des entrepreneurs qui lancent leur propre entreprise. Environ 36 % des sociétés qui mettent la clé sous le paillasson affichent moins de cinq ans d’existence au compteur.  » Cette sensibilisation pourrait commencer dès l’enseignement secondaire, estime Pieter Timmermans. Des notions de base, comme le bilan, le business plan ou la sécurité sociale, pourraient y être enseignées. « 

A Liège, sur 50 entreprises créées, 21 le sont dans de mauvaises conditions, selon les estimations du tribunal du commerce : leur plan financier ou leur plan d’affaires n’est pas adapté et les capitaux de départ sont parfois insuffisants. Ou alors, les nouvelles sociétés sont le fait d’excellents techniciens, entre autres dans le secteur de la construction, qui se révéleront de piètres gestionnaires.

A Charleroi, de plus en plus d’aveux de faillite sont enregistrés auprès de petits commerçants, gérants de magasins de nuit ou de boutiques de téléphonie, qui ne parlent même pas le français. La loi est théoriquement prévue pour que cela n’arrive pas, mais…  » C’est de la chair à faillite évidente « , résume Jean-Philippe Lebeau. Rien ne les empêche de faire appel à un réviseur : selon David Szafran, secrétaire général de l’Institut des réviseurs d’entreprises, le risque de faillite est notoirement moins élevé quand un commissaire aux comptes est à l’£uvre dans la société.

6. Les sociétés de droit anglais.

En Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, dans l’Etat du Delaware, il est possible de créer une société pour quelques livres sterling, ou pour 50 dollars. Ces sociétés ouvrent ensuite une succursale en Belgique, sans remplir les conditions de capitalisation légales, beaucoup plus strictes, qui sont appliquées chez nous. En cas de problème, ces sociétés n’ont pas un sou vaillant derrière elles. Autrement dit, elles sont beaucoup plus exposées à une faillite.  » Juridiquement, on ne peut rien faire, déplore Jean-Philippe Lebeau. La Cour européenne de justice a confirmé la légalité du processus !  »  » Je les tiens à l’£il, embraie un de ses collègues. Les sociétés de droit anglais sont systématiquement sur ma liste noire. « 

7. Le jeu des chiffres.

On a coutume de dire que l’on fait dire aux chiffres ce qu’on veut. Les statistiques des faillites ne font pas exception.  » Les chiffres publiés sont corrects, mais les comparaisons sont trompeuses, insiste Philippe Evrard. Dans mon arrondissement, selon que je compare les chiffres de septembre 2008 avec ceux de septembre 2007 ou 2006, j’obtiens des résultats très différents.  » Bon à rappeler…

Laurence van Ruymbeke

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