Les enfants oubliés de Calvin

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Cinq siècles après la naissance de Calvin, les réformés rendent hommage au grand théologien, dont l’épouse était liégeoise. Très minoritaire en Belgique et traversé de courants multiples et divergents, le protestantisme reste mal connu. Certains en ont gardé une image rigoriste, d’autres s’inquiètent de la prolifération d’Eglises protestantes évangéliques parfois rangées parmi les sectes. Rencontre avec les enfants de Calvin, des paroisses de Bruxelles à celles du Borinage. Et éclairage sur les liens entre calvinisme et capitalisme.

Fin de matinée dominicale dans l’église de Bruxelles-Musée. Laurence Flachon, pasteure de la paroisse, célèbre le culte, la messe des protestants. La robe noire à jabot de la jeune femme, symbole de sa formation universitaire, contraste avec les murs de l’édifice, d’un blanc immaculé. Une bible et un bouquet de fleurs ornent la table de communion, devant une croix nue – le crucifié, ressuscité, n’a plus à être en croix, estiment les réformés. La bible, grande ouverte, est orientée vers l’assemblée, conformément à la tradition protestante. Ni statues ni images dans la chapelle néoclassique du palais de Charles de Lorraine, concédée en 1804 par Napoléon à la communauté réformée : il convient, au temple, de faciliter la concentration sur la Parole.

Ce jour-là, Laurence Flachon, 36 ans, s’adresse à une soixantaine de personnes, en majorité du troisième âge. Quelques familles d’origine africaine sont aussi présentes. Thème de la prédication :  » L’ambivalence du pouvoir et la force de la faiblesse « . Le commentaire, inspiré par un texte biblique – le passage de l’Evangile de Marc où les apôtres Jacques et Jean ambitionnent d’être assis à la droite et à la gauche de Jésus quand il sera dans sa gloire -, ne cède rien à la facilité.  » La culture religieuse et philosophique de notre pasteure m’impressionne « , glisse Amaya Ricouart Lartigue, l’une des jeunes fidèles de l’assistance. Après avoir suivi pendant huit mois le catéchisme pour adultes de Laurence Flachon, Amaya, ex-athée convertie (encadré p. 68), a été baptisée dans l’église en septembre dernier, à l’âge de 30 ans.

 » La prédication, notre sermon, est le temps fort du culte, reconnaît la pasteure. Surtout chez les protestants de tendance théologique libérale. Pour nous, l’actualisation de la Parole l’emporte sur la liturgie. De même, nous privilégions la pensée par rapport au dogme et nous attachons beaucoup d’importance au dialogue entre foi et raison.  » Lyonnaise d’origine, Laurence a suivi sa formation en théologie à Genève, fief de Jean Calvin, le grand théologien dont on fête cette année le 500e anniversaire de la naissance (1). Elle s’est installée en Belgique fin 2004 pour répondre à l’appel de la paroisse de Bruxelles-Musée, alors en quête de nouveaux pasteurs depuis plusieurs mois.  » J’ai renoué avec une vieille tradition, confie-t-elle : autrefois, le premier poste à l’étranger des pasteurs formés en Suisse était souvent situé en Belgique. « 

De Mons-Borinage à Sint-Maria-Horebeke

Le protestantisme belge est surtout présent à Bruxelles, en région de Mons-Borinage (reportage p. 70) et à Liège. Mais la plus ancienne communauté religieuse protestante du pays se trouve dans les Ardennes flamandes (sud de la Flandre orientale) : à Sint-Maria-Horebeke, portion de la commune de Horebeke. Etabli dès 1564, ce Geuzenhoek ( » coin des Gueux « ), enclave réformée en terre catholique, existe toujours, avec son église, son cimetière et, jusqu’en 1982, son école protestante.

L’Eglise protestante unie de Belgique et ses Eglises qui lui sont affiliées (baptiste, luthérienne, allemande, française de Cantorbéry) comptent, aujourd’hui, une petite centaine de pasteurs en poste, dont une douzaine de femmes et une dizaine d’Africains. La majorité de ces pasteurs (57 %) dessert des églises francophones ; un bon tiers (36 %), des églises néerlandophones, 4 % des germanophones, 2 % des anglophones et 1 % des magyarophones. L’âge moyen du corps pastoral, moins élevé que celui des prêtres catholiques, atteint 51 ans. Toutefois, la Faculté universitaire de théologie protestante, rue des Bollandistes, à Bruxelles, qui forme les pasteurs et les professeurs de religion protestante, connaît une nette baisse de fréquentation ces dernières décennies, malgré le renfort de candidats venus de l’étranger, surtout d’Afrique.

Peut-on parler d’une crise des vocations comparable à celle qui touche le clergé catholique ?  » L’accélération de la sécularisation de la société affecte aussi notre Eglise, reconnaît Michel Dandoy, spécialiste du protestantisme. Même si c’est dans une mesure moindre que du côté catholique, car nous étions déjà ultra-minoritaires en Belgique.  » Ancien porte-parole de l’Eglise protestante unie de Belgique (EPUB), Dandoy est membre de l’église protestante de Bruxelles-Botanique, au boulevard Bischoffsheim, une paroisse de tendance calviniste où se côtoient des fidèles d’origine très diverse. Il a, en outre, dirigé en 2005 la rédaction d’un ouvrage de référence sur le protestantisme belge ( Le Protestantisme, mémoire et perspective, Racine).

Une Eglise très internationale et polyglotte

 » Une certaine désaffection des jeunes pour le pastorat a permis à des étrangers, plus spécialement africains, de trouver chez nous un emploi qu’ils n’obtenaient plus en Allemagne ou en Suisse, pays où les pasteurs sont trop nombreux pour les postes disponibles « , signale Dandoy. Avec ses pasteurs allemand (à Bruxelles-Botanique), canadien (à Verviers), américain, écossais, rwandais… ou encore ses inspecteurs de religion protestante hollandais (en Flandre) et d’autres non-Belges à des postes clés, l’Eglise protestante a un profil international et polyglotte.

Parallèlement, le recrutement de ministres du culte de plus de 50 ans se poursuit (les  » vocations tardives « ), tandis que la féminisation de la fonction se maintient autour des 10 % dans l’EPUB.  » C’est peu, estime Laurence Flachon. En France, un pasteur sur trois est une femme. A Genève, elles sont près de 40 % ! Plus le protestantisme est minoritaire dans un pays, plus la proportion de pasteures est faible.  » Un pasteur ou une pasteure reste, en principe, environ sept ans en poste dans une communauté. Mais les prolongations sont de plus en plus fréquentes.  » Certains réussissent à se maintenir jusqu’à une quinzaine d’années dans une même paroisse, constate Dandoy. Aujourd’hui, le conjoint du pasteur ou de la pasteure garde souvent une activité professionnelle propre, ce qui freine la mobilité géographique du couple. « 

Pas plus de 150 000 protestants en Belgique

Très minoritaire, le protestantisme en Belgique ? Sans aucun doute. A peine plus de 1,5 % de la population du pays est protestante, soit environ 150 000 personnes, dont la moitié réside à Bruxelles.  » Il y a quelques années, j’aurais contesté cette estimation, avoue Dandoy. J’admets à présent qu’il reflète assez bien la réalité. D’autant qu’on peut se demander s’il faut prendre en compte ces protestants sociologiques qui, au mieux, se rendent au culte à Noël et à Pâques, et n’ont de lien avec leur Eglise que lors de leur baptême, de leur mariage et de leurs funérailles. « 

L’Eglise protestante unie de Belgique était, jusqu’il y a peu, la seule Eglise protestante reconnue par l’Etat. Elle représente pourtant, aujourd’hui, moins d’un tiers des quelque 150 000 protestants du pays.  » Nous ne sommes guère plus de 40 000 à 45 000, confirme le pasteur Guy Liagre, président du synode de l’EPUB. Les autres protestants sont membres des très nombreuses Eglises évangéliques, ces nouvelles communautés qui ont proliféré en Belgique surtout depuis les années 1970 et sont animées par 300 à 400 pasteurs. L’image du protestantisme est apparue confuse quand se sont multipliées ces Eglises et groupes de prières autonomes. « 

Un climat de concurrence règne depuis toujours entre les deux courants. Le fossé paraît d’ailleurs insurmontable entre, d’un côté, les héritiers de la tradition réformée, au libéralisme théologique plus ou moins affirmé, et, de l’autre, les adeptes du  » protestantisme de conversion « , assoiffés d’expériences mystiques et de cultes-shows. Difficile de trouver des points communs entre les exégètes protestants qui, dans la foulée de Rudolf Bultmann, ont poussé très loin la recherche historico-critique sur la Bible, et les zélateurs d’une lecture littérale des Ecritures qui combattent sans merci, jusque dans les écoles belges, la théorie de l’évolution.

Réformés et évangéliques sous le même toit

Toutefois, sous la pression du ministère de la Justice, l’EPUB et le Synode fédéral, qui regroupe la plupart des Eglises évangéliques, ont dû s’unir sous une organisation faîtière, le Conseil administratif du culte protestant évangélique (CACPE), mis en place en 2003. Cet  » organe chef de culte protestant  » en Belgique s’occupe des demandes des paroisses qui souhaitent obtenir un poste pastoral rétribué par l’Etat. Elle gère aussi les services de l’aumônerie, l’enseignement religieux protestant et les émissions radio et télé publiques protestantes.  » L’existence de cette structure commune a eu au moins un avantage, constate un professeur de religion protestante : elle permet d’améliorer le niveau de formation des pasteurs et professeurs issus de la mouvance évangélique. « 

Fondamentalisme, protectionnisme et laïcité militante

Le pasteur Guy Liagre ne cache pas que le fondamentalisme religieux est l’une des principales menaces qui pèsent sur l’avenir de l’Eglise protestante.  » Certains enferment la foi dans un sentimentalisme qui exclut tout discours critique, déplore-t-il. Il faut sauvegarder autant que possible la pensée libre au sein du protestantisme. Un autre défi, pour nous, est celui du manque de synergies avec nos Eglises s£urs à l’étranger. L’Eglise protestante, nationale par tradition, perd de vue le contexte européen. Un pasteur belge ne peut exercer aux Pays-Bas et nous n’avons pas de lien avec les Eglises protestantes d’Allemagne ou de France. Ma troisième préoccupation, et non la moindre, est la pression de la laïcité militante, antireligieuse, qui risque de devenir religion d’Etat. En particulier dans l’enseignement, où les cours de religion peuvent être remis en question. « 

(1) La Suisse et la France rivalisent dans la célébration des 500 ans de la naissance de Calvin. Mais les protestants belges font aussi la fête au grand théologien. Le 13 juin se tient, à Liège, le colloque Calvin et les femmes. Le 13 septembre, la troupe théâtrale Les Trois Coups représentera sa création, Il était une fois Calvin, à Charleroi. Infos sur les colloques, conférences, expositions et concerts : www.calvin09.be.

Olivier Rogeau

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