Raphaël (Haroche), un chanteur et musicien qui tâte dorénavant de l'écriture et du cinéma. © PHILIPPE CORNET

Les écritures de Raphaël

Après un premier recueil de nouvelles paru avant l’été, le désormais quadra propose sa météo musicale personnelle sur l’album Anticyclone. Beau temps sur quelques chansons.

Raphaël a ses habitudes au Métropole de la place de Brouckère qui, en ce mois de septembre, patauge dans un chantier intégral éventrant la classique place bruxelloise. Ce jour-là, le chanteur ne recevra pas dans sa suite, comme traditionnellement, mais bien au café de l’établissement, où il s’accorde une bière et non pas encore  » la vodka du soir « .Cellequ’il chantait en 2008 dans Quand c’est toi qui conduis. Réalité ou fiction ? Comme les us et coutumes de l’écriture : un mix des deux. Par exemple réitéré dans l’un des titres du nouvel album, Anticyclone, Je fume, aux mots comme ceux-là :  » Je fume parce que je vis/Dans ce jardin rempli avec sept milliards d’humains/Appuyant sur les freins. «  » Il ne faudrait pas prendre mes phrases au pied de la lettre. Personnellement, je ne fume pas de cigarettes, mais je m’accorde un bon cigare deux ou trois fois par semaine, comme le ferait un dandy « ,précise l’épicurien, souriant de ses chances avérées.

Cette distance élastique avec le réel, Raphaël la pratique aussi dans un premier recueil, Retourner à la mer, paru au printemps 2017 dans la collection Blanche de Gallimard, sous le nom d’auteur complet de Raphaël Haroche, et qui récoltera le Goncourt de la nouvelle, pas moins.  » Comme nouveau venu dans ce milieu, je m’attendais à un accueil plus difficile, notamment de la part de la critique littéraire, mais il y a eu beaucoup de bienveillance à mon égard. J’ai plané et je plane peut-être encore. Et puis, j’en profite : c’est peut-être mon trésor, ce bouquin. « Le livre de treize nouvelles, 166 pages, n’est d’ailleurs pas étranger à l’écriture du disque :  » Je crois que cela m’a mené vers une certaine simplicité, à aller à l’essentiel sans forcément penser à créer des images poétiques. Plutôt raconter ses histoires : s’il existe une contagion entre les genres, elle est plutôt de cette nature-là. « On pense, bien sûr, à la vision gainsbourgienne de la musique, celle d’un  » art mineur « ,surtout lorsque l’auteur, comme Raphaël, échappe à la confidentialité. La formule du grand Serge serait-elle éculée ?  » J’adore la musique, j’en ferai toujours. A sept ans, je voulais être chanteur, à cause de David Bowie. Donc, je ne pense pas que ce soit plus important de faire un livre qu’un disque. Ce qui compte, c’est faire de belles choses. Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie.  »

Nature scorpion

Enfant, Raphaël est entouré des lectures parentales – Tchekhov, Gogol, Shakespeare – alors que lui flashe davantage sur Tintin au Tibet :  » J’aimais cette pureté-là. Mais j’étais quand même nourri de l’ambiance littéraire familiale. D’ailleurs, quand je vois mes parents aujourd’hui, on parle encore de livres : il ne me viendrait jamais à l’idée de les entretenir d’un disque, même s’ils aiment la musique. A vrai dire, je ne suis pas un grand lecteur, même si j’ai écrit un article pour le Libé des écrivains en mars dernier et que j’ai adoré ça. « Ces temps-ci, l’écriture raphaëlienne déborde aussi vers le cinéma et ses scénarios :  » J’en ai coécrit deux, et l’un d’eux a de bonnes chances d’être tourné. J’ai beaucoup appris de la construction des personnages : le scénario n’est pas une matière littéraire mais plutôt un document de travail destiné à devenir un film, un objet intermédiaire. « Dans cette nouvelle entreprise – à propos de laquelle il préfère pour l’heure ne pas entrer dans les détails -, Raphaël a changé ses habitudes, lui qui ne compose quasi jamais une chanson avec autrui, et partage encore moins ses textes en cours.

Pour confectionner les onze morceaux retenus pour son dernier album Anticyclone, Raphaël s’est associé à Gaëtan Roussel, cousin de la même génération des quadras français à succès. Et à la tête d’une configuration de carrière comparable : Roussel, qui a marqué quelques réussites majeures de son empreinte de producteur compositeur (comme le Bleu pétrole de Bashung), a connu des sommets commerciaux avec Louise Attaque, parallèlement à une carrière solo moins spectaculaire mais inspirée.  » Gaëtan est quelqu’un que j’admire, qui me donne confiance, avec lequel j’aime passer du temps. On a pas mal de points communs, une certaine discrétion, par exemple. Et puis, il trouve des solutions aux problèmes posés : on avait fait une chanson ensemble sur l’album Somnambules paru il y a deux ans, et j’avais beaucoup aimé ce travail. Il m’avait aussi conseillé sur une création des chansons de Gérard Manset aux Francofolies de La Rochelle : j’ai tendance à complexifier les choses simples, sans doute ma nature de scorpion, à vouloir me suicider métaphoriquement (sourire). Lui accepte la simplicité et met le chanteur au coeur des histoires, c’est ce que j’ai envie de faire aujourd’hui. Contrairement à Super- Welter, mon album cinglé sorti en 2012 avec le mec des Shoes qui débarquait avec ses marteaux-piqueurs.  »

Se sentir vivant

Bouclé en huit jours d’enregistrement et dix de mix, Anticyclone se laisse écouter, sans ennui ni trait de génie, même si le premier titre L’Année la plus chaude de tous les temps, n’est pas loin d’être irrésistible.  » Le disque parle en tout cas de la nature, de cette époque déréglée, troublée. On ne sait jamais vraiment sur quoi on écrit tant qu’un disque n’est pas terminé. Sauf que je sais que mon écriture a un peu muté après ce recueil de nouvelles. « Sans pour autant gommer les plaisirs de Raphaël : un titre tel que Paris est une fête signe la volonté de ne pas complètement oublier l’ivresse  » dans une époque dominée par les interdits, qui a perdu son innocence « .  » Je parle de Paris mais aussi de mon âge, de mes 41 ans. Elle peut me donner du courage, cette chanson, me donner l’envie de sortir de chez moi.  » Et de voyager comme le fait régulièrement le chanteur, visitant avec sa femme, l’actrice Mélanie Thierry, et leurs deux jeunes enfants de trois et neuf ans, des rêves de sable blond au Vietnam ou en Malaisie. Gardant pour des trips  » partagés avec un copain « des destinations moins familiales,  » une manière de se sentir vivant « . Mais c’est avec Mélanie qu’il partage le seul duo d’Anticyclone, La Question est why,  » sur l’amour qu’on ne peut pas abîmer « .Intégralement placée sous le signe Gainsbourg/Birkin, la chanson incorpore même un solo de guitare poussant le cri du slow. Celui qu’on entendait dans les boumsdes années 1970, alors que Raphaël n’était même pas encore né.

CD Anticyclone chez Sony Music. En concert le 20 octobre à La Madeleine, à Bruxelles, et le 28 au forum de Liège, www.raphaelharoche.fr

PAR PHILIPPE CORNET

 » J’ai tendance à complexifier les choses simples  »

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