Les défis du paysage

Guy Gilsoul Journaliste

Stéphane Erouane Dumas, Camille De Taeye et Philippe Dubit traquent, silencieux, l’émerveillement autant que la peur

Des falaises

Stéphane Erouane Dumas (Paris, 1958) est face à la falaise de craie. Le voilà infiniment petit, réduit à la taille des galets d’une plage prise en étau entre la paroi chtonienne et l’infinie horizontalité d’air et d’eau. Il est là souvent, le carnet de croquis à la main. Quelques traits suffisent alors pour éveiller les blessures, les sursauts et les rides que la lumière effleure sur ce mur dressé. D’autres s’ajouteront, pour dire aussi les douceurs de la musculature minérale. Il est là, habité, bienheureux comme on le dit des sages, émerveillé comme Claude Monet le fut au même endroit, un siècle plus tôt. Il s’agit, explique-t-il de « se laisser porter, transcender par le sujet. Transporter ». Viendra ensuite l’heure du travail en atelier où, par la teinte de terre grisée, se construit une abstraction aux allures de falaise. La crête est haut placée et, parfois dans le bas, quelques touches d’un vert soutenu rappellent l’échelle de l’homme alors que, entre les deux extrêmes, vibre une beauté apaisée.

Bruxelles, galerie Lanzenberg, 9, avenue des Klauwaerts. Jusqu’au 13 avril. Du mardi au samedi, de 10 heures à 12 H 30 et de 14 à 19 heures. Tél.: 02-647 30 15.

Des montagnes

Connaissez-vous Chandolin? A plus de 2 000 mètres d’altitude, le village suisse s’accroche à la limite du végétal. Où que l’on soit, les pics se dressent, roses et bleu pâle, ocrés, parfois même dorés lorsque le soleil s’éloigne aux dernières heures du jour. Dans cet impressionnant face-à-face, Camille De Taeye voit la Chine des Song, la lune de Jules Verne, le Chili, le Pérou, la chevelure d’une femme, l’enfer et les vapeurs lumineuses. Il dessine, emporté par la sensation d’être avalé tout entier, gobé par le roc et ses ravines. Les touffes noires et denses des ultimes sapins protègent l’abîme et la cascade dont l’écho lui parvient. Le dessinateur accroche au blanc du papier les tremblés de son émoi, les escarbilles d’une sensibilité à feu et à sang. La montagne vit. La mort s’écarte. Entre les deux, le dessinateur bruxellois (né en 1938) cherche à ne pas perdre pied et son combat, une fois encore, réclame le mot « sublime ».

Bruxelles, galerie 2016, 16, rue des Pierres. Jusqu’au 30 mars. Du mercredi au vendredi, de 14 à 18 heures. Les samedis et dimanches, de 11 à 18 heures. Tél.: 02-502 81 16. A voir aussi: Midi-Pyrénées, livres et dessins de Camille De Taeye, galerie Quadri, 49, rue Tenbosch. Tél.: 02-640 95 63.

Des labyrinthes

Avec Philippe Dubit (né en 1945), tout se joue à l’intérieur. Le paysage est mis en boîte, enfermé, enchâssé, prisonnier d’une iconographie obsessionnelle qui cogne et heurte un espace de murs et de couloirs domestiques, où basculent les horizontales et se mêlent les échelles. Le plancher, dessiné comme le reste avec une précision et une douceur redoutable, est d’abord un tremplin. Dessous, on aperçoit du feutre ou encore une place vide, un carrefour, une croix. On voit aussi une fenêtre, peut-être même une issue. Il n’en est rien. Oblique, transpercé par une aiguille, fendillé déjà, l’espace se refuse même à la lumière rasante. La perspective s’accélère puis change de cap, à droite. Non, à gauche. A chaque instant, d’autres signes énigmatiques font déraper la logique. Là, une plume, ailleurs, une autre aiguille, du fil à recoudre, une agrafe, une béance organique. Le tragique se construit patiemment sur fonds d’attirance et de répulsion entre la surface dure du papier et la trop profonde tendresse de la pierre noire.

Bruxelles, Cabinet d’art contemporain, 47, rue Ernest Allard. Jusqu’au 6 avril. Les jeudis et vendredis, de 15 à 19 heures. Le samedi de 14 à 18 heures. Tél.: 02-512 88 28.

Guy Gilsoul

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