De la bascule coréenne à la corde volante, le spectacle est souvent aérien. © CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/CNAC

Les cracks du Cnac

Les étudiants du Centre national des arts du cirque (Cnac) de Châlons-en-Champagne présentent exceptionnellement leur spectacle de fin d’études en Belgique, aux Halles de Schaerbeek. On n’est pas là pour sucer des glaces est un joyeux foutoir où brillent quelques pépites.

Les Halles de Schaerbeek sont un partenaire de longue date de l’Esac, l’Ecole supérieure des arts du cirque de Bruxelles. L’ancien marché couvert de la rue Sainte-Marie accueille ainsi chaque année l’ Exit des étudiants de dernières années, réunissant leurs numéros de fin d’études (1), et certains spectacles collectifs montés par l’école, comme par exemple Joue contre joue en 2017. Mais en 2020, les Halles ouvrent pour la première fois leurs portes à une autre école, française celle-là, le Cnac, Centre national des arts du cirque situé à Châlons-en-Champagne, pour la présentation du spectacle de fin d’études de la 31e promotion 2019-2020, mis en piste par Galapiat Cirque : On n’est pas là pour sucer des glaces (2).

Pour les seize étudiants de la promo, c’est un moment fondamental, une charnière marquant la fin de leur scolarité et le début de leur vie professionnelle, avec une vraie création, une vraie tournée et un vrai public. Créé début décembre dernier dans le cirque historique du Cnac, On n’est pas là pour sucer des glaces a installé son chapiteau en janvier au parc de la Villette pour une série de représentations parisiennes avant d’arriver à Bruxelles.

Marche de glace

Eclectique, le spectacle l’est forcément puisqu’il s’agit de réunir tous les étudiants de troisième année, avec leurs spécialités et leurs personnalités. Au son du violon, de la musique électro ou tout simplement sur un silence accentuant la tension, On n’est pas là pour sucer des glaces enchaîne sans temps mort des scènes collectives occupant souvent les airs avec les cordes lisses, les cerceaux aériens, la bascule coréenne, les mâts chinois ou le trapèze ballant, et des séquences où un seul artiste capte toute la lumière. Sautant comme un chat dans son anneau géant, Marica Marinoni épate par sa maîtrise de la roue Cyr. Carlo Cerato, seul jongleur de la promotion, parvient à méduser et réjouir l’assistance avec quelques anneaux, des massues et des balles molles, revisitant le golf, transformant des lunettes en papillon ou se métamorphosant lui-même en dinosaure à crête dorsale.

Autre Italien de la bande, Davide Bonetti a capté toute l’attention avec une trouvaille géniale : des chaussures en glace, qui influencent son acro-danse en la rendant glissante, pesante, fondante. Ses gros sabots gelés convoquent dans l’imaginaire aussi bien le réchauffement climatique que les handicaps physiques qui isolent.  » Quand on a commencé la création avec Galapiat Cirque lors de deux semaines de résidence à Cherbourg, on a pu lister toutes nos envies, même les plus folles, explique l’acro-danseur avant de nous montrer sa prochaine paire de souliers glacés en cours de production dans le congélateur. J’avais d’abord proposé un solo avec des chaussures de sécurité, où je jouais avec leur poids. L’idée avait plu aux metteurs en scène mais ils m’ont dit qu’il fallait une vraie contrainte. Du coup, avec l’aide de nos supertechniciens à qui on peut tout demander, j’ai testé des chaussures en béton. Dix kilos par pied. J’arrivais juste à marcher. Et chaque chaussure coûtait sept euros, soit quatorze euros par paire. Avec plus de soixante dates de tournée, ça faisait un trop gros budget. J’ai alors eu l’idée des chaussures en glace, qui ne coûtent rien. Il a fallu un mois et demi pour parvenir à une technique de fabrication satisfaisante.  »

Davide Bonetti et ses chaussures de glace : une belle trouvaille.
Davide Bonetti et ses chaussures de glace : une belle trouvaille.© SÉBASTIEN ARMENGOL/CNAC

Pensée stratégique complète

 » Quand les Galapiats sont arrivés, la première chose qu’ils ont dite, c’est que quand eux-mêmes avaient monté leur spectacle de fin d’études, ils avaient fait des choses qu’ils ne voulaient pas faire et ils n’avaient pas aimé, donc ils ne voulaient pas ça pour nous, signale Pablo Peñailillo Soto, Chilien venu au Cnac parfaire sa technique en corde lisse. On a d’abord noté toutes nos idées, une soixantaine au total, et on a tout essayé pendant deux mois, avant de choisir ce qu’on allait garder.  » Les membres du Galapiat Cirque sont en effet, eux aussi, des anciens du Cnac, comme une bonne partie des grands noms du cirque contemporain français. On peut citer dans le désordre des artistes et des compagnies comme Yoann Bourgeois, Baro d’evel, Vimala Pons, Etienne Saglio, Les Nouveaux Nez, Johann Le Guillerm, Cirque Aïtal, Mathurin Bolze, le Cheptel Aleïkoum, le Collectif AOC… Et On n’est pas là pour sucer des glaces s’inscrit dans une lignée de spectacles de fin d’études auréolée par le mythique Cri du Caméléon, monté en 1995 par la 7e promo et mis en scène par le chorégraphe Josef Nadj.

Inauguré en 1986 par Jack Lang, alors ministre de la Culture de François Mitterrand, le Centre national des arts du cirque, à la fois établissement supérieur de formation et centre de ressource et de recherche, est un des maillons d’un réseau culturel structuré, réfléchi et organisé, au même titre que les Centres chorégraphiques nationaux, les Scènes nationales et les Centres dramatiques nationaux.  » Le nouveau cirque est aussi belge que français, mais les Français se sont institutionnalisés tout de suite, souligne Virginie Jortay, qui connaît bien les situations belge et française puisqu’elle a été directrice pendant cinq ans de l’Esac avant de prendre, il y a un an, la direction de la formation et de l’insertion professionnelle au Cnac, aux côtés du directeur général Gérard Fasoli (lui-même directeur de l’Esac de 2008 à 2012). Le Cnac fait partie d’une pensée stratégique complète et transversale qui est admirable. Moi qui viens de Belgique, j’envie les Français pour leur cohérence, leur politique, leur stratégie. Les circassiens français, de leur côté, envient les Belges pour leur créativité, leur liberté, leur côté je-m’enfoutiste et leur humour. Chaque système a des avantages et des inconvénients mais il est clair qu’au niveau de la santé mentale de l’artiste, je préfère être en France plutôt qu’en Belgique.  »

Fin 2018, le Cnac a mené une enquête auprès de ses 329 anciens étudiants depuis la première promotion : 88 % ont aujourd’hui une activité professionnelle dans le domaine du cirque. 67 % des répondants (soit 162) ont créé une compagnie au cours de leur carrière. Si l’Esac n’existe dans sa structure officielle que depuis 2003 et si les territoires ne sont pas comparables, l’école bruxelloise fait pâle figure en comparaison.  » Plusieurs compagnies issues de l’Esac ont monté un spectacle mais peu perdurent, précise Virginie Jortay. A ce jour, Carré Curieux est la seule compagnie issue de l’Esac à bénéficier d’un contrat-programme avec la Fédération Wallonie-Bruxelles. Après autant d’années, on peut se poser des questions…  » Le débat est ouvert.

(1) Exit 19 : aux Halles de Schaerbeek, du 17 au 21 juin prochain.

(2) On n’est pas là pour sucer des glaces : aux Halles de Schaerbeek, du 28 février au 1er mars.

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