Les Assises de l’interculturalité font monter les enchères

Bien qu’elles aient peu de chance de donner des résultats concrets, les Assises de l’interculturalité ont démontré par l’absurde que la diversité avait un coût.

Curieux choc des actualités… Le 2 novembre, le Premier ministre Yves Leterme (CD&V) affirmait – sans étayer autrement sa démonstration – que le multiculturalisme en Belgique était un échec, à l’instar de ce qu’avait déjà déclaré la chancelière allemande Angela Merkel (CDU). A la suite d’un différend à la commission des naturalisations de la Chambre, où la NV-A a fait une entrée remarquée, notre petit monde politique a semblé soudain s’accorder sur la nécessité d’un durcissement des conditions d’octroi de la nationalité et de l’accès au regroupement familial. Et, cerise sur le gâteau, c’est un poulain de Joëlle Milquet, Melchior Wathelet (CDH), qui annonçait, le 5 novembre, des mesures drastiques pour accélérer le traitement des demandes d’asile. Joëlle Milquet en tête, tout le monde s’entendait aussi, côté francophone, pour trouver mille vertus au modèle d’ inburgering à la flamande, qui impose aux primo-arrivants un parcours d’intégration pour leur permettre d’apprendre la langue et les us et coutumes de la Région où ils s’installent…

Dans cette ambiance nouvelle de fermeté à l’égard d’une immigration incontrôlée, le rapport des aAssises de l’interculturalité, présenté le 8 novembre, a produit son petit effet. A l’opposé. Car ce manifeste dépeint un groupe (ou des groupes) qui campe(nt) sur ses (leurs) différences et qui manifeste(nt) un besoin inextinguible de reconnaissance, voire une certaine agressivité à l’égard du reste de la société. Sa propre responsabilité, même partielle, n’est jamais questionnée. C’est la société qui est  » injuste « ,  » islamophobe « ,  » discriminante « . La diversité est exaltée comme une valeur en soi, sans qu’on ait pris la peine de vérifier si celle-ci n’engendrait pas des tensions dans la vie quotidienne, si elle n’imposait pas des efforts financiers exorbitants (enseignement, aides sociales, maintien de l’ordre…). Au contraire : il faudrait désormais placer des  » médiateurs interculturels  » à tous les étages, pour apprendre aux prestataires de services à faire preuve de l’  » empathie  » qui convient à l’égard des minorités et, accessoirement, réduire le chômage au sein des communautés. A lire ce texte d’une soixantaine de pages, le multiculturalisme, mot qui décrit un modèle où les minorités cultivent leurs différences, serait même en deçà de la réalité puisque ces minorités, si on suit bien les auteurs, voudraient les imposer aux autres comme un souverain bien.

Des assises contestées sur la ligne de départ

Les 22 experts hétéroclites (leaders religieux, représentants du monde associatif, universitaires, etc.) qui composaient le comité de pilotage, sous le contrôle étroit du cabinet de la ministre de l’Egalité des chances, Joëlle Milquet, ont été lâchés en cours de route par Guy Haarsher (ULB), Andrea Rea (ULB) et Marco Martiniello (ULg). De fait, cette entreprise était risquée, au vu de son mandat et du profil très engagé de ses principaux animateurs : Radouane Boulhal, président du Mrax ; Henri Goldman, journaliste indépendant proche d’Ecolo ; Nadia Fadil, chercheuse à la KULeuven…. L’opération a fini par ressembler à une thérapie de groupe, l’essentiel étant de se quitter bons amis, pour faire pâlir d’envie les pays voisins qui se déchirent sur l’  » identité nationale  » ou sur les minarets. Dont coût : 1 million d’euros, dépensés en séances académiques, colloques, études universitaires, communication et saupoudrage de subsides sur une nuée d’initiatives locales, revêtues du label  » Assises de l’interculturalité « .

Voulues et défendues par Joëlle Milquet (CDH), les Assises ne faisaient pas mystère de leurs ambitions, en septembre 2009. Elles voulaient promouvoir ce qu’un précédent bidule – socialiste, celui-là, la Commission du dialogue interculturel (2005) – avait nommé les  » groupes culturels « . Elles auraient dû aller aussi un pont plus loin, en accordant aux groupes discriminés du fait de leurs préférences religieuses le bénéfice des  » accommodements raisonnables « , jusqu’ici réservés aux handicapés. Des droits particuliers. Dans la version 2010 de cette énième reprise, les  » groupes culturels  » ont été rebaptisés  » minorités ethniques, culturelles et/ou religieuses « . Les accommodements raisonnables (euphémisés en  » aménagements raisonnables « ) sont passés à la trappe. Et le discours, s’il n’est pas bien neuf ( » Bien sûr que les discriminations et le racisme doivent être combattus « , a rappelé Guy Haarsher), est beaucoup plus tranché que le précédent, moins langue de bois. Plus orienté religieusement aussi.

En dépit de quelques accents propres à satisfaire la communauté  » black « , le rapport aborde beaucoup de thèmes en lien avec l’islam. Dont le voilement des filles et des femmes, qui est le leitmotiv des islamistes du monde entier. Si les Assises avaient voulu être conséquentes avec le droit musulman classique, elles auraient alors dû se battre pour que les hommes musulmans puissent porter le turban en toutes circonstances ! Mais l’aspect inégalitaire de la revendication du voile ou la place du religieux dans la vie sociale ont été très vite expédiés, comme on chasse une mouche d’un pot de miel :  » Alors que certains groupes issus des minorités ethniques, culturelles et/ou religieuses restent attachés à leurs propres modèles familiaux, la culture dominante a tendance à s’immiscer, par exemple à travers des actions spécifiquement destinées aux femmes dans le but de les inciter à s’émanciper des contraintes de la famille. De la même manière, la religion est considérée comme une entrave à l’émancipation, tandis qu’elle peut constituer une importante ressource identitaire « , précise le texte. Au moins, une condamnation du port de la burqa aurait pu montrer que les Assises adhéraient à un socle de valeurs communes minimales ; elles ont fait le choix explicite de ne pas en parler.

Le rapport des Assises recommande d’interdire les signes convictionnels dans le secondaire inférieur et de les autoriser dans le secondaire supérieur. Il propose de les introduire dans la fonction publique, à l’exception de l’armée, de la police et de la justice. Il suggère de supprimer deux jours fériés à connotation chrétienne (Ascension, Toussaint), de les remplacer par des jours célébrant les femmes, la diversité ou l’antiracisme et de prévoir  » deux jours flottants  » en lien avec les identités religieuses de chacun. Le rapport préconise des quotas temporaires pour favoriser le recrutement de personnes issues des groupes minorisés et un monitoring socio-économique du monde du travail. Il propose aussi de supprimer de la loi de 1995 la référence à la persécution des juifs par les nazis afin de pouvoir aussi pénaliser la négation d’autres génocides. Les fautes du colonialisme doivent faire aussi l’objet d’une demande de  » pardon  » et la toponymie des villes devrait être expurgée des références à l’époque coloniale. Sur les  » accommodements raisonnables « , qui étaient l’un des buts des Assises, le rapport avoue que la réflexion n’est pas mûre et que l’assimilation de la religion à un handicap, pour justifier des dérogations à la règle commune, devrait être mieux étudiée.

L’acceptabilité ou la praticabilité de ces recommandations est réduite, voire nulle. Sur la question du voile islamique, par exemple, la société a tellement évolué que même l’olivier (PS, CDH, Ecolo) n’est pas sûr d’obtenir un vote sur la proposition de la ministre de l’Enseignement, Marie-Dominique Simonet (CDH). Celle-ci suggérait de laisser le libre choix aux élèves à partir de la quatrième mais si et seulement si l’école avait préalablement décidé de leur offrir cette opportunité de choix. Les Assises sont plus hard : c’est l’autorisation généralisée dans le secondaire supérieur, quel que soit le projet pédagogique de l’école. Quant à donner accès au port de signes philosophiques et religieux dans la fonction publique, même derrière un simple guichet, ce serait à coup sûr une levée de boucliers dans la population, très attachée à la neutralité des services publics.

Autre difficulté majeure : les jours fériés. Comme en France, pays pourtant laïque, les fêtes d’inspiration catholique sont assimilées à un patrimoine culturel. Du reste, seuls les partenaires sociaux, au niveau des conventions collectives, ou l’échelon de base de la concertation sociale, pourraient introduire des modifications du calendrier des jours fériés. Sans compter qu’il faudrait encore se concerter avec les écoles… Autant dire qu’il ne s’agit pas là d’une éventualité à court terme. Surtout lorsque l’on sait que, dans les entreprises, la principale revendication inspirée par les origines est la faculté de pouvoir regrouper tous ses congés pour partir un long mois au Maroc ou en Turquie…

Le sabordage de la Shoah

Modifier la loi pénalisant la négation du génocide des juifs en supprimant la référence à la Shoah ? On n’en est pas là car, quand il s’agira de nommer les autres génocides, la communauté turque – relativement absente des Assises, marquées d’une forte empreinte maghrébine – risque de se mettre en travers d’une évocation du génocide des chrétiens de l’Empire ottoman sous le régime Jeunes-Turcs. Et l’on voit mal les juifs accepter de perdre la reconnaissance de la spécificité de la Shoah, alors que l’extrême droite et les supporters d’Ahmad Ahmadinejad, le président iranien, nient effrontément le génocide des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Alors, le rapport des Assises va-t-il être rangé au rayon des invendus où ses prédécesseurs prennent la poussière ? Ce n’est certainement pas une pièce de musée. Il bouillonne d’affectivité, de ressenti et de ressentiments. C’est une pièce au dossier. Avec deux notes minoritaires très éclairantes. Dans la première, Edouard Delruelle, membre des Assises et directeur adjoint du Centre pour l’égalité des chances, prend ses distances avec la proposition de soumettre les écoles secondaires à un régime d’interdiction puis d’autorisation des signes convictionnels. Il souhaite que les écoles restent libres de les interdire, y compris dans le secondaire supérieur.  » Je suis convaincu, tempère-t-il aussi, que la solution aux problèmes interculturels, en dernier ressort, n’est pas… culturelle, mais se trouve dans une refondation de l’Etat social européen et dans des politiques « généralistes » en matière d’emploi, de logement, d’urbanisme, etc.  » A l’autre extrême, Naïma Charkaoui, directrice du Minderhedenforum (le Forum des minorités flamand), rejette toutes les solutions de  » compromis  » en ce qui concerne le port du voile à l’école ou dans la fonction publique. C’est liberté toute !

MARIE-CéCILE ROYEN

Le rapport aborde beaucoup des thèmes en lien avec l’islam

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