Les amants de Berlin

Entre fiction et témoignages, Anne Wiazemsky, la petite-fille de Mauriac, retrace la rencontre de ses parents dans l’Allemagne de 1945. Confidences.

Dans Hymnes à l’amour, en 1996, elle narrait la face noire du couple de ses parents. Aujourd’hui, elle explore avec allégresse, dans Mon enfant de Berlin, leurs premiers émois. Anne Wiazemsky, qui met la dernière main à un documentaire sur l’actrice et réalisatrice Nicole Garcia – rien de mieux que le travail pour faire taire l’angoisse – s’explique avec retenue sur son tropisme familial.

Le Vif/L’Express : Comment est née l’idée de ce roman, qui met en scène les débuts amoureux de vos parents ?

A.W. Je l’avais sans doute quelque part en moi depuis longtemps, mais, tout d’un coup, durant l’été 2007, j’ai pensé, de la façon la plus bête qui soit :  » Mes parents me manquent.  » J’en ai parlé à mon frère, Pierre (NDLR: Wiaz, le dessinateur). Il m’a dit :  » C’est peut-être le moment que tu relises les lettres et le journal de maman.  » Adolescente, j’avais découvert en partie ce journal intime. Puis j’ai récolté auprès des deux dernières amies vivantes de mes parents, Olga et Plumette, des éclaircissements et des anecdotes. J’ai choisi des passages de ces écrits et j’ai monté le tout, en comblant les vides avec le romanesque. Le plus difficile a été de rendre l’ensemble fluide.

L’exercice n’a pas été trop douloureux ?

Il est vrai que j’ai relu cestémoignages dans un drôle d’état. Mais très vite, j’ai trouvé ce sujet formidable, ces gens, ma mère, Claire, membre de la Croix-Rouge française, mon père, Yvan, £uvrant pour la division des personnes déplacées – en grande majorité des Français du STO (service du travail obligatoire) et des  » malgré-nous  » alsaciens que les Soviétiques s’apprêtaient à envoyer en Sibérie. Et, très curieusement, ce n’était plus mes parents, ils sont devenus des personnages à part entière. La fiction m’a beaucoup aidée, m’a libérée, j’ai écrit avec allégresse – ce qui est très inhabituel chez moi. Ce n’est qu’une fois le livre devenu public que je me suis dit :  » Holà, quelle responsabilité, ce sont aussi mes parents !  » D’où ce sentiment, aujourd’hui, d’une certaine indécence à leur égard, mais aussi la tristesse de les avoir quittés.

Pour raconter le Berlin en ruine d’une époque  » à la fois cruelle, sordide et étrangement belle « , vous vous êtes documentée ?

Oui, j’ai vu et lu tout ce que j’ai pu trouver. Cela va du film de Rossellini Allemagne, année zéro à celui de Melville L’Armée des ombres ; d’Une femme à Berlin, témoignage d’une anonyme, aux formidables Mémoires de l’actrice Hildegard Neff, A cheval donné. Du coup, j’ai l’impression de beaucoup mieux connaître le Berlin d’hier que celui d’aujourd’hui, où je ne suis jamais allée d’ailleurs, moi l' » enfant de Berlin « .

En 1944, Claire, l’ambulancière aguerrie, semble toujours être sous la coupe de ses parents, or elle a déjà 27 ansà Est-ce pour fuir cette emprise qu’elle rejoint la Croix-Rouge à Berlin ?

Son statut tient à l’époque, mais aussi à la bourgeoisie française et aux personnalités de son père, François Mauriac, et de sa mère, Jeanne. Mais si Claire part à Berlin, c’est aussi parce qu’elle est sombre, migraineuse, dévouée et qu’elle a un sacré cran. Or ce genre de personne n’est jamais au mieux que dans la mitraille et les très grandes difficultés. Et puis elle adorait conduire. Elle a écrit des pages entières sur le plaisir qu’elle prenait à conduire, nuit et jour, ses ambulances, de véritables tanks.

Ne cherche-t-elle pas aussi désespérément à être prise au sérieux par sa famille ?

Très certainement. La femme était alors dans un carcan, elle n’avait d’autre destin que de se marier et de se reproduire. En faisant de Claire une héroïne de roman, j’ai aimé la séparer de son environnement, lui restituer sa vraie parole, qu’elle ne soit plus  » la mère de « ,  » la fille de « , mais Claire.

Ce que Claire va apprécier chez  » Wia « , ne serait-ce pas justement que ce  » Martien  » ne lise pas et ne connaisse pas François Mauriac ?

Cela participe bien sûr, tout comme leurs différences. C’est ce qu’elle a raconté à l’enfant que j’étais et c’est ce qu’elle écrit à ses parents le 28 novembre 1945 :  » Il aime sortir le soir et je déteste ça ; il aime voir des amis et je déteste ça, il aime boire et je déteste çaà nous n’avons aucun point en commun, mais je pense que c’est peut-être avec lui que j’ai une toute petite chance d’être heureuse. « 

Ce qui ne plaît guère à la famille, qui parle d’une  » absurde tocade « à

Ça, c’est la romancière qui l’écrit. Mais, phénomène d’hypnose ou d’inconscience, je pense l’avoir entendu, jeune, cela sonne juste à mes oreilles. Ce qui est sûr, c’est que François Mauriac a demandé à l’ex-Russe Henri Troyat, de son vrai nom Tarassov, prix Goncourt 1938 pour L’Araigne, d’enquêter sur ce soi-disant prince qui se fait appeler Yvan Wiazemsky. Au grand soulagement des Mauriac,  » Wia  » descendait bel et bien d’une des plus anciennes familles de Russie.

La vie devient belle pour Claire ?

Elle le dira, oui, plus tard : sa grande référence de moment de vie exaltante était Berlin. Ils n’avaient pas 30 ans, connaissaient le bonheur d’avoir survécu et la joie de se rendre utiles en secourant, au milieu des décombres, tous ces réfugiés. Un idéal sincère qui me bouleverse.

Dans la journée, ils pansent les plaies et, le soir, ils dansent. Pour mieux supporter le malheur environnant ?

Sûrement. Il ne faut pas oublier aussi qu’ils sortent de quatre années de guerre, qu’à Saint-Germain-des-Prés des gens de leur âge font les zazous dans les caves ; eux sont à Berlin avec la même rage de vivre.

On peut imaginer que les parents Mauriac étaient fiers de Claire, mais le lui disent-ils ?

Ce n’est pas le genre. Je suis formelle. Dans cette famille, on n’a jamais fait de compliment.

Mon enfant de Berlin, par Anne Wiazemsky. Gallimard, 254 p.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIANNE PAYOT

 » La fiction m’a beaucoup aidée, j’ai écrit avec allégresse « 

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