Leroy, le génial besogneux

Guy Gilsoul Journaliste

Un tableau d’Eugène Leroy peut mettre quinze ans avant de sortir de l’atelier. Que cherchait donc ce peintre des Flandres françaises dont on fête aujourd’hui le centenaire de la naissance ?

Chaque jour, depuis 1935, un professeur de latin et de français enfourche son vélo et, après avoir embrassé Valentine, sa femme, et Géno, son fils, gagne Roubaix et la salle de classe. Pourtant, depuis ses 15 ans, ce même professeur qui n’est autre qu’Eugène Leroy (1910-2000) dessine et peint. Très vite même, mis en contact avec le conservateur du musée de Lille, il travaille d’après nature mais aussi dans le musée :  » Je dessinais le meilleur et le pire. Il est plus facile de dessiner le pire.  » Il suit aussi quelques cours aux Beaux-Arts de Lille et de Tourcoing mais, décidément, il préfère travailler seul. Et loin de Paris.

Et comme il aime la littérature, enseigner lui paraît appartenir à la catégorie du loisir. Peindre, jamais. L’affaire est trop sérieuse. Et son défi, de taille. En effet, à l’heure où la bataille fait rage entre partisans et opposants face à l’abstraction, il choisit d’écouter la leçon des maîtres, de Rembrandt d’abord, de beaucoup d’autres ensuite. Il ne s’en lassera jamais. Or ceux-ci lui apprennent que figuratif et non- figuratif se sont toujours mêlés pour créer tout à la fois l’émotion et la musique. A son tour, il va, de toile en toile et ce pendant plus de soixante ans, chercher à s’approcher toujours plus de cette harmonie tout en énergie qu’il découvre chez les  » grands « . Peu à peu, il entre dans le grand jeu de la peinture multipliant les approches, corrigeant, effaçant, ajoutant. Souvent, il abandonne un travail. Puis y revient, surcharge dans le frais ou préfère attendre que l’huile sèche pour gratter, retrouver la couche inférieure et recommencer. Après tout, a-t-il appris, la qualité des gris de Goya ne vient-elle pas de ses fonds orange et la somptuosité des bleus ne doit-elle pas aux rouges sous-jacents ?

Parfois aussi, a contrario et se souvenant de Cézanne, il part du blanc. Jusqu’en 1958, c’est dans la cuisine de la maison qu’il multiplie ses expériences. Après et jusqu’à sa mort, c’est à Wasquehal, près de Lille, qu’il va enfin, dans un vrai atelier, s’attaquer à de grands formats. Son nom commence à circuler jusqu’à Paris. En 1961, le célèbre marchand Claude Bernard expose ses £uvres et c’est là que Michael Werner, le galeriste allemand (Cologne, Berlin, New York) le découvre. Il faudra néanmoins attendre encore quelques années pour que ce dernier se décide à défendre le travail d’Eugène Leroy. Ce sera à la suite d’une exposition organisée par Jan Hoet au musée de Gand en 1981. Le peintre avait 71 ans.

C’est donc tout naturellement que l’exposition du centenaire organisée au musée de Tourcoing, rebaptisé Muba Eugène Leroy (suite à une donation importante des fils du peintre), a été imaginée par Jan Hoet et Denys Zacharopulos. Le propos n’est pas de suivre une chronologie mais, à la manière du peintre, d’entrer  » en peinture « . Après le choc de grands formats, le visiteur est amené à s’approcher de toiles aux dimensions plus confidentielles qui ont l’art de distinguer les détails, les nuances, les dialogues. Le voilà prêt à plus de complexité. Bref, à entrer dans le laboratoire de la peinture :  » Peindre, c’est entrer lentement dans les choses.  » Or ces  » choses  » (la vie, le réel) relèvent dans leurs apparitions (les £uvres) autant des qualités de lumières qui se posent à la surface de la toile que celles qui sourdent depuis les fonds. L’épaisseur de la couche picturale ne serait alors qu’un entre-deux. Une épaisseur vibrante livrée à la façon d’une transfiguration :  » Peindre, c’est aussi restituer la trace, le résidu de l’émotion du début – qui est l’émotion d’un geste. « 

Tourcoing, Muba Eugène Leroy. 2, rue Paul Doumer. Jusqu’au 31 mars 2011. Tous les jours, sauf le mardi, de 13 h 30 à 18 heures. www.muba-tourcoing.fr Catalogue aux éditions Hazan.

GUY GILSOUL

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