Le trop beau rôle donné au passé wallon ?

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Degrelle, militant wallingant vite oublié. Voile pudique sur les collabos wallons. Exaltation de la Résistance wallonne. Un historien anversois dénonce : la lecture magnifiée du combat wallon noircit le passé d’une Flandre  » intolérante « .

Son absence rend perplexe et soupçonneux l’historien Maarten Van Ginderachter. Trois volumes, 1 800 pages, 6 000 notices, et pas de trace d’un certain Léon Degrelle dans la monumentale Encyclopédie du Mouvement wallon. Le plus tristement célèbre des collabos wallons y aurait pourtant sa place, soutient le professeur de l’université d’Anvers. Ne fût-ce que pour avoir, fort modestement, apporté sa pierre à l’édifice de la cause wallonne, en collaborant durant l’entre-deux-guerres à une revue estudiantine francophone de Louvain intitulée L’Avant-Garde.

Or, si la revue a droit à une belle mention dans l’Encyclopédie, ce n’est pas le cas de son ancien secrétaire de rédaction de 1927 à 1928. Où est la logique, s’interroge Maarten Van Ginderachter ?  » Soit la revue n’appartient pas au Mouvement wallon et ne peut être reprise, soit elle est bien wallingante et Degrelle mérite un article, puisqu’il a travaillé dans le Mouvement wallon pendant un an au moins.  » Ni plus ni moins que ces milliers de militants obscurs répertoriés dans l’ouvrage pour avoir contribué à l’affirmation politique de la Wallonie.

Pour le coup, Maarten Van Ginderachter force le trait. Le raisonnement, à la limite de la provocation, laisse de marbre au sein de l’Institut Destrée, maître d’oeuvre de l’ouvrage collectif publié entre 2000 et 2001. Son patron, Philippe Destatte, rafraîchit la mémoire de son estimé collègue anversois.  » Il se trompe lourdement. Le rexisme et son chef de file Léon Degrelle étaient attachés à une révolution nationale belge, ils n’étaient en rien impliqués dans une dynamique wallonne.  » Rien à voir avec le combat du Mouvement wallon, donc avec l’Encyclopédie qui a pour vocation de recenser ses acteurs. CQFD.

Exit Léon Degrelle. Mutisme aussi sur Rex, la Légion Wallonie, nombre d’organisations de collaboration dont l’appellation revendique ouvertement un ancrage wallon. L’ampleur de la collaboration wallonne durant la Seconde Guerre mondiale peut ainsi aisément tenir sur une colonne de l’Encyclopédie. Et faire place nette au riche passé de Résistance wallonne, autrement mis en évidence.

 » Objection ! se lève une fois encore Maarten Van Ginder-achter. Le Mouvement wallon a tendance à revendiquer la paternité de tous les groupes de Résistance actifs sur le territoire wallon.  » A faire un peu trop vite fi de cette nuance : être résistant actif en Wallonie n’était pas forcément être résistant wallon.  » Les chercheurs, même flamands, sont d’accord sur le fait que l’épicentre de la Résistance se situe chez les francophones. Mais l’article « Résistance » présente une opposition trop contrastée entre la Flandre et la Wallonie.  »

C’est le péché mignon auquel céderait l’Encyclopédie du Mouvement wallon au fil de ses pages, déplore l’historien anversois.  » L’opposition exagérée entre la Wallonie citoyenne, démocratique, éprise de liberté, et la Flandre ethnique et intolérante.  » Rudy Demotte ne sous-entendait pas vraiment autre chose. Chantal Kesteloot, historienne au Ceges parle aussi d' » une vision implicite, celle d’un Mouvement flamand étouffoir des aspirations wallonnes « . Démarche militante derrière tout cela ? Philippe Destatte réfute catégoriquement le soupçon.

 » Mettre la Wallonie dans la tête des Wallons « , décrétait dans les années 1990 le ministre-président wallon Robert Collignon (PS). Sans se montrer nationaliste ni chauvin, assurait et rassurait aussitôt cet ardent régionaliste. Mais en se donnant tout de même, de préférence, le beau rôle. Privilégier et valoriser tout ce qu’il y a eu de positif dans l’engagement wallon : les luttes sociales, la Résistance, l’anti-léopoldisme, etc. Ne pas trop s’étendre sur l’un ou l’autre épisode qui a pu entacher le passé wallon.  » Disons que sans les nier, l’Encyclopédie ne s’appesantit pas sur des sujets qui fâchent ou ne font pas plaisir « , confie un des contributeurs à l’ouvrage collectif.

En 2004, Hervé Hasquin brise les codes. Sous sa plume de spécialiste de l’histoire de Wallonie et sa casquette de ministre-président MR de la Communauté française, il tire de l’oubli les liaisons dangereuses, sous l’Occupation, entretenues par une poignée de séparatistes wallons centrés sur Liège avec le régime de Vichy.

L’auteur de ce qui passe d’emblée pour un brûlot peut se vanter de causer un joli raffut médiatique. Hervé Hasquin l’a bien cherché, en sous-titrant son ouvrage d’un sulfureux :  » Une histoire d’omerta « . L’engagement vichyste de séparatistes wallons relève pourtant du secret de Polichinelle dans le cercle des historiens spécialisés. Mais son exhumation au grand jour, et de façon aussi fracassante, fait mouche dans la presse. Elle reçoit un accueil glacial dans les milieux wallingants.  » Mon ouvrage m’a valu d’être cordialement détesté à Liège et d’être mis à l’index de certaines librairies « , se souvient, amusé, l’historien.

A chaque histoire ses mythes et ses tabous. Ses vérités plus ou moins bonnes à dire, plus ou moins agréables à entendre. Qu’elles soient flamandes ou wallonnes.

Les séparatistes wallons et le gouvernement de Vichy (1940-1943), par Hervé Hasquin, Académie royale de Belgique, 2004.

Pierre Havaux

Robert Collignon, ministre-président wallon, décrète :  » Il faut mettre la Wallonie dans la tête des Wallons.  » Sans chauvinisme

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