Le Spiroudome côté VIP

Anderlecht à Bruxelles, le Standard à Liège… et le Spiroudome à Charleroi. Un temple américanisé dédié au basket où se mêle le gratin de la ville, des décideurs politiques aux entrepreneurs. Reportage en coulisses, entre cercle d’affaires et lieu de détente.

Vendredi 25 octobre, RTL Spiroudome, à une encablure au nord du ring de Charleroi. Les Belgacom Spirou, hôtes vedettes de la salle polyvalente, reçoivent le BC Ostende pour la 5e journée du championnat belge (ligue Ethias). Tandis que la majorité des spectateurs défilent à l’entrée principale, d’autres contournent le bâtiment et gravissent un petit escalier : c’est là que se niche l’espace VIP. A l’intérieur, déception : pas de trace du ministre de l’Economie Johan Vande Lanotte (SP.A), passionné de basket, nul ne l’ignore, et plus particulièrement de son équipe flandrienne. Occupé ailleurs, paraît-il.  » Et puis il m’a dit : chaque fois que je viens, on perd ! » plaisante Benoît Cuisinier, le directeur général des Spirou. Jean, chemise ouverte, smartphone greffé à la main, style décontracté comme la majorité des personnes présentes, le jeune manager de 32 ans, dont dix au sein du club, slalome d’un groupe à l’autre, claquant des bises à la chaîne. Plus loin, le président Eric Somme, seigneur des lieux, promène d’un pas nonchalant sa grande masse blanchie. Au bar, députés ou échevins côtoient banquiers et personnalités du monde sportif. L’affluence est toutefois moins forte qu’en fin de saison. Lors des play-off, il arrive que les 6 300 sièges soient presque tous occupés.

Car en une décennie, l’ancienne  » Coupole  » des années 1990, reconstruite en 2002, s’est imposée comme theplace to be du Pays de Charleroi. Les résultats sportifs des Spirou n’y sont pas étrangers : quatre titres consécutifs de champions de Belgique entre 2006 et 2011. Mais c’est surtout l’ambiance conviviale et familiale qui plaît au Tout-Charleroi. Notamment aux femmes, pratiquement aussi nombreuses que les hommes. La bourgmestre MR de Montigny-le-Tilleul, Véronique Cornet, est venue accompagnée de son fils, fan de basket.  » J’ai été basketteuse moi aussi. Et puis, je suis entrée au parlement wallon en 1990 comme suppléante d’Etienne Bertrand, alors président du club. Par contagion, il m’attirait là-bas « , se souvient-elle, avant de partir dans l’un de ses grands rires.

Véronique Salvi, échevine CDH à la Ville, se trouve elle aussi dans la salle paraît-il, perdue quelque part dans la foule, ou peut-être attablée dans l’un des deux espaces de restauration. Tout comme le député provincial du cru, Yves Lardinois (PS), dont la tignasse blanche passe pourtant difficilement inaperçue. Le bourgmestre Paul Magnette (PS) se montre de temps à autre, nous glisse-t-on,  » mais lui est plus foot « .

Olivier Chastel (MR), en revanche, compte parmi les habitués. En tenue décontractée, le ministre du Budget accompagne ses jumeaux. Pour voir le match en famille, pas pour réseauter.  » Je ne nie pas que c’est l’occasion pour des sociétés de rencontrer des sous-traitants, des clients, et que les business seats jouent un rôle non négligeable dans le milieu des affaires. Mais à titre personnel, c’est surtout un moyen d’échapper à la vie que je mène tous les jours. Je ne viens certainement pas pour me faire accrocher par tel ou tel décideur.  »

Les responsables d’entreprises et leurs invités, eux, se répartissent plutôt dans les dix loges, réunis autour d’un plateau d’amuse-bouches et de quelques bonnes bouteilles. De là-haut, ils disposent d’une vue imprenable sur la partie. Ou plutôt le spectacle : lumières vives, klaxons, commentaires exaltés du speaker, entrecoupés de la prestation toujours appréciée des cheerleaders. Un show à l’américaine dû à Eric Somme et dont se sont inspirés depuis la plupart des autres clubs. A la différence des loges du Standard ou d’Anderlecht, aucune vitre ne sépare les VIP du reste du public. Chacun est plongé dans le même bain et les supporters des deux équipes sont mélangés. Convivialité, on l’a dit.

Le cloisonnement social, aussi, est moins étanche qu’au football. Régulièrement présent, l’échevin carolo Anthony Dufrane (PS) aime passer d’un bar à l’autre.  » Dans l’un, je rencontre des collègues d’autres régions ou des responsables de PME ; au rez-de-chaussée, je retrouve des supporters endurcis, de vieux amis ou des membres du personnel communal.  »

Côté loges, certaines entreprises ont leur pied-à-terre permanent, comme Belgacom ou la banque CPH, principal sponsor (on parle de plus de 500 000 euros par an) et actionnaire de la SA Spirou Invest.  » Nous invitons des gens avec lesquels nous avons déjà des relations d’affaires, résume Alain Declercq, président du comité de direction. Il s’agit surtout d’entretenir un réseau.  » D’autres louent un espace en fonction de l’affiche, une ou deux fois l’an. De l’avis général, ce n’est pas ici que les contrats se signent.  » Mais l’atmosphère conviviale fait qu’ils s’y amorcent parfois « , sourit Laurence de Dorlodot, de l’entreprise de peintures industrielles louviéroise Monnaie-Bays.

Une aubaine pour ces patrons soucieux de choyer leurs partenaires et d’échanger les cartes de visite. Ainsi que pour le club, dont les deux tiers du chiffre d’affaires proviennent du sponsoring. Si l’entrée VIP se limite à 35 euros, contre 15 euros pour le tarif normal, le  » pack all in  » avec repas monte à 200 euros par personne.

Contrairement à Bruxelles ou à Liège, Charleroi manque d’autres lieux de rencontre informels entre personnalités qui comptent. Il y a bien sûr le club d’affaires B4C (Business for Charleroi), nettement moins festif, ou encore quelques restaurants courus, à l’exemple des  » 3 P’tits bouchons  » à Mont-sur-Marchienne. Pour le reste… Le Sporting de Charleroi, club de foot phare de la région ?  » Ils font 200 plats alors que nous en sommes ce soir à 650, se targue le traiteur du club. Contre Mons, cela peut monter à 1 500 ! C’est presque le même nombre qu’à Anderlecht.  » A cela s’ajoutent les déjeuners quotidiens, dont l’ambiance feutrée, la carte appétissante et les facilités de parking séduisent plusieurs notables de la région.

Plusieurs interlocuteurs glissent toutefois que, depuis son rachat, en septembre 2012, un vent nouveau souffle sur le Sporting (lire l’encadré). Ce n’est pas l’avis de Stéphane Pauwels. Accoudé au bar lors d’un précédent match, en compagnie de l’ancien gardien de but montois Frédéric Herpoel, le chroniqueur radiotélévisé tire à vue :  » Les gens se retrouvent ici parce que c’est un club bien dirigé, bien structuré, qui ne fait pas de vagues. On ne peut pas le comparer avec un autre où il y a du changement tous les ans, des grincements de dents et des problèmes financiers.  » Cela dit, le trublion de RTL admet un manque de neutralité : son amitié envers Eric Somme remonte à des décennies (il a lui-même joué au basket pendant dix-sept ans) et celui qui l’a engagé dans la chaîne privée n’était autre que Freddy Tacheny, ancien n° 2 de RTL, aujourd’hui administrateur délégué des Spirou. Avec Benoît Cuisinier, il a également fondé la société d’événements sportifs Zelos, qui a racheté récemment le RBC Verviers-Pépinster, en faillite.

Le voilà justement, Freddy Tacheny. A ses yeux, c’est bien simple : Spirou et Standard, même combat :  » Les deux clubs ont un point commun : ce sont tous les deux une marque. Certaines personnes ne savent même pas que les Spirou se trouvent à Charleroi ou le Standard à Liège. On peut être supporter des Spirou et habiter Anvers. Anderlecht, c’est plus localisé.  » Puis, jetant un oeil vers un banquier en pleine discussion avec un inconnu :  » Le sport en général lisse les différences. Quand on entre aux Spirou, on se vouvoie ; quand on en sort, on se tutoie.  » Nous l’avons tout de même vouvoyé en partant.

Par Ettore Rizza

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