Le spectre du Sahelistan

Face aux djihadistes, maîtres des deux tiers nord du pays, la riposte tarde. Voici pourquoi.

La  » zone grise  » a viré au trou noir. Au fil des semaines, on a vu s’enkyster dans les deux tiers nord du Mali, immensité désertique et montagneuse régentée à la cravache par une nébuleuse djihadiste, un inquiétant foyer infectieux.  » Afghanistan ouest-africain « ,  » somalisation du Sahel  » : la chasse aux hyperboles géopolitiques est ouverte. Pour autant, l’éclosion de ce sanctuaire, paradis des trafiquants d’armes et de cocaïne, ne suscite qu’une riposte hésitante, plombée par les arrière-pensées.

Voilà trois mois que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) brandit la menace d’une intervention militaire censée rétablir l’ordre constitutionnel à Bamako, théâtre le 22 mars d’un putsch inepte, puis restaurer l’intégrité territoriale du pays, sapée par une offensive des Touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), que confisquèrent à leur profit les islamistes d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), du Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et d’Ansar Eddine. En fait de menace, à ce stade, un sabre de bois. Car l’unanimité affichée masque mal de profondes divergences. Conscient des risques de contagion, le président du Niger, Mahamadou Issoufou, plaide en faveur de la manière forte. Tout comme le Béninois Thomas Boni Yayi, patron en exercice de l’Union africaine (UA), ou, avec une ferveur inégale, leurs homologues nigérian, mauritanien, guinéen et sénégalais. A l’inverse, le Burkinabé Blaise Compaoré, intronisé médiateur en chef, privilégie une issue négociée aux contours brumeux. D’une bienveillance insolite envers les putschistes maliens, le  » beau Blaise  » préconise un  » agenda global de sortie de crise « , adossé à une  » plate-forme consensuelle minimale « à Son pari : convaincre Ansar Eddine, milice fondée par une figure historique de l’irrédentisme touareg convertie au salafisme, de rompre avec Aqmi.

Alger refuse toute intrusion occidentale

Actrice incontournable et figure de proue autoproclamée de la lutte antiterroriste, l’Algérie rechigne elle aussi. Au nom, bien entendu, du dogme de la non-ingérence. Mais sans doute le devenir des sept diplomates du consulat de Gao kidnappés le 5 avril par le Mujao n’est-il pas étranger à cette retenue. Une certitude : si Abdelaziz Bouteflika et ses généraux, qui ne sauraient tolérer l’émergence d’un émirat islamique sur leur flanc sud, envisagent de fournir un soutien logistique à l’éventuel contingent de la Cedeao, Alger refuse toute intrusion occidentale, notamment française. Résolus à épauler l’opération, qu’il s’agisse d’armement, de renseignement, de couverture aérienne ou de transport, Washington et Paris – où l’on songe au sort des six français otages d’Aqmi – excluent d’ailleurs l’engagement de troupes au sol.

Réclamé par l’UA, l’aval attendu du Conseil de sécurité de l’ONU ne lèvera en rien les hypothèques opérationnelles. Car le temps travaille pour les djihadistes, pourvus d’un formidable arsenal et renforcés par un afflux continu de volontaires, du Nigérian adepte de la secte islamiste Boko Haram au shebab somalien, via l’instructeur pakistanais ou afghan. Reste que de sérieuses dissensions affaiblissent les maîtres du Nord-Mali. Pour preuve, la fusion avortée fin mai entre Ansar Eddine, résolu à imposer la charia dans toute sa rigueur, et un MNLA miné par la discorde, mais qui lutte avant tout pour l’indépendance. Il n’en faut pas davantage pour ranimer cet espoir : une union sacrée afro-touareg, bénie par l’Occident, contre les fous d’Allah. Zone grise, trou noir, scénario rose.

V. H.

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