Le sourire de la terre

Guy Gilsoul Journaliste

Au tournant des xixe et xxe siècles, Emile Claus est célébré comme le plus français des peintres flamands. On lui reproche aussi son manque d’intelligence…

La peinture est belle, sans histoire. Elle ravit par la lumière qui inonde les figures et les paysages. Les teintes sont lumineuses, mais jamais agressives. Bref, l’£uvre ne heurte personne. Alors qu’elle se développe à l’heure des socialismes naissants et des grèves si durement réprimées, elle chante la douceur d’un jardin, la quiétude d’un après-midi, la beauté des saisons. Le Vieux Jardinier, un des chefs-d’£uvre exposés dans la rétrospective organisée par le musée des Beaux-Arts de Gand, sent la terre chaude. Plus loin un cortège de petites communiantes, tout de roses déclinés, évoquent la fraîcheur d’un matin de mai davantage qu’une piété profonde. On ne peut pas non plus reprocher au peintre l’audace qui fera de James Ensor, son contemporain, la proie des frileux. En fait, Emile Claus (1849-1924) est un homme heureux, charmeur, loquace. Il aime savourer les jours, et les amis sont nombreux, comme les élèves, à rejoindre son atelier, un ancien pavillon de chasse inscrit dans le paysage de la Lys non loin de Deinze. Emile Claus a grandi dans la campagne. Il la savoure.

Son apprentissage, à Anvers, aurait pu le destiner au réalisme le plus solide, dont, en Belgique, Courbet fut le modèle autant que la tradition du xviie siècle flamand. Certes, il ne l’oubliera jamais, mais il sait aussi qu’à Paris, la ville de toutes les références, le ton est à l’impressionnisme. Alors, entre 1886 et 1889, il loue un atelier, trois hivers de suite, et découvre ainsi les £uvres de Claude Monet. Une révélation.  » Jamais votre palette ne sera assez claire pour donner l’impression de l’air et de la vie des choses « , lui écrit son ami Camille Lemonnier. Alors, il élimine les noirs et les terres, gagne en teintes lumineuses, ose la dispersion des touches. Mais il ne suit Monet qu’en apparence. L’artiste français peint en oubliant de nommer ce qu’il peint. Il ne désire pas reproduire la façade d’une cathédrale ou des fleurs mais les reflets que lui renvoient ces objets. En réalité, il rend compte de l’espace coloré qui sépare le peintre et son modèle. La figure disparaît, de même que les contours. D’où l’impression d’aérien et d’impermanence. Claus, par contre, ne quitte jamais la matérialité du monde. Pourquoi ? Est-ce, comme l’écrivait dans une de ses critiques le poète Rodenbach, parce qu’il possédait au plus haut point les talents de l’artisan mais manquait d’intelligence ? Et, en effet, si Claus se tient au courant de toutes les nouveautés (Seurat, le pointilliste, entre autres), il n’en retient que ce qui peut renforcer son approche artistique du  » motif « . Or celle-ci mêle l’expérimentation intuitive de la lumière et l’artifice raisonné visant à l’effet que lui a enseigné la manière ancienne. D’où les compromis entre observation spontanée des reflets colorés et inventions arbitraires, touches légères et travail au couteau, sensations d’instantané et art de la composition…

En 1904 a lieu, à Bruxelles, une exposition qui fait le bilan de tous les apports de l’impressionnisme français. Claus la visite. Un an plus tard, les mêmes organisateurs inaugurent une autre manifestation révélant l’influence du mouvement français (né trente ans plus tôt), sur les écoles étrangères. Dont la Belgique où l’on parle de  » luminisme « . Emile Claus en est le chef de file. Adulé, respecté, il appartient pourtant déjà au passé.

Gand, musée des Beaux-Arts. Citadelpark. Jusqu’au 21 juin. Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures. www.mskgent.be

Guy Gilsoul

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