Lors de la dernière cérémonie des César, l'actrice Corinne Masiero s'est dénudée pour protester contre le confinement de la culture. © getty images

Le Souffle

Une fois par mois, l’écrivaine Caroline Lamarche sort de sa bibliothèque un livre qui éclaire notre époque.

Corinne Masiero qui se déshabille à la cérémonie des César pour protester contre la disparition de la culture depuis un an, c’est un succès et un tollé. Trop vieille (57 ans), trop moche pour faire ça, dit-on alentour. Mais le monde entier lui écrit, du Brésil, des Etats-Unis, d’Inde, pour lui dire bravo. Mieux vaut, sans doute, se mettre à poil en public que se pendre seul chez soi. Car il fut un temps où le désespoir prenait des formes plus discrètes mais aussi plus funèbres. Certains diront que c’était le bon temps. Le temps d’avant la Covid. Des salles pleines, des artistes célébrés et d’autres, moins chanceux, qui finissaient mal sans que personne ne s’en rende compte. C’était le temps de Thomas Bernhard (1931 – 1989), qui a beaucoup écrit sur le suicide, dont celui d’un pianiste dans Le Naufragé.

Le Souffle, par Thomas Bernhard, traduit de l'allemand (Autriche) par Albert Kohn, Gallimard, L'Imaginaire, 140 p.
Le Souffle, par Thomas Bernhard, traduit de l’allemand (Autriche) par Albert Kohn, Gallimard, L’Imaginaire, 140 p.

Car Bernhard connaissait par coeur le monde de la musique. Il avait dû abandonner une carrière de chanteur pour cause de maladie pulmonaire. Le Souffle, c’est l’histoire d’un jeune homme hospitalisé en urgence pour une pleurésie purulente et qui se retrouve confronté à la surpopulation de l’hôpital et au harassement des soignants, tandis que son grand-père bien-aimé meurt dans un autre service. Presque un décalque du cauchemar que les moins chanceux d’entre nous ont vécu depuis mars 2020. Le Souffle, ce sont les ruses pour survivre à la fin d’un rêve, à l’immobilisation prolongée dans un lit d’hôpital, à la conscience des « centaines de souffrances » autour de soi, à la mort du grand-père sans avoir pu le revoir. Ce sont des escapades mentales – la lecture – ou, parfois, en catimini, bien réelles. « Rien ne démontre mieux comme j’avais déjà retrouvé mes forces que ces franchissements de frontière qui, en fin de compte, étaient toujours une aventure. » Le Souffle, c’est la décision, faute de souffle justement, de devenir écrivain: cette formidable aventure-là. Si pour Thomas Bernhard, faire de la musique a été remplacé par la lutte quotidienne pour, très concrètement, respirer, toute son oeuvre si lucide, furieuse et drôle à la fois, dit que cette lutte l’a préservé du suicide. Un peu comme les patients atteints de mucoviscidose qui ont manifesté à Liège le 3 mars pour refuser qu’une décision de l’Inami les prive de leur médecin et de l’équipe soignante qui les suit depuis l’enfance. Ces patients-là – d’autres patients aussi, comme eux atteints d’affections chroniques – se soignent trois heures par jour en moyenne. On ne les entend donc pas, en général: ils n’ont que le temps d’essayer de ne pas mourir. Pourtant, ils ne se suicident pas non plus. Au contraire, leur lutte quotidienne les rend plus lucides, plus joyeux, donnant du sens à chaque instant. Et, quand la coupe est pleine, ils manifestent, chacun avec sa pancarte, son slogan, son cri de protestation. S’ils étaient écrivains, ils écriraient autant de livres que de manières dont, depuis leur naissance, ils ont lutté quotidiennement pour, simplement, respirer.

Caroline Lamarche
Caroline Lamarche

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