Le secret bancaire belge sur la sellette
L’étau se resserre sur les Etats qui ne prévoient pas une transparence suffisante des comptes bancaires de leurs résidents. La Belgique semble prête à faire un effort. Mais jusqu’où ?
La crise financière vient de raviver un vieux débat. Faut-il restreindre l’accès de l’administration fiscale aux comptes bancaires des contribuables pour protéger leur vie privée ou, au contraire, faciliter les contrôles sur ces comptes pour garantir une juste perception de l’impôt ? Ces derniers jours, plusieurs institutions ont tenté de faire pencher la balance du côté d’une plus grande transparence. Argument massue : l’ampleur de la crise financière est notamment due à l’opacité de certains circuits financiers de par le monde. A l’heure où tous les gouvernements cherchent des solutions pour éviter qu’un tel marasme économique se reproduise, ce plaidoyer semble faire mouche, y compris en Belgique.
L’affaire a démarré en Suisse. Dans ce pays, le secret bancaire est une règle d’or. Pourtant, la première banque helvétique, UBS (Union des banques suisses) a finalement dû s’engager à livrer des noms de fraudeurs américains aux autorités fiscales des Etats-Unis. Il faut dire que l’institution financière avait elle-même démarché des clients de l’autre côté de l’Atlantique… Ce cas a fait grand bruit. Les Etats-Unis, rejoints notamment par la France et l’Allemagne, ont réclamé davantage de transparence dans les banques, y compris dans des pays considérés comme des bastions du secret bancaire. Un sommet du G 20 (grands pays industrialisés et principales économies émergentes) s’est penché sur le problème. Dans la foulée, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a établi une liste de plusieurs pays qui ne fournissent pas d’efforts suffisants dans ce sens. La Belgique y figure…
Le ministre des Finances a tenté de rassurer : la Belgique est en train d’entreprendre des réformes. Il est question d’augmenter les échanges d’informations entre administrations fiscales belge et étrangères. Concrètement, la Belgique devrait adopter dès 2010 le principe de l’échange des informations sur la fiscalité de l’épargne avec les autres pays de l’Union européenne. Jusqu’à présent, notre pays bénéficiait d’un régime dérogatoire qui devait perdurer jusqu’en 2012 : une retenue à la source sur les revenus mobiliers des non-résidents et le versement des trois quarts des montants récoltés aux pays d’origine de ces personnes. Et ce, de façon totalement anonyme, ce qui donnait à la Belgique une image de terre d’accueil pour rentiers étrangers. Toujours selon ce régime dérogatoire, la retenue à la source devait augmenter progressivement, afin d’inciter les épargnants étrangers à rapatrier leurs avoirs dans leur territoire national : de 15 % en 2005, la retenue fiscale était passée à 20 % en 2008 et devait atteindre 35 % en 2011. Cette dernière étape ne verra pas le jour : la Belgique compte passer directement à la phase suivante, à savoir la transmission aux autres Etats européens de l’identité des non-résidents qui perçoivent un revenu mobilier en Belgique.
Le dernier bastion du secret bancaire
Certains y voient un premier pas vers une levée complète du secret bancaire à la belge ( voir notre interview de Thierry Afschrift parue le 13 mars en page 56). » C’est un faux débat, estime Pierre-François Coppens, juriste spécialisé en droit fiscal. En pratique, le secret bancaire est déjà levé. Il suffit de détailler toutes les situations dans lesquelles il ne s’applique pas : lors d’une procédure de recouvrement, en matière de droits de succession et d’impôts indirects ( NDLR : TVA et accises, notamment), en cas de réclamation du contribuable, quand l’administration soupçonne la mise en place de mécanismes de fraude fiscale, dans les cas où des poursuites pénales sont entamées, etc. » Le secret bancaire reste toutefois un principe général opposable au fisc en matière d’impôts sur les revenus. On le trouve d’ailleurs inscrit à l’article 318 du Code des impôts sur les revenus : » L’administration n’est pas autorisée à recueillir, dans les comptes, livres et documents des établissements de banque, de change, de crédit et d’épargne, des renseignements en vue de l’imposition de leurs clients. » Traduction ? » En principe, le fisc ne peut pas vérifier les comptes bancaires du contribuable dans le cadre d’une taxation de ses revenus, explique Pierre-François Coppens. Ce qui signifie que l’administration des contributions ne peut pas prendre connaissance du contenu des comptes privés du contribuable pour le taxer sur la base d’une présomption indiciaire, tant que l’on est dans le schéma de la taxation. » La Cour de cassation a encore réaffirmé clairement ce principe dans un arrêt du 14 septembre 2007.
Il s’agit là de l’un des derniers bastions du secret bancaire en Belgique. Pourrait-il tomber, dans la droite ligne de la fin du régime dérogatoire en matière de fiscalité de l’épargne ? » On pourrait s’en inquiéter, concède Pierre-François Coppens. Mais ce qui se passe au niveau européen est un alignement naturel par rapport aux autres pays. De plus, il est difficile d’émettre un jugement à ce sujet car, si on avait continué à appliquer le régime dérogatoire, la retenue à la source prévue par la directive européenne devait atteindre un taux de 35 %, ce qui est monstrueux ! » Pour ce spécialiste de la fiscalité belge, l’accélération de l’harmonisation européenne dans les échanges d’informations fiscales ne pose pas de problème. » Nous avions tout de même un statut à part, avec l’Autriche et le Luxembourg, ce qui est, il faut l’avouer, assez paradoxal, estime-t-il. S’aligner sur ce que font les autres pays n’est, à mon avis, pas critiquable. Ce qui serait dramatique serait qu’on lève le secret bancaire pour tout un chacun. Les contribuables ont droit à ce que l’on ne puisse pas consulter leurs dépenses ménagères. Dans le cas contraire, ce serait la porte ouverte à tout. «
Ce scénario donnerait à l’administration fiscale beaucoup plus de pouvoir que ce dont elle dispose actuellement. Ce qui lui conviendrait bien, semble-t-il. Dans un récent rapport consacré à la commission d’enquête sur la grande fraude fiscale, le syndicat indépendant des fonctionnaires du fisc, l’UNSP Finances (Union nationale des services publics – secteur Finances) souligne que » la possibilité d’interroger directement des banques comme tiers et d’obtenir de leur part diverses informations en cas de fraude dans le chef d’un client faciliterait fortement le déroulement de nombreuses enquêtes de fraude fiscale « . Mais si le fisc obtenait un blanc-seing lui permettant d’éplucher n’importe quel compte bancaire, ça deviendrait inquiétant, selon Pierre-François Coppens. » L’administration pourrait alors découvrir des dépenses ou des investissements effectués par les contribuables et appliquer un système de taxation indiciaire, ce qui se traduirait par moins de libertés pour les contribuables belges. A mon avis, il faut au moins protéger cela. «
Conventions internationales bientôt conclues
Si le secret bancaire était intégralement levé, pourrait-on parler d’atteinte à la vie privée ? » C’est un fameux débat, reconnaît Pierre-François Coppens. Certains crient à une violation de la vie privée. D’autres estiment que ce serait légitime. Je trouve qu’en ce qui concerne la gestion du compte bancaire privé du contribuable, il ne faudrait pas aller trop loin. Ce serait une atteinte à l’organisation même de son existence. Si je n’émets aucune réserve à l’égard des modifications en préparation à l’échelon européen en matière de fiscalité de l’épargne, je trouve qu’il ne faudrait pas que cela devienne un prétexte à une levée générale du secret bancaire. «
Conscient de l’attachement de nombreux Belges à cette forme de secret bancaire, le gouvernement s’avance uniquement sur le terrain de la coopération fiscale européenne mais aussi internationale. Car, outre la courbe rentrante que notre pays s’apprête à adopter en matière de fiscalité de l’épargne européenne, il est aussi question de conclusion de conventions internationales qui prévoiraient un échange d’informations similaire avec les pays non européens. Selon le ministre des Finances, de tels accords existent et seront proposés rapidement aux Etats membres de l’OCDE avec lesquels la Belgique n’échange pas encore des informations fiscales.
Il deviendra donc de plus en plus difficile de cacher un patrimoine au fisc en le transférant à l’étranger. » Pour ceux qui disposent d’un budget limité, la fuite des capitaux à l’étranger est devenue absurde, confie un expert fiscal. Par contre, ceux qui disposent d’un très gros capital pourront déplacer leurs avoirs dans des paradis fiscaux qui n’ont pas conclu de conventions d’échanges d’informations. A cet égard, il est piquant de constater que les Etats-Unis, qui semblent tellement moralisateurs pour l’instant, sont ceux qui disposent des plus nombreux paradis fiscaux dans leur environnement immédiat : les îles Caïmans, les Bahamas, Aruba, etc. » En tout cas, il n’y a plus de raison d’emporter un sac de billets au Luxembourg ou en Suisse. » Pour le dissimuler à l’administration, non, continue cet expert. D’ailleurs, en Belgique, la mentalité a changé. L’époque de la rage taxatoire est révolue et l’heure est à la transparence vis-à-vis du fisc, comme l’a démontré la DLU ( NDLR : déclaration libératoire unique, opération qui avait permis à des contribuables de régulariser des revenus mobiliers non déclarés). En revanche, s’il s’agit de profiter d’un régime fiscal plus avantageux, il n’y a aucune contre-indication à placer son argent à l’étranger : c’est même recommandé. La libre circulation des capitaux permet de faire jouer la concurrence fiscale entre pays européens. »
Cette concurrence permet à certains métiers de la finance, comme les conseillers en gestion patrimoniale, de continuer à bien se porter malgré la disparition progressive de l’impunité en matière fiscale. » Les Luxembourgeois l’ont bien compris, explique Pierre-François Coppens. Ils ne font plus la promotion de structures destinées à dissimuler des actifs au fisc. Ils font la promotion de fonds d’investissement tout à fait propres. » Par contre, dans d’autres pays comme la Suisse, le réveil vient seulement de sonner. Certains banquiers y proposent encore des montages utilisant une fondation au Liechtenstein pour que le nom du contribuable n’apparaisse pas. La remise en question d’un secret bancaire favorisant la fraude fiscale devrait conduire ces professionnels de la finance à se réorienter vers une activité moins contestable. Ce qui fait dire à certains qu’à l’instar du chocolat le secret bancaire belge a pris du galon par rapport à son homologue suisse…
Philippe Galloy
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici