Le saigneur du crayon

Dans La Dernière Heure, il croque ceux qui font l’actualité. Sur les ondes de RTL ou sur scène, il les épingle sans vergogne. Faites passer : le dessinateur du Bus est une drôle de vedette.

A un certain âge, il devient ridicule de demander à tout bout de champ à sa mère :  » Qu’est-ce que je pourrais bien dessiner ?  » L’adroit Frédéric du Bus a su contourner l’obstacle. Il a abandonné ses rêves d’une carrière de  » grand peintre  » pour devenir caricaturiste et auteur de sketchs. Désormais, l’actualité alimente sa Muse. Et lui, il en amuse le public. Sans complexe, ce du Bus de Marneffe ! Il se moque de son patronyme au point d’avoir, un moment, signé ses dessins Stib (admirez la finesse, pour un du Bus !). Et il gagne sa vie – désormais bien, merci pour lui – en brocardant les grands et moins grands du royaume ou d’ailleurs.  » Du Bus, c’est l’homme avec un scalpel à la place du crayon « , estime Jean-Jacques Deleeuw, son patron sur les ondes de Bel RTL, où le héros sévit en tandem avec l’imitateur André Lamy.

Scoop sur l’enfance de l’artiste : bien que ses collègues caricaturistes s’esbaudissent devant la qualité de ses dessins, le petit du Bus n’était pas un as du crayon.  » Jeune, il était déjà capable de très belles fulgurances « , admet tout de même son ami Hugues Dayez, journaliste à la RTBF, qui a usé avec lui ses caleçons au collège Saint-Pierre, à Uccle. Le temps a fait son £uvre et ce gros bosseur – ex-feignasse à l’école – est devenu un seigneur du crayon, caustique et piquant.

Du Bus est un Ucclois forcené : sur les huit déménagements de sa vie, un seul l’a éloigné de cette commune. Artiste plus orgueilleux qu’il ne le laisse voir, il est resté un type simple, ne rechignant pas à s’affubler d’une perruque pour les spectacles qu’il propose sur scène avec Lamy. De plus, il n’essaie même pas de faire croire qu’il a beaucoup ramé avant de creuser sa place dans un pays qui, selon son collègue Nicolas Vadot, est devenu  » un eldorado du dessin politique « .

Son premier livre jeunesse, Léonie dévore les livres (Casterman), lui a valu un prix de littérature. Et lui a mis le pied à l’étrier : dans la foulée, il a écrit une autre dizaine de livres pour enfants.  » Il ne sait pas se vendre, souffle pourtant un proche. Il a renâclé à fréquenter, autant qu’il l’aurait fallu, de pompeux Parisiens qui lui auraient ouvert des portes dans le secteur jeunesse ou ailleurs.  » Trop timide, trop bien élevé, du Bus ? Trop prêt, peut-être, à se contenter des places que les autres n’ont pas prises et à s’en accommoder avec le sourire, du moment que cela nourrit sa famille ? Cet artiste caméléon, qui s’adapte partout où il passe, est malgré tout parvenu à éviter les compromissions.

A lui les beaux lolos de Julie Taton

Du Bus a placé ses premières caricatures au Vif/l’Express, avant d’être accueilli par Pan, son journal de référence. L’hebdo satirique était le seul qu’achetait son père, avant son décès, lorsque Frédéric avait 13 ans. Gamin, il y admirait les caricatures du dessinateur d’extrême droite Allidor. Par la suite, du Bus a creusé son trou dans plusieurs autres journaux.  » A Télé Moustique, raconte Kroll, on s’est partagé les sujets d’inspiration, une fois pour toutes. A moi, la politique ; à lui, la télé ! Depuis, il a la chance de dessiner les beaux lolos de Julie Taton, pendant que je m’énerve à mal faire Didier Reynders ou Georges Bush.  » Le prince du Bus règne aussi sur la page 2 de La Dernière Heure, où on lui laisse une paix royale pour étriller son monde.

Malgré l’ombre d’un Kroll, du Bus s’est donc fait un nom là où cela compte à ses yeux. Soit, par ordre décroissant : Bruxelles, la Wallonie et la Belgique.  » Dessinateur dégagé plutôt qu’engagé, je constate, comme un huissier, ce que devient ce pays. S’il disparaît, il restera la Wallonie, qui sera probablement encore plus marrante « , savoure-t-il à l’avance.

On lui reproche parfois d’être un peu trop  » belgo-belge, genre stoemp-carottes « , de se croire un peu trop à la Revue des Galeries, ou de passer à côté de ce que le dessin peut véhiculer comme métaphores graphiques universelles. En fait, ce grand admirateur de Zak, le dessinateur attitré du Morgen, aime le changement professionnel, les nouveaux défis, la caricature de nouvelles têtes. Sévère envers lui-même, il se juge trop sage et craint de perdre ses audaces graphiques. Auteur torturé, il trouve et choisit ses sujets dans la souffrance. Cet exploit accompli, il n’a souvent qu’une seule idée lui permettant de dégainer son crayon. Et s’il estime encore  » très gai  » de croquer le roi, Di Rupo ou Van Cau,  » qui représentent plus qu’eux-mêmes « , il peine davantage avec Leterme,  » personnage mou, fuyant, inconsistant et difficile à comprendre « .

Ami fidèle, ultra-casanier – rien que l’idée de partir en vacances, symbole de valises, d’embouteillages puis de crème solaire à étaler, l’abat -, du Bus a du mal à refuser les sollicitations diverses et les projets dévoreurs de temps. Sauf pour le bénévolat : là, c’est non d’office. Idem pour les publicités : là, c’est non, mais par principe. Souvent, il s’abrite derrière l’avis de son épouse – gardienne de son agenda – avant d’accorder un engagement, qui sera alors de 100 %, sang et larmes compris.

Ce père attentif n’a rien perdu de son côté sale gosse bien élevé. Alors qu’il se dit payé pour être subjectif et de mauvaise foi, il refuse la provocation gratuite, quitte à se censurer tout seul. Des enfants regardent et écoutent ! L’homme a des principes et n’y déroge que rarement. Ou avec intelligence. Face à Delphine Boël, dans le studio de RTL, il a fait dire à André Lamy singeant le roi un savoureux :  » Votre tête me dit quelque chose. Mais je ne vous reconnais pas.  » Que ceux qui ont, un jour, dû se garer tant ils riaient de ses audaces radiophoniques lui jettent la première pierre !

Pascale Gruber

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