Le roi gouverne

Il y a dix ans, Mohammed VI accédait au trône. Souverain moderne, il a fait de son régime l’un des plus ouverts du monde arabe. Mais pas une démocratie pour autant.

Dix ans après son accession au trône, le 23 juillet 1999, on sait assez peu de chose de Mohammed VI et de l’idée qu’il se fait de son métier de roi. S’il lui arrive parfois de se prêter en famille à une séance de photos pour un magazine, le souverain marocain n’accorde que très rarement des interviews à la presse. Si l’on en croit Ali Amar, qui fut à la fin des années 1990 l’un des fondateurs du Journal – un hebdomadaire dont la liberté de ton avait symbolisé à l’époque l’ouverture du régime – et vient de publier un livre féroce (1), Mohammed VI serait un roi  » épicurien « . Il aime, écrit-il, la fête et la musique, les grosses cylindrées et le Jet-Ski, côtoyer les stars du show-biz et dévaler les pistes de Courchevel ou d’ailleurs entouré de sa bande de copains. On sait aussi (voir l’interview de Mohamed Tozy page 61) que le successeur de Hassan II prend facilement la mouche et qu’il apprécie peu l’impertinence.

Désormais, la presse enquête et les Marocains manifestent

Dès les premiers mois qui ont suivi son accession au trône, Mohammed VI a montré qu’il entendait poursuivre et amplifier la politique d’ouverture amorcée par son père au cours des dernières années de son règne. Malgré les saisies occasionnelles et les amendes parfois exorbitantes, il y a aujourd’hui au Maroc une presse indépendante qui enquête, commente, critique et défend vigoureusement sa liberté. Au-delà du petit monde des médias, les Marocains n’hésitent plus à manifester et les associations portent des combats longtemps tabous. Le souverain a aussi eu l’intelligence d’accepter un retour sur les  » années de plomb « , qui s’est traduit non seulement par l’indemnisation des victimes, mais aussi par un véritable travail de mémoire sur les violations des droits de l’homme commises sous le règne de son père. Soucieux de moderniser la société, il a fait adopter un nouveau Code de la famille. La plus belle réforme du règne institue l’égalité, dans le couple, entre le mari et la femme. Si elle a du mal à passer dans les faits à cause des juges qui usent et abusent des dérogations et des mentalités qui ne suivent pas, elle n’en a pas moins le mérite d’exister. Cela n’allait pas de soi : quelques années auparavant, le dernier gouvernement de Hassan II avait jeté l’éponge face à l’opposition des islamistes.

Cette ambition modernisatrice est incontestablement la marque de ces dix premières années du règne. Elle se retrouve aussi dans les plans de développement et la multiplication de grands chantiers. Le royaume est aujourd’hui presque entièrement électrifié, et plus de 70 % de la population bénéficie d’un raccordement à l’eau potable. Le pays, qui ne disposait en 1999 que d’une centaine de kilomètres d’autoroutes, en compte près de 1 000. Le port de Tanger Med, dans le Nord, devrait être agrandi avec la construction prochaine d’un nouveau complexe portuaire. L’aménagement, en cours, de la vallée du Bouregreg changera dans quelques années le visage de la capitale, Rabat, et de sa ville jumelle, Salé. Le plan Azur pour le tourisme prévoit l’accueil de 10 millions de visiteurs à l’horizon 2016 et la construction de six stations de bord de mer. Demain peut-être un TGV reliera Tanger à Marrakech, via Rabat et Casablanca… Le plus souvent, ces grands chantiers sont confiés à des agences para-étatiques qui dépendent directement du Palais. Les plans de développement, eux, sont presque systématiquement conçus par des cabinets-conseils : le plan Emergence, présenté en 2005, qui identifie les secteurs industriels sur lesquels le royaume doit miser, est signé McKinsey, de même que le plan Maroc vert pour la modernisation de l’agriculture, et le programme Rawaj sur le commerce extérieur a été élaboré par le cabinet Ernst & Young. Cette méthode de travail, technocratique, a tendance à privilégier un modèle de croissance largement dépendant de l’étranger, qui cible surtout la population des villes, tandis que l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), un ambitieux programme de lutte contre la pauvreté, présenté comme la  » grande affaire  » du règne, enregistre un bilan contrasté.  » C’est un développement qui profite aux élites urbaines alphabétisées, dont les capacités de nuisance sont plus grandes. Les ruraux continuent, eux, à dépendre de la pluie « , regrette Fouad Abdelmouni, qui anime une association spécialisée dans le microcrédit. D’autres y voient surtout un mode de gouvernance qui ne laisse guère de place au débat. Les décisions sont impulsées d’en haut sans véritable écoute, sans que le Parlement, en particulier, y soit associé, sans processus d’adoption par la population.

Si Mohammed VI est un roi moderne et son régime l’un des plus ouverts du monde arabe, cela ne fait pas pour autant du Maroc une démocratie. Le souverain règne et gouverne, la Constitution ne met aucune limite à ses pouvoirs et affirme même que sa personne est  » sacrée « . C’est toujours au Palais que se décide ce qui est important. Au sein du  » nouveau makhzen  » – les élites intellectuelles et économiques qui gravitent autour de la monarchie – on explique qu’un monarque éclairé vaut mieux que des politiciens sans crédibilité, que le roi est davantage à même de contrer l’influence des islamistes, et qu’il faut d’abord  » refonder le champ politique  » avant d’envisager un rééquilibrage institutionnel qui limiterait les prérogatives du souverain. Mais quand Ahmed Reda Benchemsi, directeur et éditorialiste de l’hebdomadaire Tel quel, s’interroge sur l’utilité d’élections dans un système où le roi décide de tout, il exprime un sentiment largement partagé. Lors des élections législatives de 2007, un peu plus du tiers seulement (37 %) des électeurs se sont rendus aux urnes.  » C’est en accréditant l’idée que rien ne pouvait se faire en dehors de l’ombre du roi que l’on a décrédibilisé les partis et créé un vide politique « , analyse Fouad Abdelmouni. Un certain désenchantement est en effet perceptible chez ceux qui, au tout début du règne, espéraient pouvoir faire bouger les lignes et les institutions. L’historien Pierre Vermeren, spécialiste du Maghreb, évoque pour sa part une  » transition inachevée  » (2). La démocratie, au Maroc, reste en effet à l’état de projet. l

(1) Mohammed VI, le grand malentendu, par Ali Amar. Calmann-Lévy, 334 p.

(2) Le Maroc de Mohammed VI, par Pierre Vermeren. La Découverte, 324 p.

9 novembre 1999

Basri s’en va Le 30 septembre 1999, après dix-sept ans de détention au Maroc et huit années d’exil en France, l’opposant Abraham Serfaty, 73 ans, rentre au pays. Quelques semaines plus tard, Driss Basri, le ministre de l’Intérieur de Hassan II, est limogé. Le nouveau règne peut commencer.

1er mars 2000

Le Maroc s’arrime à l’Europe L’accord d’association avec l’Union européenne entre en vigueur. En 2008, le royaume obtiendra le  » statut avancé « .

27 juillet 2001

Les  » super-walis  » Mohammed VI, qui veut rénover l’administration des régions, nomme à leur tête des super-préfets aux pouvoirs étendus.

21 mars 2002

Le roi se marie Mohammed VI épouse Lalla Salma Bennani. Le mariage du souverain lui permet de conforter son image de modernité.

16 mai 2003

Les attentats de Casablanca 14 kamikazes, âgés de 20 à 25 ans, se font exploser, ou tentent de le faire, dans la capitale économique du royaume. Bilan : 43 morts, une centaine de blessés.

5 février 2004

Un nouveau Code de la famille

Les Marocaines ne sont plus, en droit, des femmes soumises. Dans les faits, les juges rechignent souvent à appliquer le nouveau texte.

18 mai 2005

L’Initiative nationale pour le développement humain (INDH)

Le grand chantier social du règne n’empêche pas la pauvreté de progresser dans le royaume.

6 janvier 2006

La page des  » années de plomb  » est tournée

Créée en 2004 pour faire la lumière sur les violations des droits de l’homme sous le règne de Hassan II en recueillant les témoignages des victimes, l’Instance équité et réconciliation remet au roi son rapport final.

31 décembre 2007

Le Maroc électrifié L’objectif était de raccorder tous les habitants du royaume avant la fin de 2007. Un pari gagné (à 96 %) grâce au programme d’électrification des zones rurales.

27 septembre 2008

La réforme des instances de l’islam

En annonçant la création de 69 conseils locaux des oulémas, Mohammed VI donne le coup d’envoi du second volet de la réforme des instances religieuses. Le roi entend imposer sa vision de l’islam.

dominique lagarde

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