Le roi de la bière met la pression

Il possède Stella-Artois, Leffe, Jupiler, Budweiser… Cependant la soif du no1 mondial, AB InBev, est insatiable : c’est désormais la célèbre Corona que le groupe belgo-brésilien veut avaler. Un rachat de plus dans un secteur en pleine concentration.

Ce n’est pas l’heure du laitier mais celle de la bière sur la place Joanna-Maria Artois, dans le quartier industriel de Louvain. Alors qu’à la sortie de l’immense brasserie Stella Artois, les camions de la célèbre marque ont entamé leurs livraisons quotidiennes, Tom Robberechts se prépare à accueillir les touristes pour un heritage tour – une plongée dans le site de production et son histoire. Avec 15 000 visiteurs par an, la brasserie fait partie des attractions majeures de Louvain, considérée comme la capitale de la bière. Vieilles photos et exposition d’anciennes machines  » pour montrer que nous venons de loin avec 650 ans de tradition brassicole !  » se félicite ce collectionneur de logos Stella Artoisà En face, le long du canal et près du siège social du groupe, se dresse toujours le bâtiment historique désaffecté, datant de 1366, où figure le nom – Artois – du maître brasseur qui en fit l’acquisition au XVIIIe siècle. Difficile pour le néophyte de deviner que derrière ces murs de brique sombre se cache le berceau du no1 mondial de la mousse, AB InBev.

Fort d’un portefeuille de 200 marques, le groupe belgo-brésilien possède les bières les plus demandées par l’amateur de demi, telles Stella Artois, Jupiler, Leffe, Hoegaarden, Budweiser ou Beck’s. Au début de l’été, AB InBev a annoncé son intention de racheter la totalité du mexicain Grupo Modelo – dont il détenait déjà 50 % – pour 20 milliards de dollars (15,9 milliards d’euros). Un moyen de mettre la main sur une pépite mondiale : la célèbre Corona. En attendant le feu vert des autorités de la concurrence d’ici au début de 2013, le groupe, qui affichait l’an dernier un chiffre d’affaires de 39 milliards de dollars, conforte sa place de champion mondial, loin devant le britannique SABMiller (voir infographie p. 32).

Cette dernière opération intervient alors que les principaux brasseurs se livrent une guerre sans merci à coups de rachats spectaculaires. Le 3 août, le néerlandais Heineken trouvait un accord pour prendre l’entier contrôle d’Asia Pacific Breweries et de sa marque Tiger. Montant de la facture : 5 milliards d’euros. Alors que SABMiller avait lancé une OPA de 7 milliards d’euros sur le leader australien Foster’s en septembre dernier. En 2008, Carlsberg s’était partagé avec Heineken le groupe Scottish & Newcastle pour 10 milliards d’euros – le danois récupérant ainsi la Kronenbourg. A la fin de 2011, les cinq premiers groupes mondiaux détenaient à eux seuls presque la moitié du marché de la bière en volume.

Mais pourquoi les grands brasseurs se mettent-ils autant de pression ?  » Dans ce secteur très concurrentiel, les leaders doivent mener des stratégies d’acquisition très agressives pour gagner des parts de marché « , explique Jeremy Cunnington du cabinet Euromonitor International, qui table sur une progression mondiale des ventes de 3 % par an jusqu’en 2016. Il faut dire que, blonde, brune ou rousse, la bière reste la première boisson alcoolisée consommée dans le monde. Pour renforcer leurs positions, les producteurs doivent aussi assurer la croissance de leurs marques pays par pays. Selon le spécialiste d’Euromonitor, le but est  » de progresser en volume sur les marchés émergents où la consommation est en forte augmentation « . Mais aussi de jouer la carte  » des nouvelles catégories de bières premium comme celles aromatisées aux fruits qui s’écoulent très bien dans les pays développés « , où la consommation globale est stable, voire en recul. Et c’est justement cette double stratégie qu’a adoptée AB InBev depuis huit ans.  » Au début des années 2000, le groupe était seulement un joueur européenà Nous nous sommes construits en augmentant de taille et en développant nos marques « , se souvient José Lafuente, le directeur d’AB InBev France. En misant sur l’innovation et le haut de gamme avec Leffe et Hoegaarden, la filiale française a ainsi considérablement augmenté ses volumes et dopé ses parts de marché, de 7 % à plus de 11 %, alors que la consommation de bière reculait dans l’Hexagone.

En réalité, l’acte fondateur de cette conquête mondiale remonte à 2004 : la fusion d’Interbrew avec le brasseur brésilien AmBev (bière Brahma) donne alors naissance à InBev. L’ascension fulgurante du groupe doit aussi beaucoup à sa reprise en mains par le Brésilien Carlos Brito, 52 ans, qui le dirige depuis 2005. Cette forte tête, diplômée de Stanford, a fait ses armes chez Shell et Daimler Benz avant de rejoindre le brasseur Brahma à l’âge de 29 ans. Entré ensuite dans le giron d’AmBev, il applique des règles de gestion strictes et se taille la réputation d’un cost killer. Lorsque son prédécesseur, John Brock, est débarqué, fin 2005, les actionnaires brésiliens imposent Brito pour gonfler les ventes et les profits de la maison et mener des acquisitions.

En 2008, à la conquête de l’Amérique

Réputé être un super vendeur, Brito met en place des techniques agressives de marketing. Surtout, il se lance en 2008 à l’assaut du leader américain Anheuser-Busch et de sa célèbre Budweiser. Après une bagarre boursière éclair, il signe la plus grosse acquisition jamais réalisée dans la bière, au prix fort – 52 milliards de dollars. Cet audacieux mariage permet à InBev, rebaptisé AB InBev (Anheuser-Busch Inbev), de s’implanter aux Etats-Unis où il détient près de la moitié du marché. Patron musclé, Brito serre la vis pour réduire l’endettement colossal contracté avec ce rachat. L’année suivante, il cède pour près de 7 milliards d’actifs et licencie des milliers de salariés, là où la rentabilité est menacée, provoquant des grèves chez nous.

Sa poigne se fait sentir aussi dans le management, de Louvain à New York, où l’équipe dirigeante s’est installée. Pour profiter de leur bonus, les cadres doivent obtenir des points non seulement en fonction des objectifs réalisés, mais aussi de leur comportement. Ils ne doivent, par exemple, jamais rien laisser traîner sur leur bureau et nettoyer leurs e-mails, qui sont automatiquement détruits tous les trois moisà  » Son système de reporting et de contrôle est remarquable « , estime Wim Hoste, analyste chez KBC Securities, qui se félicite de l’évolution de l’action : le cours a été multiplié par cinq depuis début décembre 2008. Alors que le chiffre d’affaires a triplé et le résultat d’exploitation quadruplé. Les investisseurs ne sont pas les seuls à se frotter les mains. AB InBev reste détenu majoritairement par deux groupes familiaux. D’un côté, les actionnaires brésiliens – familles Lemann, da Veiga Sicupira et Telles. De l’autre, les Belges – de Spoelberch, de Mevius et Van Damme. Selon le journaliste Ludwig Verduyn, qui vient de publier le livre Les 200 Belges les plus riches, le patrimoine cumulé de ces trois familles s’élève à 25,68 milliards d’euros, ce qui fait d’elles les plus grosses fortunes du pays devant l’homme d’affaires Albert Frère. Quant à Brito, il est payé royalement. Il a perçu jusqu’à 4,4 millions d’euros en 2010 et reçu des stock-options représentant un gain potentiel deà 135 millions d’euros ! Les Louvanistes avaient manifesté, en vainà Le grand patron serait, selon un bon connaisseur de la maison,  » invisible et inaccessible pour le personnel « . A ce tarif-là, on comprend que Carlos Brito et ses actionnaires ne se fassent pas mousser…

CORINNE TISSIER

L’ascension fulgurante du groupe doit beaucoup à sa reprise en mains par le Brésilien Carlos Brito

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